Alors, comment se passe votre week-end ?
Moi, je suis rassuré, rassuré de voir que je ne suis pas seul, lancé dans ce projet fou d’écrire un roman en étant développeur et chef d’entreprise. J’ai découvert que Salvatore Sanfilippo (aka Antirez) prépare également un roman (de Science-Fiction, pour lui). Salvatore est le créateur de Redis, un logiciel serveur utilisé par des milliers d’entreprises dans le monde, tout comme ejabberd, le logiciel que j’ai contribué à bâtir.
Salvatore pense lui aussi que l’exercice est proche de la programmation. Nous avons une vision très similaire de ce qu’est devenu la tech mais aussi des points communs entre écriture et développement informatique. Je partageais d’ailleurs mon impression dans le Flow #59.
Ce que j’ai découvert, en revanche, c’est qu’écrire un roman est un travail bien différent de la construction d’une nouvelle.
Eh oui, en commençant à écrire un roman, je n’avais pas bien compris dans quoi je me lançais. Je n’étais pas prêt, et c’est certainement pour ça que je l’ai fait sans hésiter.
Le problème n’est pas simplement le temps matériel pour écrire un grand nombre de signes, de mots et de pages. Ça, c’est la partie émergée de l’iceberg. La partie immergée est gigantesque et ne transparait pas vraiment lorsqu’on est simple lecteur. Je me suis lancé dans l’aventure, serein, sûr de moi, comme le commandant du Titanic.« Je vais fendre la glace, je suis équipé pour ça ! ».
Et en effet, j’ai une grande capacité de travail. On ne peut nier que cela aide à produire, à avancer. J’ai une idée prometteuse, quelques nouvelles à mon actif. « Tout va bien, tant que l’orchestre continue de jouer. »
Mais voilà, l’histoire que l’on trouve dans les romans n’est qu’une toute petite partie, visible pour le lecteur, d’un monde à développer, à faire naitre dans sa tête. Je pensais qu’un roman était comme une nouvelle, en plus grand. On a une histoire, on y met des personnages pour l’habiter, et comme pour un programme informatique, on ne développe uniquement que ce dont on a besoin directement, maintenant. On appelle ça le MVP, le Minimum Viable Product (Produit Minimum Viable). Mais, même en informatique, c’est trompeur. Il existe un monde entre un MVP et un produit industriel. Il faut de la documentation, du support, un nombre de fonctions d’intégration, de reporting, etc. que l’on ne soupçonnait pas du tout au départ.
Moi qui suis partisan du minimaliste, je ne dis pas surtout pas qu’il faut allonger la sauce, noyer le lecteur de détails. Mais tous ces détails qui ne sont pas dans le texte y laissent pourtant leur empreinte. Ils sont là, en creux. Comme Bruno Tessareh le dit dans « L’atelier d’écriture », ils restent présents dans les « marges blanches », au lecteur de les ressentir, de se les approprier et de les traduire dans son propre imaginaire.
Une nouvelle est une tranche de vie. C’est un MVP, un prototype. Son auteur ne connait souvent des personnages qu’une partie de leur vie et de leur personnalité, ce qui apparait dans le texte et pas forcément beaucoup plus. Une nouvelle est souvent limitée, et c’est l’expérimentation, l’exploration, la contrainte et la spontanéité qui la rendent intéressante. Elle fait partie d’un spectacle, d’une illusion, comme une scène hollywoodienne tournée dans un décor en carton-pâte. On dépasse le coin de la rue et il l’univers s’évapore. C’est le lecteur qui le complète grâce à son vécu et son imagination.
Un roman, c’est un univers complet. Ce n’est plus un prototype, c’est un produit industriel. C’est un iceberg. Il y a trop de coins de rue pour pouvoir tourner dans un décor artificiel. Il y a un monde, justement, entre ce que le lecteur voit et ce qui est nécessaire pour supporter l’histoire, pour qu’elle fonctionne, pour donner de la profondeur aux personnages. C’est la profondeur qui permet au lecteur de sentir ce monde, de le toucher, d’y croire. Les détails le consolident, pour ne pas qu’il s’effondre au moindre souffle de vent.
Écrire un roman, c’est ça, c’est développer un monde dans sa tête. Lorsque ce monde atteint un stade suffisant, il devient obsédant et hante son auteur. C’est le moment où le roman prend vie. Il accompagne l’auteur partout. Cette obsession, c’est son cerveau qui travaille en permanence pour trouver les failles et donner de la cohérence à l’univers.
Ce monde se bat pour vivre sa propre vie. On ne sait plus si les personnages existent, si on les a déjà croisés. La frontière entre la fiction et la réalité se brouille. L’histoire de chaque personnage est une pièce d’un puzzle complexe, en trois dimensions. On doit polir chacun des fragments jusqu’à ce que tout s’assemble pour former une sphère parfaite, aux jointures invisibles. Un globe, un univers qui prend son autonomie.
Un monde dans sa tête.
Ça a quelque chose de grisant, non ?
Podcast
La semaine prochaine, le podcast Double Vie accueille Camille Leboulanger. Camille enseigne le français, mais il est également auteur, avec 4 livres publiés sur une dizaine d’années et une façon d’écrire en dehors des codes des genres qu’il abordent.
Pour patienter, vous pouvez écouter le podcast de la semaine dernière avec Sylvie Poulain, ancienne pilote d’hélicoptère, relieuse artisanale et autrice dans l’imaginaire.
🎧 À écouter sur la page Double Vie.
À retrouver également sur Apple Podcast.
La dose de flow
La communauté Double Vie
Ça fait plaisir d’annoncer de bonnes nouvelles venant de la communauté Double Vie.
Sylvie Poulain vient de remporter le prix Alain Le Bussy 2021, pour sa nouvelle « Vingt-mille nuits sans lumière ». Bon, déjà, un titre aussi brillant, cela mérite en effet un prix. Cette récompense est surtout de très bon augure avant la publication de son roman. Cette nouvelle se passe dans le même univers. Sylvie démontre donc déjà sa capacité à susciter de l’intérêt pour le monde qu’elle a créé. Bravo et vivement la publication du roman !
Musique
Je m’en souviens encore. C’était encore les années 80, cette époque musicale qui a généralisé l’usage des synthés et des arrangements qui ont usé et abusé de l’outil. Et puis, il y a eu Tracy Chapman. Je me souviens de cette jeune femme inconnue, seule sur scène dans le méga-concert pour les 70 ans de Nelson Mandela à Wembley.
J’écoute encore régulièrement Tracy Chapman. Sa voix me donne toujours la chair de poule. Voici Talkin’ About A Revolution, son morceau emblématique.
Inspiration
L’attention est une des ressources les plus rares aujourd’hui. L’attention, c’est ce qui permet et libère la créativité.
Dans cette vidéo TED, l’acteur Joseph Gordon-Levitt explique que l’attention présente deux facettes, comme une monnaie. Il y a l’attention que l’on reçoit, et l’attention que l’on donne.
L’attention que l’on reçoit est une drogue, une addiction exacerbée par les réseaux sociaux. Elle détruit la créativité en l’asservissant, en la transformant en un moyen de se mettre en avant. Cette attention divise les artistes en les mettant en compétition pour l’attention des autres.
Et puis, il y a l’attention que l’on donne, à soi, à son art, à sa pensée et aux autres. C’est celle qui déclenche l’état de Flow, de concentration intense, de focus, celle qui ressert le monde sur le moment présent et les êtres qui se trouvent autour de nous. Le Flow, qui a donné son nom à cette lettre, est une forme d’état de légèreté et de grâce. C’est un état de connexion, de partage et de collaboration.
Je vous laisse écouter Joseph Gordon-Levitt (sous-titres en français) :
À suivre
La semaine prochaine, je suis invité par la chaine DoctriZ, pour un live sur Twitch pour parler écriture, imaginaire et podcast. C’est vendredi prochain, le 21 mai, de 18h à 20h, sur Twitch, avec un replay publié sur YouTube. Fun, non ?
D’ici là, je vous souhaite un excellent week-end !
— mikl 🙏
Photo by Ivan Vranić on Unsplash
Laisser un commentaire