Alors, comment se passe votre week-end ?
Les émotions sont vraiment des créatures étranges. Quelque chose de l’ordre de l’immatériel, un truc vaporeux qui nous balade, souvent nous envahit sans qu’on sache vraiment pourquoi. Un truc dont on veut s’affranchir, se libérer. Mais, comme le pansement du capitaine Haddock, les émotions nous collent. Elles sont de plus en plus difficile à maitriser lorsqu’on cherche à les contrôler. Elles deviennent alors l’enjeu d’un combat qui se joue en nous (et de nous).
Pour prendre tout cela à la légère, j’ai mis en scène ce combat émotionnel.
Voici donc un texte un peu différent aujourd’hui, autour de l’injonction paradoxale du lâcher-prise.
Au front
Ils ont envie de pleurer. Tous les signes sont là. Ils sentent presque déjà le flot de liquide se rassembler sous les paupières. Sauf qu’il n’y a pas de larmes. Rien. Nada. Complètement sec.
Les yeux se prennent alors une remontrance. Le cerveau les a vus venir. Il sait que les deux jumeaux, coincés dans leurs orbites ne doivent pas lâcher. Il faut tenir la position, sinon ce serait la bérézina. Tout partirait à veau l’eau. Les jambes flageoleraient. Il faudrait peut-être même s’assoir, la tête dans les mains. Alors, tous regards se tourneraient vers eux. Ils seraient à découvert. Et dans cette putain de guerre, à découvert on ne fait pas long feu.
Le cerveau lance un signal. Il tient ses troupes. Les nerfs sont à fleur de peau. Parfois les mains tremblent. Un peu. C’est imperceptible. Ils tiendront.
Il est satisfait, il arrive plutôt bien à maintenir le contrôle. Il a été formé pour ça après tout. Tel un marionnettiste, il sait user des bonnes cordes pour donner cohérence au mouvement d’ensemble. Jouer de ces fils tendus, prêts à craquer. Les épaules se redressent un peu. Trop. Flute ! Elles sont presque sous les oreilles. Mais heureusement, elles ne peuvent pas monter plus haut. Cela fera l’affaire. Tout est histoire d’illusion.
Pourtant, la mutinerie guette toujours. Dans les moments les plus tendus, il faut pourtant réconforter les troupes. Mais, il sait y faire, oh oui ! Double ration ! Puis, plus tard, il jettera une plaque de chocolat sur la table. Comme toujours, le corps se relâchera, un peu, et l’affaire sera entendue.
Ils tiendront la position.
Vis-à-vis de l’extérieur, il joue évidemment plus serré. Le cœur vient brouiller le discours. Pas le moment d’envoyer un message trouble. Cohérence, on. a. dit. Projeter une image d’unité. La ligne est simple : « Le corps est uni derrière le cerveau, nous ne céderons pas d’un pouce. » Ça vaut donc aussi pour le palpitant, qui ne doit pas se désolidariser.
Sauf, que ça, ça marche dans l’armée. « Yes, Sir! ». Dans le civil, il faut être un peu plus subtil. Honnêtement, les règles sont complexes. Les appliquer tout en maintenant la discipline interne est un combat de tous les instants. Alors, parfois, la coordination fait défaut. Il ne pleure pas, non, quelle horreur !, mais le discours flanche, hélas. Les doutes du corps et du cœur transparaissent. Une phrase de trop et ils sont tous exposés. S’ils montrent trop leurs faiblesses, leurs failles, alors tout peut s’écrouler. Les deux jumeaux lâchent d’abord leurs larmes et après ? Après tout peut se passer. Il faut battre en retraite. Laisser la place à encore plus de doutes. Soigner de nouvelles plaies. La solution est d’en dire le moins possible. Derrière son masque, observer. Prendre l’air entendu de celui qui sait. La position du sage. Les mots nous trahissent trop facilement. Involontairement, ils révèlent nos failles, donnent les plans de notre royaume. La carte de ce qui nous atteint, de ce qui nous touche. Livrer ces informations ? De la haute trahison !
Comme à la guerre, les émotions sont fluctuantes. Un jour, une bonne nouvelle et les troupes se sentent pousser des ailes. Un signe négatif en revanche peut prendre des proportions gigantesques.
La dernière fois que cela s’est produit, c’était derrière la vitre d’une salle d’embarquement, après un long au revoir. En réalité, il ne compte plus les incidents. Pot de départ. Chorale de l’école. Remise de diplôme du fiston. Parfois c’était juste la mélancolie. Comme ce jour-ci.
À quoi bon se battre encore ? pense-t-il. Il ne sait plus. Il veut pleurer. Évacuer les pensées toxiques. Mais, encore une fois, ce ne serait pas pour aujourd’hui. Mission accomplie pour le cerveau. Ils sont toujours retranchés, il a tenu ses troupes.
Puis, le rideau se ferme. Noir. Une journée se termine, sous les applaudissements. On est loin de la standing ovation, mais c’est finalement ce spectacle qui les fait tenir. The show must go on.
Podcast
Cette semaine, le podcast Double Vie termine la saison 1 par une interview de Xavier Dollo et Simon Pinel. Tous deux ont créé la maison d’édition Argyll. Xavier Dollo est également auteur, publiant parfois sous le pseudo de Thomas Geha. Ils nous parlent d’écriture et de création, mais surtout nous partage leur vision moderne de l’édition et du monde du livre.
🎧 À écouter sur la page Double Vie.
À retrouver également sur Apple Podcast.
La dose de flow
Musique
J’ai besoin d’un petit morceau qui donne la pêche. Voici, un morceau que j’ai récemment découvert. « Break my Baby » est un morceau du groupe islandais (!) Kaleo, que j’ai choisi pour la voix rocailleuse du chanteur et les riffs de guitare bluesy.
Inspiration
Kurt Vonnegut est un auteur un peu fantasque qui écrit des histoires entre science-fiction et fable politique.
Je me souviens encore de sa nouvelle « Le chien hirsute de Thomas Edison ». Elle m’avait marqué il y a presque 20 ans. Je ne sais pas si elle est traduite en français, mais elle est retranscrite ici en VO avec quelques typos : Tom Edison’s Shaggy Dog.
Kurt Vonnegut Jr est drôle et ses textes, en particulier ses textes courts, sont souvent très malins.
C’est un grand conteur. Voici une courte vidéo (en Anglais, avec sous-titres catalans 🤷♂️) où il résume très bien les différents trajets émotionnels procurés par les histoires. Les émotions, toujours, on y revient.
À suivre
Toutes mes excuses pour le retard de cette lettre, j’ai été réveillé par une alerte pour client, que j’ai dû traiter au milieu de la nuit 😕
Mais les vacances scolaires arrivent et l’année touche à sa fin.
J’ai l’impression que l’on se réconforte tous à l’idée de passer cette marque symbolique, clore 2020 pour accueillir 2021 et mettre derrière soi une année qui semble maudite.
Ne dites pas si vite au revoir à 2020. Je vous souhaite de passer d’excellents moments, chargés d’émotions et de connexion avec vos proches, dans les jours qui viennent.
En attendant, je vous souhaite un merveilleux week-end !
— mikl 🙏
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Photo by Ivan Vranić on Unsplash
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