Alors, comment se passe votre week-end ?
C’est l’hiver, il pleut et on ne peut pas sortir après 18 h. La lecture au coin d’un feu symbolique me semble être la meilleure option pour passer un bon moment.
Alors, voici une courte fiction pour donner le ton.
Bonne lecture !
Pataphysique
— Et qu’est-ce qu’il y connait en train, ton Einstein ? lui dis-je.
— Je suis d’accord, répondit Lucius à contrecœur. Je l’aime bien, mais là, c’est n’importe quoi. Tu te vois lancer un train dans un tunnel à la vitesse de la lumière ? Le train, c’est un mode de vie. Le plaisir de voyager. Oui, la lenteur. La vie qui s’écoule et prend son temps. C’est dans la définition de la charte du ministère des Transports, je t’assure. Un train doit nous laisser apprécier le paysage. Bon, à sa décharge, c’est bien de temps dont il parle dans son expérience. Espace, temps et relativité…
— Oui, ben moi, ça ne me convainc pas, répondis-je. Les expériences mentales, j’ai toujours trouvé que c’était une manière de tricher. Tu te souviens d’Archimède ? Ça pousse vers le haut, ça flotte, ça, ça me parle. Et de Newton ? Une pomme tombe, je vois le truc, je le ressens. Tu vois, la physique moderne, c’est vraiment surfait. Et que je te démontre l’hypothèse avec une mise en scène. Je ne dis pas que c’est une escroquerie, mais je me permets de douter.
Lucius se leva, l’air renfrogné pour s’approcher de la fenêtre. Il fit un saut du double sa hauteur pour atterrir sur la fenêtre. Il remuait sa queue par à-coups, signe d’un énervement persistent. Car je le connaissais bien, Lucius. Lui et moi avions fait les quatre cents coups. Nous avions la même maitresse à l’époque. C’était une vieille dame qui nous avait donné l’amour du voyage… et des trains. Alors, sur ce point, on pouvait se targuer d’en connaitre un peu plus qu’Einstein. Nous avions suivi notre Lady dans l’Orient Express lorsqu’elle parcourait l’Europe. Chats fidèles et modèles. Le jour en tout cas.
Je me souviens de ce voyage. La cabine était vaste, toute à nous, les deux matous, lorsqu’elle était au wagon-restaurant. Pendant que la tête de madame tournait avec du bon vin, nous restions seuls à refaire le monde.
Le balancement pendulaire des wagons rythmait la langueur de nos discussions philosophiques. Ce n’était ni le bateau ni le train qui était ivre. Juste nous, deux comparses ravis de vivre notre plus belle vie.
La nuit, Madame laissait la porte de sa cabine entrouverte. Nous nous faufilions dans l’étroit couloir, les pupilles dilatées par l’obscurité pour rejoindre les cuisines. Le chef nous aimait bien, c’est sûr. Certains soirs, il nous donnait quelques restes de poisson. Puis nous retournions dormir dans la cabine, repus, bercés par le cliquetis des roues passant sur la jonction des rails. Tata tatoum. Tata tatoum.
Parfois le matin, nous entrions dans une gare. Je me souviendrais toujours du sifflement du métal, qui avait précédé l’arrivée à Constantinople, notre destination finale. Le palace qui nous avait accueillis était confortable, mais rien ne valait le train, l’ambiance feutré entre gens et chats de bonne famille, cette sensation de mener une vie hors du temps.
Puis, il y a eu ce voyage, en train également, aux États-Unis. Le dernier. Nous étions partis de New York. Ce n’était pas le même confort, loin de là. Nous pressentions aussi déjà quelque chose. Un truc de chat, un sixième sens. Madame n’a jamais atteint Washington en vie.
Lucius et moi étions deux orphelins. Mais notre destin a croisé d’illustres personnages, deux amis qui étaient du voyage. Albert Einstein a choisi Lucius et cela a scellé notre séparation.
Nous voici réduits à refaire le monde entre les déplacements, les séminaires les conférences. De temps en temps, lorsque l’agenda de nos maitres le permet.
Ce jour-là, où nous repensions au bonheur passé, à disserter sur la science, nous n’avons pas assez profité de cet instant ensemble.
Einstein et mon maitre s’étaient disputés sur un problème quantique ce jour-là. Erwin voulait toujours avoir le dernier mot. Lorsque nous sommes rentrés à la maison, Erwin Schrödinger avait ce regard perdu dans le vide, la tignasse hirsute. Il avait une idée, une intuition et j’allais pouvoir l’aider. C’est ce qu’il m’avait soufflé.
Maintenant, je suis seul dans ma boite, dans le noir, à atteindre mon destin. À côté de moi, je devine la fiole de poison, bien entière, pas encore brisée. Elle est scellée et je ne peux la boire, pas avaler la cigüe et dire au revoir. Fichue expérience !
Einstein avait peut-être raison. J’ai perdu le sens du temps. Suis-je vivant ? Suis-je mort ? Je n’en sais rien. Je me console en me disant que je fais avancer la science. Peut-être qu’un jour, cette expérience me rendra célèbre. Tout chat que l’on est, on a bien le droit de rêver, non ?
J’ai pris beaucoup de plaisir à écrire ce texte, qui combine plusieurs références. Il rend d’abord hommage à la nouvelle de Kurt Vonnegut Tom Edison’s Shaggy Dog. Il fait également référence au paradoxe du train d’Einstein et à la fameuse expérience du chat de Shrödinger, qui est devenu un pilier de la culture “geek”.
La dose de flow
Musique
Florence + The machine est un groupe anglais, porté par deux artistes atypiques. Florence Welch a la personnalité forte et Isabella Summers, la claviériste, « La machine », qui reste dans l’ombre.
La voix magnifique de Florence flotte sur des morceaux souvent planants. Un rock inclassable, fort, porté par un féminisme symbolique et signifiant. J’ai eu la chance de voir le groupe en concert, leur présence sur scène est incroyable.
Voici une version live d’un de leurs morceaux phares « What Kind of Man ».
Inspiration
Pourquoi on se pose des questions ? Dans une conférence TEDx, le YouTuber qui anime la chaine VSauce, Michael Stevens revient sur les motivations de son approche de la vulgarisation scientifique, par des questions en apparence stupides.
Comme dit Michael Stevens : « Si vous y observez avec suffisamment d’attention, tout peut devenir intéressant pour chacun, parce tout est lié d’une manière ou d’une autre à quelque chose qui les intéresse. » Et c’est vrai. C’est le lien qui donne le sens, et les liens, les connexions nous sont propres. À nous de donner de la valeur aux idées à nos yeux en les reliant entre elles.
Si vous ne connaissez pas sa chaine, VSauce, allez y jeter un œil, vous passerez un bon moment.
À suivre
Le premier enregistrement de la saison 2 de Double Vie est dans la boite. Reste à faire le montage. Le podcast redémarre le 24 février, toujours avec un épisode toutes les deux semaines.
D’ici là, je vous souhaite un merveilleux week-end !
— mikl 🙏
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Photo by Ivan Vranić on Unsplash
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