Alors, comment se passe votre week-end ?
C’est le moment de faire une pause, de se poser. Mais qu’y a-t-il à l’opposé du spectre, à l’opposé de l’ancrage qui peut-être nous attend ? Je vois le mouvement, la dérive, la fluidité, parfois les flots qui se déchainent, le bateau qui tangue.
L’idée de tempête vient avec un imaginaire puissant. C’est le souffle incarné, l’affirmation de la force de la nature. La tempête fait voler en éclat notre espoir de tout contrôler.
Le roman sur lequel je travaille se passe en partie sur un bateau. La tempête entre dans cet imaginaire, comme une métaphore évidente de la vie. La tempête, ou au moins sa possibilité, est là. Elle plane toujours au-dessus d’une embarcation. Le marin n’est pas maitre du temps. Il doit faire avec les éléments. Traverser une tempête est une épreuve que le navigateur redoute, mais auquel il se prépare toujours.
Alors, dans mon texte, y aura-t-il tempête ou pas ?
La mer s’agite, le vent souffle, la barque tangue, une barque qui flotte dans un climat changeant, sur laquelle notre volonté n’a que peu de prise. Bateau Ivre, Oceano Nox, la mer évoque le destin et le chaos. Quand l’océan, mi-fluide, mi-solide, se déchaine, on rêve de terre ferme et d’ancrage.
Lorsque le vertige s’installe, lorsque la panique gagne, il faut respirer, se stabiliser. Souvent, on visualise l’ancrage comme le fait d’être bien posé dans le sol, avoir les pieds sur terre, comme on dit.
Pourtant, nous sommes dans une métaphore. Lorsque la tempête est dans la tête, l’ancrage est immatériel. Trouver la stabilité, ce n’est pas devenir un arbre, ce n’est pas creuser le sol, pour y enterrer ses pieds, c’est aussi être un humain connecté à d’autres humains, des soutiens, des modèles qui jouent un rôle essentiel dans la stabilité. L’ancrage est mental et social.
Voici une anecdote que j’ai vécue il y a bien longtemps et qui m’est revenue aujourd’hui.
J’ai passé il y a une quinzaine d’années mon niveau de plongée CMAS 1. Le CMAS est assez difficile et le niveau 1 demande déjà un bon physique, un travail théorique et une pratique sérieuse.
L’épreuve la plus difficile consiste à faire quelques opérations d’urgence, posé sur le sol, sable et rochers, à 10 mètres de profondeur. Il faut alors enlever son masque lentement, puis le remettre. L’épreuve est assez effrayante. En enlevant le masque, on ne voit plus grand-chose. Surtout, le masque empêche l’eau de rentrer dans le nez. Sans le masque, en revanche, on sent soudainement l’eau salée rentrer dans ses narines. Un mauvais réflexe est possible et on respire alors de l’eau. Avec le masque, le fait d’aspirer par le nez le resserre contre le visage, donc il n’est pas possible de se tromper. Sans masque en revanche, les réflexes naturels de la respiration reviennent et respirer par le nez devient un vrai risque.
Je me suis donc retrouvé les genoux posés inconfortablement dans le fond de la mer, avec le vertige des 10 mètres d’eau au-dessus de moi.
Pour cet exercice angoissant, ma monitrice s’est posée face à moi, elle aussi les genoux au sol. Elle m’a fait un geste m’indiquant de ne pas la quitter du regard. Sous l’eau on communique par geste. À quelques centimètres de moi seulement, elle a saisi fermement mon gilet de plongée, puis m’a fait signe de me lancer. Les yeux dans les yeux, j’ai trouvé la force de faire l’exercice, sans penser à rien d’autre, très concentré. En enlevant le masque, je me suis senti aspirer un peu d’eau par le nez. J’ai bloqué immédiatement tout mouvement. J’ai respiré par la bouche, dans le détendeur, pour calmer ma panique et surtout je n’ai jamais lâché la coach du regard. J’ai senti sa confiance. Aucune faiblesse. Aucun sentiment de panique en elle. Elle était là, prête à intervenir en cas de faux pas, j’imagine, pour me sortir de l’eau en urgence en cas d’échec. Mais même lorsque ma respiration s’est emballée dans le détendeur, je suis resté dans l’instant. Je n’ai jamais senti le doute dans son regard, jamais senti sa poigne me maintenant au sol près d’elle se relâcher.
J’ai finalement remis le masque, lentement, appliqué sans empressement la procédure en soufflant par le nez pour le vider, en suivant méticuleusement les étapes qu’elle me mimait.
Ce souvenir m’est revenu soudainement comme l’image absolue de l’ancrage. La panique est envahissante. Comme l’eau, elle s’insinue un peu au début, dans les narines. La panique guette. C’est le moment où tout peut basculer.
Mais tout le calme, tout l’ancrage du monde était dans ce regard, un regard qui s’accroche à un autre, un horizon, une âme dans laquelle se perdre pour se retrouver, pour oublier le chaos, trouver la mer d’huile qui se cache dans la tempête.
Plus rien n’existe hors de ce type de regard, celui qui fait disparaitre la peur.
La force du regard est devenue une évidence pour moi. Peut-être cette image vous aidera-t-elle.
Lorsque la panique gagne, cherchez un regard.
Ce même regard, notre regard, peut aussi guider, inspirer, nous permettre d’être à notre tour pour nos proches, nos collègues, cette image de solidité, de confiance. Cette poigne qui rassure et ce regard plongé dans le leur, qui leur permet d’oublier leurs peurs.
Aujourd’hui, malgré nos visages camouflés par le masque chirurgical, les émotions sont là. Tant qu’il reste les regards, apeurés ou assurés, fuyant ou généreux, nous pouvons échanger, nous sommes connectés et nous sommes ensemble.
Podcast
Cette semaine, le podcast Double Vie accueille Christophe Nicolas. Christophe Nicolas est l’archétype de l’auteur qui fait avancer son art, texte après texte, sans prétention, un auteur décontracté, avec une modestie désarmante. Il écrit depuis 20 ans, avec régularité, pour le plaisir de raconter des histoires. Il sort prochainement Trackés, son cinquième roman.
🎧 À écouter sur la page Double Vie.
À retrouver également sur Apple Podcast.
La dose de flow
Musique
BattleStar Galactica est une série de science-fiction culte. L’univers développé, l’ambiance a un caractère envoutant. La voix magnifique de Raya Yarbrough qui s’élève du générique est inoubliable et donne une coloration particulière à la série.
Voici la musique de Bear McCreary, composée pour la série BattleStar Galactica, dans un concert épique.
Merci Noëmie pour cette découverte 👌
Inspiration
Alors vous êtes de bonne humeur ce matin ? Voici une inspiration simple et directe, avec une voix rassurante. Comme le regard, la voix apaise.
Surtout la voix d’Édouard Baer. Son rythme, sa tessiture, ces basses vibrations qui semblent venir d’une autre dimension, plus sensorielle. Il a quelque chose qui apaise et qui transporte.
Voici une de ses anciennes chroniques sur Radio Nova, qui nous rappelle que la bonne humeur est communicative.
À suivre
J’espère que cette exploration de la force du regard vous aura inspiré. Je pourrais en parler des heures, tant je pense que cette puissance est sous-évaluée. La série TV See a par exemple cherché à explorer un futur post-apocalyptique dans lequel l’humanité a perdu la vue, mais hélas exploite assez mal son potentiel narratif.
(Oui, je sais, je n’ai pas répondu à la question « Tempête ou pas tempête ? » 😉)
Je vous souhaite un merveilleux week-end !
— mikl 🙏
Photo by Ivan Vranić on Unsplash
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