Alors, comment se passe votre week-end ?
Pour moi, je commence par revisiter des textes, des écrits issus de mon carnet de notes. Je revois des impressions et essaie de retrouver l’état d’esprit d’il y a quelques mois. D’avant le confinement. Cette crise marque réellement une pliure dans le temps, comme on corne la page d’un livre. Il y a un avant et un après. Pour la Société, je ne sais pas, mais pour nous, individus, ce sera un repère durable dans le temps. Un symbole qui nous fait réinterpréter le passé, même récent, presque avec nostalgie.
Le 9 février 2020, encore au cœur de l’hiver, j’écrivais dans le train qui nous emmenait ma femme et moi pour quelques jours à La Rochelle :
Le paysage défile lentement par la fenêtre du train. Dehors, le mélange de brouillard et de fine pluie donne au paysage d’hiver un aspect morne, nostalgique. Il n’y a rien à voir, aucun relief, juste la monotonie, à perte vue.
Le déplacement est rapide — bordel, c’est un TGV, fleuron de l’industrie française — mais le temps semble s’étirer, presque s’arrêter. La longue méditation du voyage, induite par le balancier du train et mes visions hypnotiques, me fait apprécier la pause de quelques jours qui commence.
À peine posé dans ce train, j’ai senti mes muscles se relâcher. Soudainement, je suis écrasé par la grande fatigue que j’avais voulu nier durant les semaines passées. C’est l’hiver. L’organisme produit à plein régime les anticorps pour chasser otites, rhumes, tous les petits virus qui ont décidé de se liguer contre moi pour tuer ma productivité et me retirer le goût, non pas de vivre, mais au sens propre, le plaisir des bons petits plats.
Ce n’est pas la seule chose. J’avais nié cette fatigue, car je ne l’ai pas comprise. Depuis mon retour de retraite yoga, j’ai l’impression de papillonner. J’ai cette sensation de bouillonner, de n’en faire qu’à ma tête, mais aussi d’explorer de nouveaux sujets qui m’amènent de nouvelles idées prometteuses pour ma société. Mais dans cette effervescence, dans cette frénésie de découvertes, je suis bien loin de ma productivité habituelle de machine, celle qui me fait cocher les tâches sur ma liste avec la régularité d’un métronome. Combien ai-je écrit de ligne de codes depuis mon retour ? Sûrement aucune. Et pourtant, ce que je défriche est critique pour la suite. Le monde, les besoins changent. Vivre les yeux grands ouverts est la seule manière de s’en apercevoir.
Le paradoxe est là. Dans la créativité, la production se mesure différemment. Alors, je peine à voir l’effort. Je me demande pourquoi cette fatigue ? Où passe toute mon énergie ? Sûrement dans les changements que je pousse sur tous les fronts. Dans le fait de sortir de ma zone de confort sur tant de sujets. De devoir réfléchir à chaque instant, faire le point, regarder la boussole, me repérer aux étoiles dans le ciel. Vérifier sans cesse que je ne suis pas perdu. En coupant le pilotage automatique, je me suis retrouvé à naviguer à vue, alors je dois être attentif en permanence, penser à ma parole comme à mes prochaines étapes.
Et surtout rêver et créer. Avec le recul, si court soit-il, je vis sûrement dans la période la plus créative que j’ai traversée depuis 10 ou 15 ans. Peut-être même la plus créative de ma vie en réalité, car je me détache des modèles que j’ai toujours cherché à imiter, pour essayer de tracer une voie unique. J’ai l’impression d’être prétentieux en écrivant, mais qu’y a-t-il de prétentieux à être soi ?
Le chemin est encore flou, le pas hésitant. Chaque nouvelle action que j’entreprends me demande un lâcher prise plus profond, mais me libère aussi, me donne un peu plus confiance. Ce n’est pas que je ne doute pas. Je me questionne tous les jours, mais je trouve au moins l’assurance que je pourrais, que je saurais corriger mes erreurs. J’ai arrêté de m’accrocher à l’illusion d’infaillibilité du bon chef d’entreprise, du bon père et du bon mari. Rien que cela est un soulagement profond.
En musique de fond, j’entends Sting me murmurer à l’oreille. « Tu te demandes qui a veillé sur toi, mon seul ami, qui cela peut-il être… C’est doute moi ». It’s probably me. Ambiance de polar, néons et bitume brillant sous la pluie. Le saxophone pleure. La solitude du détective privé me renvoie en miroir la solitude de l’individu, perdu et nostalgique. L’enquête est toujours une quête de soi solitaire dans les films noirs.
Pourtant, jamais je n’ai eu autant le sentiment de faire un avec le monde qu’en ce moment. Je sens cette connexion avec mes lecteurs et les nouveaux compagnons de route que je rencontre. Je sens cette connexion avec la nature endormie, qui défile devant mes yeux. J’ai l’impression d’être dissous dans le monde. J’ai oublié mon passé, ne me soucis pas du futur. Je suis juste porté par les mots, qui tournent dans ma tête pour s’écrire sous mes doigts.
Production « just-in-time » comme on dit dans l’industrie, en flux tendu. C’est ça la vie, une production de l’instant. Demain, n’est pas écrit, n’est pas encore produit. Seul le moment présent peut donner naissance au suivant. Et ainsi de suite.
La dose de flow
Sur mon blog / podcast
Cette semaine, j’ai publié le premier épisode du podcast Double Vie. C’est un podcast que j’ai créé pour réfléchir à la création et à ses conditions d’existence. La création est rarement une activité exclusive. La vie tourne autour et cette vie, contient souvent un travail, des relations sociales, familiales, amicales. La création vit dans le monde.
Je vous laisse avec Gui Perdrix, consultant, expert en marketing personnel, coach et auteur.
J’espère que ce premier épisode vous plaira.
Musique
La musique a quelque chose de magique. Chacun peut l’accueillir, vivre pour elle. Elle semble parfois pointer du doigt un élu, pour le doter d’une aisance hors du commun. Naudo Rodrigues est de ceux pour qui la musique semble facile. Un intuitif, comme on dit. Il vit au Brésil, joue dans les bars et n’a jamais étudié la musique formellement. Pourtant, elle vit et vibre en lui. Dans de nombreuses vidéos YouTube, il reprend des morceaux pop dans un bar, et joue avec une aisance déconcertante.
Inspiration
J’ai découvert cette semaine l’auteur Shirley Jackson, dans une émission de France Culture diffusée à l’occasion du centenaire de sa naissance en 2016. C’est, au travers de ses écrits fantastiques, une féministe avant l’heure. Elle s’est émancipée dans ce genre marginal, comme l’avait fait avant elle Mary Shelley avec Frankenstein. Je suis fasciné par la manière dont certaines autrices sont entrées dans la littérature sans rien en attendre, via un genre considéré pendant longtemps (et encore aujourd’hui) comme mineure. Le fantastique est un formidable moyen de parler de la société. Il peut être profond, traduire des angoisses, dénoncer des dysfonctionnements.
Shirley Jackson est connue pour le roman « La Maison Hantée » et sa nouvelle « La Loterie ».
🎧 La reine des ombres : centenaire de Shirley Jackson (1916-2016)
À suivre
C’est un flow que je vous partage avec une grande fierté, heureux d’avoir pu parvenir à lancer mon podcast Double Vie. Les rencontres, les échanges que je fais au travers de chaque enregistrement, de chaque discussion, sont merveilleux. Ils éclairent la création avec un nouveau jour. Le process créatif, qui me semblait mystérieux et magique, me semble maintenant tellement évident, car il est finalement ancré dans la condition humaine.
J’espère sincèrement que le podcast, le format, les invités, les échanges vont vous plaire. Chaque invité y met sa passion et une petite partie de son âme. Envoyez-moi vos retours !
Je vous souhaite un merveilleux week-end !
— mikl 🙏
Photo by Ivan Vranić on Unsplash
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