Alors, comment se passe votre week-end ?
Merci pour vos retours enthousiastes sur Ciel de Plomb, ça fait bien plaisir. Voici l’épisode 4 de cette nouvelle. On repart sur les toits de San Francisco !
Pour rattraper la lecture :
Bonne lecture !
Ciel de Plomb – épisode 4
Un dernier drone fermait le vol. Ce modèle était plus petit et plus léger que les appareils qui transportaient la nourriture. Il était semblable à celui qui avait suivi Vince plus tôt dans la journée.
Le drone avait stoppé sa progression. Il effectuait un vol stationnaire, oscillant légèrement face à la chasseuse, à une dizaine de mètres de distance. Son attention se portait avec instance sur Alexandra, qui restait tétanisée. Lorsqu’elle tenta malgré tout d’esquisser un mouvement, il fut hélas trop lent pour surprendre la machine. Alors, qu’elle relevait son arme, un bruit déchira le ciel.
Vince comprit immédiatement et son sang se figea. Aucun doute, le drone tirait sur Alexandra.
Au deuxième coup de feu, il vit Alexandra tomber au sol. Était-elle blessée ? S’était-elle juste mise à couvert ?
Il se sentait si impuissant que s’en était douloureux. Le drone était trop loin pour que Vince espère le toucher. Il évacua sa culpabilité. C’était sa coéquipière, pas lui, qui était visé, mais il n’y pouvait rien. Il remballa ses affaires pour se précipiter vers l’escalier de secours. Il devait avant tout sortir Alexandra de ce mauvais pas.
Vince put apprécier l’impact de l’adrénaline sur son corps. Elle battait dans son sang, dans ses tempes. Elle étirait le temps. Alors qu’il descendait les marches quatre à quatre, son esprit était ailleurs, avec Alexandra, dans ces moments de complicité qui avaient forgé leur amitié.
Alexandra avait mis longtemps à la convaincre de franchir le pas. Non, il ne voulait pas de tatouage. Ce n’est pas qu’il ait eu peur des aiguilles ou de la douleur. Surtout, il n’était pas sûr de vouloir laisser une marque indélébile dans sa chair. Quel message ? Pour dire quoi au monde ? L’acte lui paraissait futile.
Alexandra n’avait pas été insistante. Elle avait simplement su prendre le temps de l’apprivoiser. Et un jour, Vince avait cédé, le jour où il avait trouvé son motif. Il avait choisi un animal, pas un texte dans lequel un jour il ne se reconnaitrait plus, ni une métaphore déprimante, un memento mori. Il n’en avait pas besoin. Non, lui porterait un éléphant, pour la force, la mémoire et l’intelligence ancestrale qu’il représentait. Un symbole de vie.
Il y a quelques semaines, il s’était allongé près d’Alexandra, dans le squat. Elle avait travaillé sur son dos plusieurs jours de suite. Le résultat était magnifique. L’animal vivait maintenant sur son épaule gauche, portant un regard bienveillant sur le monde.
Depuis, Vince se sentait changé, étrangement, comme s’il avait absorbé l’animal, qu’il faisait maintenant partie de son corps, de sa propre histoire. Les mains d’Alexandra l’avaient marqué à jamais.
La brulure des aiguilles avait disparu. Pourtant, elle semblait revivre, irradier tout son corps ce soir, alors qu’hors d’haleine, il gravissait les marches pour retrouver Alexandra sur le toit.
En atteignant le toit, il fut d’abord frappé par le silence. Vince choisit de ramper, pour éviter d’être aperçu par l’appareil.
— Alexandra ? lança-t-il.
Pas de réponse.
Toujours au sol, il continua à avancer pour contourner les tuyaux d’aération qui lui bouchaient la vue, lorsqu’enfin il l’aperçut allongée sur le dos.
Vince s’approcha et perçut immédiatement sa respiration. Le soulagement lui permit de prendre une grande inspiration.
— Il est parti ? demanda-t-il.
Elle lui fit signe de s’approcher pour lui glisser un mot à l’oreille.
— Je l’ai descendu, Vince, et je t’emmerde. Ne joue pas au con de chevalier blanc avec moi.
Le visage d’Alexandra alternait entre sourire et crispation. Plus bas, son pantalon était rougi par une blessure à la jambe.
— Très bien, dis Vince en lui retournant son sourire, je t’aide à redescendre ou tu préfères ramper jusqu’en bas ?
La descente avait été plus difficile que prévu. Vince était allé chercher de l’aide. Hans, un autre compagnon, un solide gaillard, s’était proposé pour l’aider. Ils avaient improvisé un brancard de fortune en découpant des sacs en rab pour la nourriture. Ce n’était pas pratique et ils progressaient lentement.
Hans en profitait pour raconter comment la bataille s’était déroulée au sol.
— C’était aussi le chaos en bas, Vince. On s’est précipité pour récupérer le contenu de tes deux drones de livraison. Beau score, d’ailleurs, bravo. Bref, on suit le process. Comme d’hab, Mitch s’occupait des caméras en les désactivant avec les bombes de peinture noire. Ensuite, l’équipe a eu du mal à les retourner pour les mettre sur le dos, car ils étaient tombés l’un sur l’autre. Enfin, bref, Jack et moi, on avait sorti les couteaux pour éventrer les drones, on était prêt. C’est là que l’autre est tombé. Les moteurs tournaient encore. On aurait dit une bestiole, un papillon de nuit brulé par une ampoule, qui agonise au sol. Sauf, qu’il continuait à s’agiter en tirant un peu sur tout ce qui bouge. On s’est mis à couvert pendant un moment, en attendant qu’il s’arrête. On a eu une bonne frousse, mais personne n’a été touché.
Lorsque Vince, Hans et Alexandra atteignirent la rue, le chaos qui y avait régné s’était calmé.
Les trois drones gisaient sur le sol. Comme ils étaient retournés, les huit moteurs leur donnaient l’aspect d’araignées géantes, sur le dos, les pattes en l’air.
Leurs compagnons finissaient de charger leurs sacs à dos pour récupérer le maximum de nourriture. Ils abandonneraient ce qu’il ne pouvait pas transporter. Les restes seraient rapidement récupérés par les groupes de junkies qui certainement passeraient derrière eux.
Ce drone armé était intrigant et inquiétant. Vince décida instantanément qu’il fallait l’emporter pour le désosser, voir ce qu’ils pourraient en tirer, peut-être comprendre comment se défendre.
— Mitch, vous pouvez prendre le petit drone et le ramener au squat ? demanda Vince. Pas trop chargés ?
— Ça va le faire, il est assez léger. Par contre, il faut qu’on lui bloque les hélices pour ne pas se faire découper si jamais il redémarre.
— Ah, et emballe la caméra pour ne pas qu’il trouve notre repaire. Ne la détruisez pas, on ne sait jamais.
Le groupe avait repris le contrôle de la situation. Il était temps de se replier au squat.
La nuit commençait à tomber et nul ne voulait s’éterniser dans les rues. Alors, qu’ils remontaient lentement vers le Tenderloin, le brouillard glacial s’abattait sur la ville.
Pour atteindre le squat, il fallait traverser une sorte de décharge située sous un échangeur routier.
Des tonnes de vieux matériel y étaient entreposées. On retrouvait des pneus, de vieux parechocs, des pièces automobiles que Vince avait l’habitude de manipuler lorsqu’il avait encore son garage. Tout cela lui évoquait vaguement une autre vie lointaine.
Ils accédaient au squat par les fenêtres arrière. Ils ne pouvaient rentrer par la rue, pour rester discrets. Vince et Hans aidèrent Alexandra à enjamber une rambarde, avant de se glisser à leur tour dans l’immeuble.
Le premier groupe était déjà là et faisait le bilan de la chasse du jour. De ce point de vue, c’était une bonne journée. Ils avaient de quoi se nourrir pour au moins trois jours.
Par la fenêtre brisée, Vince vit le second groupe arriver et déposer le petit drone inerte sur une pile de pneus. Il était inoffensif, si Drone Valley était incapable de le localiser. Vince s’en voulait de n’avoir pas pensé que ces appareils étaient dotés d’un GPS.
La marche s’était éternisée, le froid engourdissait Alexandra. Elle était pâle et frissonnait. Vince l’installa sur sa couche et la recouvrit de couverture.
Hector s’était avancé pour prendre le relai. Il avait été infirmier et proposait de s’occuper de la jeune femme blessée.
Après avoir nettoyé la plaie et fait un rapide examen, il les rassura immédiatement.
— C’est une blessure superficielle, avança-t-il. Au pire, elle va boiter pendant un temps, peut être toujours, légèrement. Et ça va tirer un peu l’hiver, quand il fera très froid.
La tension, les nerfs retombaient. Vince avait mangé un morceau, puis s’était retiré dans son lit. Il n’était pas d’humeur à faire la fête avec les autres, malgré la chasse record du jour.
« Putain, c’est la guerre, la vraie, cette fois. Ils ont armé des drones. Et ils nous ont tirés dessus, bordel. » Il hésitait entre rage et découragement.
La chasse allait se compliquer et il n’avait pas la moindre idée de la façon dont ils trouveraient leur nourriture dans trois jours.
En rangeant son sac, il retrouva la lettre de Sandra. Il l’ouvrit, les mains tremblantes.
Le texte était long. Sandra lui parlait de sa nouvelle vie, une vie simple et pas aussi terrible qu’elle l’avait imaginé. Elle s’était fait de nouveaux amis dans le bar dans lequel elle travaillait. Elle pouvait même chanter, certains soirs, seule avec sa guitare.
« Et les gens on des voitures aussi, figure-toi. Il y a de la place pour toi. Si tu savais comme je revis. D’ici, je réalise à quel point San Francisco est devenue aride. Les cœurs sont secs. Montrose est pour moi une oasis dans toute cette violence. C’est le désert partout autour, mais je revis, comme une fleur du désert. »
Vince avait les mains qui tremblaient. Il retrouva dans son sac le petit rouleau du Fortune Cookie.
« Caché dans une vallée luxuriante au milieu d’un désert aride — C’est le type d’endroit où vous trouverez votre rêve. »
Les yeux embués, son regard s’arrêta instinctivement sur Alexandra, qui dormait de l’autre côté de la pièce.
Non, il ne pouvait pas lâcher prise. Ils leur avaient tiré dessus. Il se releva pour rejoindre la cour. Dehors, le petit drone était toujours là, posé sur les pneus. Il était temps de riposter. Ils avaient capturé une arme. À lui, Vince, de la remettre marche.
À suivre…
La dose de flow
Musique
Nemanja Radulović est un violoniste virtuose, qui passe du classique à la pop avec une aisance déconcertante.
Pour apprécier sa palette, voici d’abord une fugue de Bach :
Et une interprétation du titre d’Abba, Gimme gimme gimme. Enjoy!
Inspiration
Nous avons tous des cerveaux qui fonctionnent différemment, mais nous n’imaginons pas à quel point. On est tous étranges et parfois même franchement bizarres pour quelqu’un d’autre. Ce n’est pas de l’excentricité, c’est souvent un mode de fonctionnement radicalement inhabituel.
À ce titre, le témoignage d’Arnaud Chaput est à la fois intéressant et drôle pour se plonger dans la vie de ce qu’on appelle parfois un•e neuroatypique (sachant qu’une autre personne même neuroatypique pourra avoir des comportements très différents).
À suivre
Ça y est, c’est la rentrée, et j’avoue que c’est vraiment agréable d’avoir une nouvelle à terminer pour sortir des vacances tout en douceur. J’ai encore un peu la tête sur les toits de San Francisco, à chasser avec Vince et Alexandra.
Je vous souhaite à tous une rentrée sereine, sous le signe de la bienveillance. En attendant, profitez de votre week-end !
— mikl 🙏
Photo by Arisa Chattasa on Unsplash
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