Alors, comment se passe votre week-end ?
J’espère vous avoir accroché avec le premier épisode de « Ciel de Plomb ». Voici l’épisode 2, la suite très attendue 😉
Si vous n’avez pas lu la première partie, vous pouvez la trouver ici, dans le Flow #77.
Bonne lecture !
Ciel de Plomb – épisode 2
Le petit drone qui l’avait suivi ne l’inquiétait guère. En revanche, il devait être certain qu’il ne le pistait plus avant de rejoindre les toits.
Vince fit donc un détour pour perdre l’engin dans le centre de San Francisco. Il redescendit vers Market Street, l’artère principale, qui débouchait sur l’embarcadère. Avec son sac et son fusil, il ne pouvait pas envisager de traverser le Westfield, un des derniers centres commerciaux qui restaient en ville. Il traversa donc entre les hauts buildings, longea l’église Saint-Patrick pour déboucher sur le parc Yerba Buena. Des cadres de la finance profitaient du calme de ce petit espace de verdure. Les tenues strictes étaient tombées en désuétude depuis bien longtemps. L’endroit était parfait pour se prélasser sur les pelouses après le travail, avant de rentrer chez soi.
Le bruit de la circulation semblait lointain dans cette minuscule oasis au cœur de la ville. La douce odeur de l’herbe coupée l’apaisait habituellement. Pourtant, Vince n’arrivait plus à se détendre ici. Le lieu le replongeait dans des souvenirs douloureux, la nostalgie d’une époque révolue. Il n’était plus que l’ombre de lui-même. Il y a quelques années, la population du parc était plus mélangée, l’ambiance plus chaude, amicale. C’était là que Vince retrouvait fréquemment Sandra après la fermeture de son garage, avant qu’elle ne parte prendre son service au restaurant.
Le bourdonnement du drone s’était évanoui. Le silence était devenu palpable. Il sortit Vince de sa mélancolie. L’homme se sentait à nouveau libre de ses mouvements. Par sécurité, il sortit du parc, et se glissa dans le parking de l’hôtel qui bordait le centre de conférence plus au sud. Il le traversa d’un pas léger, pour ressortir de l’autre côté du bloc.
Il ne lui restait plus qu’à foncer vers l’embarcadère pour prendre son poste.
Il se demandait encore quel était le sens de tout ça. Pourquoi se battait-il et s’entêtait-il aujourd’hui ? La réponse la plus triviale était évidente et froide. Pour manger. Pour survivre.
Mais, il aurait pu vivre ailleurs, se reconstruire, retrouver un job dans un garage, comme simple mécano, cette fois. Il ne pourrait certainement plus briller comme il l’avait fait autrefois, comme « magicien de la mécanique », en s’attirant une clientèle huppée, se voir confier des voitures de luxe, des modèles incroyables. Mais qui sait ? Il n’avait pas son pareil pour les régler comme une horloge, alors peut-être pourrait-il se bâtir une nouvelle réputation ? Ailleurs.
Il n’était pourtant pas encore prêt à déserter. Une guerre avait lieu ici, une guerre économique en tout cas. Une caste émergente avait délogé les locaux de leurs villes, de leurs terres, ici dans la Valley.
Comment en était-on arrivé là ?
Le ver était dans le fruit depuis bien longtemps, bien avant l’essor de Drone Valley.
Ces drones n’étaient que des symboles, l’individualisme à son apogée, la marque de ce que la Silicon Valley pouvait produire de pire.
Ils n’étaient que l’aboutissement d’un long processus de gentrification.
D’abord, les salariés des grandes sociétés technologiques de la vallée avaient investi la cité. Les trentenaires trouvaient la vie nocturne de San Francisco bien plus agréable que la vie bien rangée de Palo Alto et de Mountain View. Ils avaient donc choisi de vivre en masse au cœur de la ville. Avec leurs salaires exorbitants, le marché de l’immobilier local s’étaient transformés. Les locaux ne pouvaient plus suivre face aux augmentations annuelles des loyers ; seuls les employés des grosses firmes pouvaient désormais se loger sur place. La population s’était alors déplacée de l’autre côté du pont vers Oakland, où le même phénomène s’était répété.
Paradoxalement, ces gens avaient vidé la ville de ceux qui la faisaient vivre et vibrer. Tout doucement, ils avaient importé un mode de vie autour de la tech, qui avait empiré les choses. Le culte de la startup et des applications mobiles.
Un détail qui pouvait sembler insignifiant avait transformé la vie nocturne. Les développeurs, chefs de produit, responsables marketing, managers des grands groupes étaient nourris le midi par leurs employeurs, parfois même le soir. Lorsqu’il rentrait sur SF pour dîner, ils sortaient au restaurant. Au point que les cuisines disparaissaient même des appartements, parfois transformées en salle de home cinema ou de sport.
La capacité de restauration sur la ville atteignit rapidement sa limite. Il fallut recourir alors à la livraison massive. D’autres startups se lancèrent sur le créneau. La nourriture était préparée à grande échelle sur les docks près de la Bay et livrée le soir à vélo par des armées de livreurs.
Dans la Silicon Valley, tout est cependant bon pour rationaliser les processus, les industrialiser à grande échelle. La dernière innovation à la mode fut donc de remplacer les livreurs au sol par des drones. Ils étaient guidés par des batteries de pilotes, alignés dans de grands entrepôts, à proximité des cuisines. Les pilotes prenaient les listes de commandes, récupéraient les plats et chargeaient leurs drones, avant de les lancer, presque tous en même temps à l’assaut de la ville.
Chaque pilote était responsable de son plan de vol et surtout du délai de livraison. « Moins de trente minutes ou le repas est à notre charge » vantaient les publicités sur Internet. Le pilote devait assurer ce délai pour l’ensemble de sa cargaison. Un faux pas et il perdait la rémunération de sa soirée. Seuls les plus habiles — et les plus casse-cous — tenaient le choc.
Le soir, le ciel se peuplait d’une impressionnante nuée de drones, dans un agaçant bourdonnement continu. Les toits étaient devenus des lieux de passage essentiel. Pour livrer ses repas, un drone se posait sur un toit, éjectait sa cargaison et repartait immédiatement. Le client était directement notifié que son repas l’attendait en haut de son immeuble.
C’était l’époque où Vince avait perdu son garage et surtout Sandra. Vince n’avait plus un sou, plus de quoi se loger, et connaissait la faim et la peur de la vie dans la rue. C’est alors qu’il avait rejoint le squat. Lui et ses compagnons s’entraidaient. Ils vivaient alors de ce qu’ils trouvaient dans la rue, mais le problème avait empiré. Les cuisines puis les restaus avaient disparu. La bouffe au sol était devenue rare. Certains n’avaient pas supporté et avaient quitté la protection du groupe. Ils en étaient réduits à tromper leur faim avec la drogue qui circulait dans le quartier, dans le meilleur des cas en volant pour se l’offrir.
Vince ne voulait rien lâcher. La situation le rendait fou. Survivre d’abord et résister ensuite étaient sa nouvelle raison d’être. C’est là que son ingénieuse idée lui vint. Les drones étaient remplis de nourriture saine. Puisqu’il n’y avait plus de nourriture au sol, Vince et ses compagnons décidèrent de gagner leur pitance dans le ciel. Comme leurs ancêtres, ils étaient devenus des chasseurs. Des chasseurs de drones.
À suivre…
Vidéo: FAQ #2
J’ai publié la deuxième partie de ma séance de questions/réponses en vidéo. Vous pouvez la voir directement ici :
Et comme toujours, continuez de m’envoyer vos questions et suggestions pour l’émission Chimères !
La dose de flow
Musique
Bon, parlons de Dire Straits. Dans le genre groupe mythique, ils tiennent bien leur place. Le morceau Sultan of Swing fait parti de ma liste des morceaux parfaits.
Pourtant, j’ai choisi de vous partager un morceau moins connu, repris par Mark Knopfler lui-même, le guitariste et leader du groupe, en 2019, le titre Brother in Arms. Mark Knopfler y exprime toute sa douceur et sa subtilité. Magique.
Et pour sortir des sentiers battus, voici une reprise de ce titre par Metallica (Audio): Metallica – Brothers In Arms (Live Oct 27, 2007).
Inspiration
Cela faisait un moment que je n’avais par partagé une vidéo de Jason Silva. Voici une de ses dernières publications, en anglais.
La voix et le flow de Jason Silva sont toujours aussi apaisants. Son message est direct : « arrêtez de diaboliser vos pensées », ou pourquoi la méditation ne consiste pas à vider son esprit, mais à observer ses pensées sans les diaboliser, pour les comprendre et parfois les remplacer par des pensées positives. Car les pensées ne sont que le reflet de notre façon de voir le monde, on ne peut les faire disparaitre, mais on peut les changer.
« La paie intérieure ne vient pas lorsqu’on se vide l’esprit, mais lorsque l’on dissout temporairement les histoires, les pensées qui ne nous servent pas, celles qui ne nous aident pas à grandir. »
À suivre
L’inspiration vient souvent des voyages. Voici une photo prise au village d’El Rocio, près du Parc National de Doñana.

L’ambiance de western prend encore une autre dimension lorsque, le soir venu, les voyageurs de passage viennent au bar avec leurs chevaux et les accrochent devant le bistro entre les tables hautes. Le plus étonnant, c’est que l’atmosphère n’y est pas artificielle. Ici, beaucoup d’Espagnols et un esprit très familial.
Bref, un moment dépaysant et hors du temps.
Je vous retrouve la semaine prochaine avec la suite de ma nouvelle.
D’ici là, je vous souhaite un merveilleux week-end !
— mikl 🙏
Photo by Georg Eiermann on Unsplash
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