Alors, comment se passe votre week-end ?
Cela ne va pas vous surprendre, je vais reprendre une petite dose d’écriture. Cet après-midi je participe à un atelier sur le scénario avec mon fils.
J’ai hâte, car les bons ateliers nous emmènent toujours quelque part. La contrainte stimule l’imagination.
Par exemple, voici une consigne tirée d’un atelier auquel j’ai participé il y a quelques mois. « Prenez le premier livre qui vous tombe sous la main (de préférence un roman), ouvrez le à la page 72, la troisième phrase de cette page sera la première phrase de votre texte. »
C’est un exercice formidable qui invite à la rencontre : à partir d’une phrase, une simple graine issue d’un livre, nous l’utilisons pour faire pousser un autre texte. Magique, non ?
Voici le texte que j’ai écrit à partir de la page 72, phrase 3 de la « Reprise des activités de plein air », de Jean-Claude Lalumière : « Je ne supporte pas d’entendre cracher sur la jeunesse. »
Bonne lecture !
Le Plan B
Je ne supporte pas d’entendre cracher sur la jeunesse. Non pas que je sois choqué ou même effrayé pour ces jeunes. La plupart sont blindés, étanches à la critique, certains provoquent le rejet comme une raison d’être. Et puis, ils savent très bien se défendre tout seuls. Ils encaissent.
Non, ce qui me fait mal, au-delà de la violence, de la volonté de déclassement, c’est la tristesse profonde du jugement. Cette jeunesse est un miroir de nos âmes. Leurs doutes sont nos espoirs. Leur révolte est notre nécessité, leur détresse, notre échec. Alors, malgré ma quarantaine bien entamée, je me sens toujours visé. Il n’y a pas d’âge pour cesser d’être jeune, pas de point de bascule, rien qu’un moment de renoncement, un instant où on lâche prise. Cette dualité, jeunes contre vieux, est d’abord un combat interne. Car, il est une forme de vieillesse aigre, qui attaque le cerveau, brise les illusions, distord le monde. Celle qui renie la jeunesse. Celle-là est un cancer, une maladie de l’être qui laisse gagner l’instinct de mort sur le réflexe de vie.
Parfois, cet affrontement symbolique se déroule devant nos yeux. Comme ce jour-là, douloureusement semblable aux autres. Nous ressassions nos rancœurs au comptoir du “Plan B”, un troquet sans charme, près de la gare de Montargis. Mêmes têtes, mêmes rengaines. Une routine bien installée. Le train de Paris venait d’arriver. En semaine, à cette heure-ci, personne n’en descendait jamais. Cette fille était pourtant entrée dans le bar, son sac de sport en bandoulière, comme débarquée d’une autre planète.
Tous les regards étaient braqués sur elle. Le silence s’était fait, mais elle flottait au-dessus. Rapide tour d’horizon des lieux. Elle choisit sa place à l’écart, près de la fenêtre.
Cette presqu’adulte n’était pas particulièrement jolie. Jeans, t-shirts, sa seule fantaisie était le tatouage dans son dos, qu’on apercevait en haut du cou. Elle rayonnait pourtant d’une force incroyable. Elle ne souriait pas. Elle semblait faite d’une matière ouatée, d’une substance envoutante. J’aurais voulu lui parler. Pour lui dire quoi ? Nous n’avions rien en commun. D’un battement de paupière, elle avait commandé un expresso.
Les conversations avaient repris, teintées de fiel, d’envie et de jalousie. C’est là que j’ai reçu cette gifle. Cette fille planait au-dessus des marécages dans lesquels nous étions engluées. Au-delà de sa détresse, l’assurance et l’espérance transparaissaient dans chacun de ses gestes ; nous n’étions que solitude et renoncement. Toute son énergie nous dominait, sa présence discrète nous écrasait.
Ses yeux tournés vers la fenêtre, elle regardait ailleurs. Elle avait pris un carnet pour griffonner. Elle respirait le monde, l’absorbait, le capturait de ses mots, noircissant les pages. Un casque sur les oreilles la maintenait dans sa bulle. Elle secouait la tête, remuait les lèvres, donnait vie, rythme et mélodie à la révolte qui marquait son visage déterminé.
J’étais soudainement épuisé. Ce jour-là, la vie avait gagné.
Podcast
La semaine prochaine, le podcast Double Vie accueille Maun, un des piliers du groupe Demago. Demago est un groupe d’une énergie incroyable, qui produit une musique ciselée, mais surtout servit par des paroles absolument magnifiques. Si vous ne le connaissez pas encore, je vous invite à écouter leur dernier album « BatTement », qui est pour moi un des deux albums marquants de cette année (l’autre étant « Lundi Méchant » de Gaël Faye).
Et si vous ne l’avez pas encore fait, je vous invite à écouter le podcast de la semaine dernière avec Jean-Claude Lalumière, pour aller au-delà de sa page 72.
🎧 À écouter sur la page Double Vie.
À retrouver également sur Apple Podcast.
La dose de flow
Musique
Cette semaine, j’avais besoin d’énergie positive, de légèreté et de fun. Je retourne donc dans les années 70 avec Electric Light Orchestra. Je recommande de jeter un œil sur le mélange « opera rock » Rockaria !
En attendant, je vous laisse commencer le week-end avec Mr Blue Sky. Ne résistez pas, bougez la tête, bougez tout le corps. Alors, ça va mieux ?
Inspiration
Miles Davis avait coutume de dire « Ne craignez pas les erreurs, il n’y en a pas. » (Do not fear mistakes. There are none). Il incarnait le jazz et la liberté créative.
Je suis tombé sur cette vidéo de Herbie Hancock qui remet cette devise en perspective en racontant une anecdote, une histoire qui s’est produite lorsqu’ils étaient ensemble sur scène. Herbie Hancock explique comment Miles vivait la musique, l’improvisation, la création.
La vidéo dure 5 minutes et vaut vraiment la peine d’être écoutée. J’en ai la chair de poule.
À suivre
Je ne veux pas m’étendre sur l’actualité. Le choc et la tristesse me hantent.
Je serai avec mon fils chez moi pour participer à notre première session d’atelier, à quelques encablures de la place de la République.
Je sais déjà que je serai aussi dehors, à battre le pavé par la pensée. Pour oublier les névroses, les dérives de notre vieille Société. Pour croire dans la jeunesse.
Je vous souhaite un merveilleux week-end !
— mikl 🙏
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Photo by Ivan Vranić on Unsplash
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