Alors, comment se passe votre week-end ?
Comme promis, je retente l’expérience de l’année dernière. C’est parti pour une fiction, une nouvelle en épisodes. Voici donc « Ciel de Plomb », épisode 1.
Ciel de Plomb – épisode 1
Vince se sentait observé. Plusieurs fois, il s’était retourné. La rue était déserte. Encore son imagination, pensa-t-il. Depuis qu’il était devenu chasseur, il passait l’essentiel de son temps à l’affut. Sa perception du monde avait changé. Ses sens s’étaient aiguisés.
Il ne reconnaissait plus sa ville dans ce silence. Il y a quelques années, San Francisco aurait été, en ce début de soirée, un melting pot vibrant, bruissant dans l’effervescence de la communauté bohème qui y vivait. C’était aujourd’hui juste une ville dortoir. Elle hébergeait les développeurs, les « rockstars » du code comme ils aimaient s’appeler. Il y avait pourtant bien longtemps que la musique s’était tue ici. Plus de rock, de jazz, de rap ou de disco. La folie de la vie nocturne de SF avait disparu depuis longtemps. Le soir, c’était une ville fantôme. Ces nouveaux rois de la ville vivaient la journée dans la vallée et de rentrait que tard le soir après avoir été choyé par leur employeur.
Par réflexe, sa main se crispa sur le sac qu’il portait en bandoulière. Il contenait peu de choses, quelques rations, de l’eau et surtout son fusil de chasse. Son poids le rassura. C’était une arme qu’il maitrisait, parfaitement adapté au gros gibier qu’il chassait.
Toujours inquiet et tendu, il décida de faire un détour. Par sécurité, voulut-il croire. Vince avait encore un peu de temps avant son rendez-vous sur le toit, pour prendre son poste de tir.
Il venait de quitter le squat où il vivait désormais avec les autres chasseurs, dans le quartier crasseux et mal famé du Tenderloin. L’existence même de ce ghetto au cœur de la ville en disait long sur la santé de cette cité, joyaux de la Silicon Valley. La pauvreté y régnait. La drogue avait pris le pouvoir. Il avait toujours essayé d’éviter ce quartier avant. Lui aussi avait choisi de fermer les yeux. Jusqu’à ce qu’il y vive. Jusqu’à sa chute et qu’il doive se résoudre à quitter son appartement confortable sur les hauteurs de Russian Hill.
Au lieu d’aller directement vers l’embarcadère en longeant Market Street, il remonta plein nord vers son ancien quartier. Ce n’était plus son esprit qui le guidait, mais son instinct. Un pilote automatique, qui voulait le reconnecter à son ancienne vie. L’espace d’un instant.
Essoufflé par la montée, il ralentit sur Barbary Lane, en passant devant le bâtiment qu’il avait habité pendant si longtemps. Il avec résidé là avec Sandra durant dix ans, loin de se douter qu’il y vivait probablement les meilleures années de sa vie.
Il s’avança sur le petit chemin d’accès au condo et s’approcha de la porte. Il resta là quelques minutes, sans bouger, un peu bête, sans savoir que faire. Voulait-il sonner ? Il aurait aimé. Il aura attendu un peu. Personne n’aurait répondu. Il serait reparti encore plus amer. Sandra avait quitté la ville pour une zone moins onéreuse, un lieu vivable pour ceux qui n’avaient pas la chance de travailler dans l’informatique.
— Tout est question de chance, ricana-t-il tout haut.
Il passait la plupart du temps seul, à se parler à lui-même, à ressasser les mêmes histoires. La solitude ne dissipait pas sa rage. On lui avait volé sa vie après tout. Qui était ce « on » ? Vince ne s’embarrassait pas de réponses. Les boites de la Silicon Valley ? Le système ? Le marché ? Les développeurs qui surenchérissaient et faisaient flamber les loyers ? Les proprios ? Pour Vince, c’était un peu tout ce monde-là. Ceux qui étaient du bon côté du progrès, qui savait profiter des changements du monde. Il n’y avait rien de politique dans tout ça, juste la cristallisation de son amertume.
Il ouvrit son ancienne boite à lettres comme il le faisait à chaque passage. C’était la seule clé qui lui restait de son ancien logement. Il fut surpris, car la boite n’était pas vide. Elle contenait une petite enveloppe à son nom. Vince Moreno. Il reconnut l’écriture de Sandra. Elle lui avait répondu.
Il prit la lettre et décida de ne pas l’ouvrir tout de suite. Pour faire durer l’instant, la joie, l’espoir. Il en avait si peu en ce moment, depuis qu’il était devenu chasseur. Par peur aussi, de ce qu’elle avait écrit. Tout était possible, tant qu’il ne l’avait pas lu.
Il glissa la lettre dans la poche, à l’avant de son sac, puis il reprit sa route, perdu dans ses pensées, sans voir cette ombre qui planait au-dessus de lui.
Il avait convenu avec le groupe de rejoindre un toit à la lisière de Chinatown, juste avant le Financial District. Il fallait chaque soir changer d’emplacement, être aussi imprévisible que possible, varier les patterns.
S’il y avait encore un lieu animé, c’était bien dans ce quartier, espace de vie microscopique au cœur d’une ville triste. Épiceries, bazars, bijouteries, antiquaires se côtoyaient ici dans un joyeux bordel.
Son chemin l’amena devant la biscuiterie qui produisait massivement des fortunes cookies. Une femme mure, Chinoise, avec une collerette en papier blanc sur la tête, faisait sa pause. Elle prenait l’air pour se rafraichir, s’éloigner de l’atmosphère étouffante des fours qui rendaient son travail si pénible.
Elle s’apprêtait à allumer une cigarette lorsqu’elle vit l’air maussade de Vince. Elle lui sourit et lui tendit une boite de petites tuiles repliées.
— Pioche, je sens que tu as besoin d’une bonne nouvelle, lança-t-elle à Vince.
Vince stoppa net sa course, fouilla dans la poche de sa veste sans manche. Il en tira un briquet et alluma sa cigarette.
Il prit ensuite son temps pour choisir un gâteau. Il cherchait une forme harmonieuse. Après une longue hésitation, il en conclut que la boite était composée des rebuts, des ratés. Comme lui. L’ironie le fit sourire. Il piocha un biscuit à la forme un peu aplati, pas trop ridicule.
— Allez, prends-en un deuxième, mon ami, c’est ton jour de chance.
— Merci, lui souriat-il, en saisissant une deuxième coquille à la forme encore plus torturée que la précédente.
Son attention fut alors attirée par un petit bourdonnement caractéristique au-dessus de lui.
Il leva les yeux et comprit son malaise, son impression d’être suivi. Au-dessus de lui passait un petit drone. Il portait le logo caractéristique de cette boite en plein essor, la société Drone Valley. Ils patrouillaient, peut-être pour comprendre pourquoi et comment ses drones disparaissaient.
Il rangea le biscuit dans sa besace et reprit sa route. Son détour l’avait mis en retard. Le soleil allait bientôt se coucher. Il hâta le pas pour assurer sa mission du soir.
À suivre…
La dose de flow
Musique
Une guitare, une voix, une petite pause « acoustique » et intimiste dans un concert rock explosif. C’est Mat Bastard de Skip the Use, qui chante « Être Heureux ». Petit frisson.
Inspiration
J’avais interviewé Fanny Ruwet l’année dernière dans le podcast Double Vie. Elle continue son chemin et je suis toujours aussi fan de son podcast « Les gens qui doutent ». Si vous ne connaissez pas encore, ou si vous voulez passer un bon moment, je vous recommande un des derniers épisodes, avec Augustin Trapenard.
J’écoute mes podcasts le plus souvent dans la rue. Le podcast de Fanny sait me faire marcher avec un sourire jusqu’aux oreilles et parfois même éclater de rire, tout seul, dans Paris.
J’espère que cet épisode vous fera le même effet.
À suivre
Voici ma vue, alors que j’écris cette lettre hebdo :

😎 Plutôt cool, non ?
L’année a été éprouvante, moralement et parfois pour certains financièrement. L’incertitude a pu être usante.
Alors, j’espère que vous pouvez également profiter du calme habituel du mois d’août pour prendre un peu de bon temps, de recul ou au moins souffler et vous reposer.
En attendant le deuxième épisode de ma nouvelle la semaine prochaine, je vous souhaite un merveilleux week-end !
— mikl 🙏
Photo by Howie Mapson on Unsplash
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