Alors, comment se passe votre week-end ?
Je repense au dernier voyage que j’ai fait. C’était en février dernier, pour passer quelques jours au Crotoy. Je me souviens de cet arrêt étrange juste avant Amiens.
La gare de Longueau est à cinq minutes de la gare d’Amiens. Lorsque le train s’y arrête, je sens dans l’échange de regards interrogatifs qu’on se demande tous ce qu’on fait là. C’est certainement un nœud ferroviaire. L’arrêt renvoie à une activité passée, qui n’en finit pas de mourir.
Et de fait, cette gare ressemble à une gare fantôme. Les bâtiments de brique rouge qui la bordent semblent désaffectés. Il n’y a pas âme qui vive, personne pour monter ou descendre du train à cet endroit gris, froid et triste.
Une gare fantôme. C’est une façon de parler, non ?
C’est surtout un lieu qui semble être une passerelle vers le passé, un vestige dont la seule raison d’être est d’ouvrir une porte temporelle.
Et cela fonctionne. Déjà ma mémoire s’active, des souvenirs se réveillent et le voyage commence.
Nous voilà en février 2000. Après une escale à Zurich, l’avion se pose à Sarajevo. Au bord de la piste, il reste une carcasse d’avion calciné. Depuis combien de temps est-elle là ? Cinq ans ?
Nos amis qui travaillent dans la diplomatie, à Sarajevo même, nous accueillent à l’aéroport. Dans la voiture qui nous emmène chez eux, ce sont les retrouvailles. Dehors, il y a des bâtiments qui paraissent à l’abandon, sans vitre, avec des impacts de balles sur les façades. Des gens pourtant s’y sont réinstallés. C’est l’hiver, il faut bien.
La ville se reconstruit. La vie y a repris normalement, même si des fantômes se trainent à chaque coin de rue. Il y a ce tristement célèbre tramway, cible des snipers sur les montagnes. La ville est dans une cuvette et la configuration est oppressante. L’histoire fait que ce n’est plus la charmante ville de montagne qu’elle pouvait être.
Nous dégustons ensuite une pâtisserie dans le centre, du halva acheté dans le vieux quartier musulman, aux petites maisons en bois. D’où qu’on soit, on voit les montagnes et j’en frissonne. Je peine parfois à respirer. Des militaires viennent manger un morceau ici aussi. Ils sont Français, Italiens, Anglais, … Nos amis sont devenus experts pour reconnaitre les différences subtiles du moucheté des uniformes. 50 nuances de kakis.
Puis ils nous emmènent visiter la région. Mostar n’est pas très loin. La ville est célèbre aussi. Pour son pont magnifique du XVIe siècle. Et, aujourd’hui encore, pour les combats acharnés qui s’y sont déroulés. Il n’y a finalement pas si longtemps. La paix est arrivée en 1995 et la reconstruction n’est pas terminée.
Il me reste quelques images de Mostar, sous un magnifique soleil hivernal. La ville, encore déserte. On y croise seulement quelques 4×4 de l’ONU conduits par des casques bleus.
Nous nous arrêtons un petit moment dans Mostar, marchons près de la rivière qui servait de front pour de violents affrontements. La vision qui me revient est celle de ses ruines, ses bâtiments à la façade entièrement sculptée à l’arme automatique. Il ne semble pas y avoir un centimètre carré qui ne soit façonné par une balle. Derrière les façades qui tiennent encore debout, par miracle, il reste des sacs de sable, une dérisoire mais nécessaire protection contre la pluie de métal.
Il ne fait pas bon s’attarder dans cette cité meurtrie. Une présence plane encore dans la ville abandonnée. Entre les façades criblées d’impacts, les restes de sac de sable, sous le soleil qui embellit le lieu, je vois la réalité des fantômes qui l’habitent. Je vois les hommes armés et tremblants, leur peur et leur rage.
Lorsque le passé refuse de quitter le présent, lorsque ceux qui les ont habités n’ont pas pu déserter les lieux, il reste une présence évidente et palpable. Physique.
Alors, je crois aux fantômes depuis ce jour où je les ai rencontrés.
Podcast
La semaine prochaine, le podcast Double Vie accueille Julien Simon. Julien est directeur éditorial de Rocambole, un éditeur de série littéraire qui distribue son contenu au travers de sa propre application. Il nous parle de son parcours, de création et de sa passion pour la narration et les histoires bien construites.
Pour patienter, si ce n’est pas déjà fait, je vous recommande d’écouter le podcast Double Vie de la semaine dernière avec l’autrice Mélanie Fazi. C’est une personnalité qui mérite votre attention.
🎧 À écouter sur la page Double Vie.
À retrouver également sur Apple Podcast.
La dose de flow
Musique
Je suis un fan d’Éric Clapton. De la première heure. Non, je ne le suis pas depuis ses débuts. Je veux dire par là, vu mon âge, qu’il m’a fasciné dès les premières écoutes et qu’il m’a toujours accompagné, depuis la fin du collège.
Je suis tombé cette semaine sur un enregistrement de la première fois où il joue Tears in Heaven en public. C’était en 1992, lors d’une interview avec Sue Lawley. Le morceau est magnifique évidemment, mais le revoir jouer dans le contexte de l’époque est encore plus émouvant. Cette chanson était encore inconnue. Il explique dans l’interview que c’est une des premières chansons qu’il a écrite après l’accident mortel de son fils.
Vous pouvez également regarder l’interview dans son intégralité. Elle est sincère et passionnante : Eric Clapton : Sue Lawley 1992.
Inspiration
J’avais abandonné la série Breaking Bad après le choc du deuxième épisode. Je l’avais trouvé trop sombre. J’ai repris la série après avoir vu l’excellente série préquelle « Better Call Saul », par les mêmes créateurs (et je recommande de commencer par celle là même s’il manque encore une saison pour faire la jointure).
J’avoue que les deux séries sont des modèles absolus de narration et de construction des personnages.
Je me demandais pourquoi la série se passait à Albuquerque. C’est une ville méconnue. Je pensais que rien ne s’y passait, mais j’ai découvert depuis que c’est là que Microsoft avait été fondée.
Toujours est-il que la série a choisi de se situer dans cette ville et que cela lui donne une ambiance inédite et une sorte de marque de fabrique, un peu comme le Minnesota représente Fargo.
Dans l’excellente masterclass qu’il a donné en 2011 au Forum des Images à Paris, Vince Gilligan donne la réponse, et ce n’est pas ce que l’on croit. Le Nouveau-Mexique avait proposé une subvention de 25 % en retour sur le budget de la série si elle était tournée localement.
La série devait se passer dans le sud de la Californie, mais le studio a alors proposé à Vince Gilligan de tourner à Albuquerque, en remplaçant les plaques d’immatriculation pour donner l’illusion d’être en Californie. Vince Gilligan a compris que cela ne collerait pas, car le désert, les montagnes et la configuration de la petite ville sont très caractéristiques. Il a choisi d’adapter son scénario pour utiliser l’image d’Alburquerque dans l’ambiance de Breaking Bad. Cette décision est finalement un élément de plus qui en fait une série culte.
Vous pouvez voir ici l’ensemble de sa passionnante interview :
À suivre
Souffler, respirer, débrancher son esprit pour s’abandonner à quoi ? À la lecture, à l’aventure et au rêve. C’est le seul mot d’ordre cette semaine. Lâcher prise.
Je vous souhaite un merveilleux week-end !
— mikl 🙏
Photo by Ivan Vranić on Unsplash
Laisser un commentaire