Alors, comment se passe votre week-end ?
Je ne sais pas comment si vous l’avez remarqué, mais nos cerveaux sont assaillis. Un nouveau défi a émergé dans notre quotidien, celui de garder le contrôle de nos esprits. J’éprouve un certain malaise en l’écrivant en ces termes si abrupts.
L’actualité morose et parfois dramatique, le stress des normes grandissantes à respecter, la pression professionnelle pour la surperformance et, désormais, nos loisirs passés sur les réseaux sociaux ; depuis que nous sommes hyper-connectés, nous sommes bombardés de stimulations constantes qui nous soumettent, pauvres humains, à un stress permanent. Notre cerveau n’a pas été conçu pour une activité si intense, qui nous maintient sans cesse en alerte.
Patrick Le Lay l’avait déclaré en 2004 lorsqu’il était PDG du groupe TF1 : « Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible. » Ce cynisme, exprimé avec tant d’aplomb, avait choqué à l’époque.
Depuis lors, cette bataille pour occuper nos esprits a prospéré et les fronts se sont multipliés. Des réseaux sociaux à la vidéo en streaming tous les nouveaux médias se disputent la conquête de notre temps de cerveau disponible.
Les attaques se sont intensifiées dans une lutte dont nous sommes les victimes. Notre attention est fragmentée. Notre capacité de concentration diminue. Le stress, le burn-out et la dépression sont des maux qui deviennent endémiques. À mon sens, la santé mentale est devenue un enjeu majeur, au même titre que la pollution ou la protection environnementale.
Car nous sommes bien face à un défi inédit. Défendre notre cerveau, le cœur de notre cognition, notre capacité de penser, de rêver et de s’évader. Notre futur est menacé, car c’est notre aptitude à imaginer le monde de demain qui est en jeu. Pouvoir réfléchir et décider rationnellement est même une nécessité démocratique, cette année électorale nous le rappelle amèrement.
Alors, à quoi se raccrocher ?
Je pense que la création est à la fois victime de cette attaque sur notre attention, mais aussi le dernier refuge pour développer notre résistance.
Il semble que la créativité recule sous les assauts répétés de ceux et de ce qui fragmente notre attention. Difficile dans ces conditions de produire un travail intellectuel qui a du sens. Le travail profond, le deep work, comme l’appelle Cal Newport, est nécessaire pour mener une démarche créative.
Mais c’est aussi là que se trouve l’antidote, en nous inscrivant dans un cercle vertueux, une forme de rééducation de l’attention par la pratique régulière d’une activité qui sollicite notre réflexion. Car si l’interruption est l’ennemi de la création, la réciproque est vraie et la création permet de combattre l’interruption en développant l’attention.
Le premier pas vers l’affranchissement, c’est de s’en rendre compte. Se battre pied à pied pour défendre notre cerveau, pour se le réapproprier. Pas en cédant au complotisme, en croyant que le monde se ligue pour nous mentir et nous manipuler, mais simplement en utilisant notre cerveau, en admettant que dirigeants ou simples citoyens, nous sommes tous victimes de cette perte d’attention. Alors, oui, dans cette bataille, certains profiteurs essaient d’assiéger notre esprit, de tirer parti de cette faille humaine qui fragilise nos sociétés modernes. La réponse n’est pas dans la défiance. Elle est dans notre capacité à faire place à la création, envers et contre tout, en reprenant le contrôle de notre esprit. En élevant en conséquence notre conscience collective.
Bien sûr, il y a la méditation, mais cette pratique reste mal connue et qui est perçue comme difficile et semble à tort inaccessible.
L’écriture, la lecture, les échecs, par exemple, et toutes les pratiques créatrices s’imposent alors comme des moyens de se réapproprier notre cerveau, de marquer notre territoire. Une façon non pas de lui apprendre qui est le maître — nous n’avons pas ce pouvoir — mais de l’amener à travailler dans notre intérêt, c’est-à-dire pour notre bien-être.
Cela à l’air facile quand je l’écris. Pourtant, je ne veux pas laisser penser que je flotte au-dessus de la vie, que je maîtrise tout. Si je parle de ces sujets, c’est surtout parce qu’ils m’intéressent, car ce sont des combats que je mène tous les jours. Et que je perds souvent.
Mais quand je me mets devant mon clavier, lorsque je produis des mots, lorsque j’écris un texte, je livre cette bataille. Dans ces moments-là, à ma modeste échelle, j’ai conscience d’aider l’humanité à gagner une guerre sournoise contre un ennemi invisible.
Prendre la plume peut paraître dérisoire dans les tourmentes que nous traversons. C’est la seule chose que je puisse faire à mon niveau. L’acte est plus important qu’il n’y parait. C’est ma manière de lutter pour ma santé mentale, et l’antidote à la fatalité et au renoncement.
Podcast
La semaine prochaine, le podcast Double Vie reçoit Lloyd Chéry, journaliste, podcasteur, professeur et anthologiste, pour parler des littératures de l’imaginaire.
Pour patienter, vous pouvez écouter le dernier podcast avec Olivier Caruso.
J’ai également enregistré une lecture de la fin du premier chapitre d’Un Éclat de Givre d’Estelle Faye, un roman que j’adore. C’est un moment de douceur que vous pourriez apprécier ce week-end.
🎧 À écouter sur la chaîne YouTube Double Vie.
À retrouver notamment sur Apple Podcast, Spotify et le site Double Vie.
La dose de flow
Musique
Cette semaine, je vous fais découvrir le morceau Nayae, un titre dépaysant et relaxant de la chanteuse Iranienne Hanna Jahanforooz.
Bonne écoute !
Inspiration
Voici une vidéo TEDx, en anglais, que j’ai apprécié cette semaine, « Why the majority is always wrong » par Paul Rulkens.
Elle est intéressante à plus d’un titre. D’abord parce que Paul Rulkens rappelle que le processus de réflexion demande un effort important et que nous sommes programmés pour limiter les dépenses d’énergie inutile. « The purpose of thinking is to stop thinking. »
Il reprend ensuite un élément que j’avais développé dans ma vidéo sur le hacker Paul Graham. Si on utilise les mêmes outils et références que tout le monde, on obtient les mêmes résultats que tout le monde. Dans son essai « Beating the average », Paul Graham justifiait le choix du langage Lisp, quasiment jamais utilisé pour une application Web, par l’avantage concurrentiel que cet outil très adapté pour son besoin lui conférait. Dès lors que ses concurrents se limitaient aux standards de l’industrie, la société de Paul Graham restait intouchable.
Cela me laisse penser que le système des startups a rejoint la norme, alors qu’il était au départ un outil agile destiné à se distinguer des grands groupes et à faire différemment pour accélérer l’innovation. Aujourd’hui, toutes les startups ont la même approche et utilisent les mêmes outils et leviers. Elles reposent sur le fameux mode startup avec ses tours de financement, sa même manière de pitcher, ses mêmes idées copiées souvent à l’étranger et déclinées à l’envie, ses embauches dans le même pool de profils, ses mêmes outils, méthodes, langages de développement et composants logiciels, etc. Ce mode de développement est devenu le nouveau standard industriel. Ce système atteint aujourd’hui sa limite. C’est devenu un mécanisme où l’uniformisation qui rassure les investisseurs a pris le pas sur la différenciation qui innove, incapable de dégager une performance hors norme.
À suivre
Une nouvelle échéance m’attend, la dernière version de ma nouvelle. Je l’ai déjà soumise à un appel à texte, mais on m’a signalé encore des petits soucis que j’aimerais tenter de résoudre.
Je me suis aussi engagé à finaliser une première version du séquencier de ma novella en cours d’écriture pour mercredi.
De quoi m’occuper pour éviter de me laisser happer par l’actualité !
Je vous souhaite de vous aussi éviter de vous laisser miner par les news, de vous aérer l’esprit et de passer, quoi qu’il en soit, un merveilleux week-end !
— mikl 🙏
Photo by Jade Stephens on Unsplash
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