Alors, comment se passe votre week-end ?
Je sais que beaucoup de lecteurs et lectrices attendaient la fin de Ciel de Plomb. Voilà, cette fois le texte se termine bien cette semaine.
J’espère que cette série vous aura plu et que la fin est à la hauteur de vos attentes.
En attendant la prochaine fiction !
Pour rattraper la lecture, avant de lire l’épisode 6 :
- épisode 1, dans le Flow #77
- épisode 2, dans le Flow #78
- épisode 3, dans le Flow #79
- épisode 4, dans le Flow #80
- épisode 5, dans le Flow #81
Bonne lecture !
Ciel de Plomb – épisode 6
Le soir était venu, rien d’étonnant à cela. La surprise venait de la légèreté avec laquelle les chasseurs abordaient l’instant. Ce soir était en réalité un moment de vérité, de ceux qui n’arrivent que quelques fois par vie. Piloter un drone armé piraté en plein cœur de San Francisco ? Ce qu’ils s’apprêtaient à faire dépassait les bornes, les limites de ce que la Société était censée pouvoir accepter, mais Vince ne ressentait rien, ni excitation, ni peur. Avait-il perdu ses repères ? Le propre de ces moments est de ne révéler leur importance que bien plus tard, quand on essaie de comprendre comment on a pu en arriver là.
La chasse était lancée selon un protocole différent. Comme leur drone armé se pilotait à vue, il fallait donc, comme à leur habitude, se poster sur les toits de San Francisco. Alexandra, blessée, n’était pas de la partie. Le binôme était composé de Vince et Hans, chacun avec une commande de contrôle, pour un seul et même drone.
Pour rester imprévisibles, ils avaient choisi de se poster sur le toit d’un entrepôt situé non loin des cuisines de Drone Valley. En contrepartie, il faudrait être rapide pour récupérer leur nourriture et mettre les voiles, avant que la sécurité de la société ne débarque.
Ils faisaient face à la partie industrielle de la Baie, alors que le soleil se couchait derrière eux. Les conditions étaient idéales. Le ciel était dégagé, et il n’y avait pas le moindre souffle d’air.
Vince n’eut pas l’occasion de partir dans les pensées qui l’occupaient généralement avant la chasse au fusil. Avec Hans près de lui, le silence le mettait mal à l’aise.
— Hans, c’est ton vrai nom ? demanda-t-il.
Son compagnon exagéra son accent allemand.
— Qu’est-ce que tu crois ?
— Je ne pense pas, non.
Après un court silence, Hans lui confirma.
— Gagné. Bien sûr que non. C’est un peu caricatural, mais ça correspond bien à mon image. Hans, l’Allemand costaud, carré et toujours prêt à rendre service. C’est simple, facile à prononcer pour un américain. Qu’est-ce que tu crois ? Moi aussi, je soigne mon personal branding.
Vince ne savait pas s’il était sérieux, et Hans s’en amusait. Le bourdonnement caractéristique de la nuée mit fin à leur discussion. Les deux hommes s’activèrent sur le toit. D’un bref coup de sifflet, Vince s’assura que l’équipe était en place. La réponse lui confirma qu’ils étaient tous prêts. Il pressa sur l’interrupteur qu’il avait ajouté sur le drone dans l’après-midi. Les pales de l’appareil se mirent à souffler. Un instant plus tard, les doigts sur les commandes, Vince et Hans lancèrent leur engin à l’assaut de la nuée de drones.
Ils étaient proches du point de départ, la nuée était si dense que malgré leur pilotage encore maladroit, Vince et Hans firent un carton. En quelques minutes, ils décimèrent trois drones de livraison, qui tombèrent lourdement au sol.
Hans hocha la tête face au regard interrogateur de Vince. Ils étaient d’accord pour ne pas être trop gourmands. C’était la meilleure chasse jamais réalisée. L’appareil avait encore de la batterie, mais ils décidèrent sagement de rappeler leur drone à eux et de plier bagage.
L’équipe en bas avait été efficace, et lorsqu’ils les retrouvèrent dans la rue, les drones avaient déjà été dépouillés de leur cargaison. Une heure plus tard, ils avaient tous rejoint le squat. Ce soir, ils riaient et parlaient fort. La joie emplissait leur refuge. C’était leur plus gros succès. Cette victoire sur Drone Valley était grisante, ils se sentaient les maîtres de la ville. Ils ne se doutaient pas que tout ne serait plus jamais aussi simple.
Alors que les chasseurs fêtaient leur victoire, Vince se sentait d’humeur maussade. Une digue morale venait de sauter. L’impression de perdre le contrôle lui donnait la nausée. Il rejoignit Alexandra, seule sur son lit, à l’écart du groupe.
— Bravo, Vince, record battu, lui dit-elle en souriant faiblement.
Ses félicitations sonnaient faux. Elle dû s’en rendre compte, car elle tomba immédiatement le masque.
— Combien de temps cela va durer, Vince ? poursuivit-elle.
— Je ne sais pas. Tout a une fin, j’imagine. Tu sais que la situation me révolte. Ici, à San Francisco, dans ma ville. Tout s’effrite. J’en ai le cœur brisé. J’essaie d’aider, comme je peux. Mais est-ce qu’on va dans la bonne direction ?
— Je ne vais pas remonter sur les toits, tu le sais ?
— Disons que je m’en doute.
— Ce n’est pas physique, je sais que je vais me remettre. Mais je pense que je serais plus utile à résister autrement. C’est une guerre, Vince, de longue haleine. Je ne veux pas ressasser ma dernière bataille. J’ai réfléchi, toute la journée. J’ai pleuré, un peu. Ma place est au côté des biohackers. Les implants que je fais pour ces fous, les humains augmentés, tout ça. On doit se les approprier aussi. Il n’y a pas de raison qu’ils soient les seuls à s’améliorer par la technologie. On va tâtonner, faire des erreurs. Mais c’est ça, c’est mon combat.
Vince lui prit la main et la serra en silence pour approuver son choix. Ce geste s’adressait pourtant plutôt à lui-même, comme lorsqu’on se pince pour vérifier si l’on rêve encore. Il serrait si fort que leurs phalanges blanchissaient.
Alexandra ne quittait pas Vince des yeux.
— Et toi, Vince, quel est ton combat ?
— Alors, on y retourne ?
Mitch s’enthousiasmait pour leur nouvelle routine. Il était grisant de penser que tous les jours se ressembleraient désormais. Avec leur nouvelle arme, le groupe se sentait intouchable. Croire ce mensonge, c’était oublier la précarité.
Vince et Hans avaient choisi cette fois de se poser à la limite du quartier résidentiel de Castro. Les drones arrivaient nombreux dans cette zone le soir pour livrer des repas.
Ils avaient repris leur bavardage et plaisantaient sur le toit. Vince s’était demandé, plus tard, si cette décontraction avait émoussé leur vigilance. En réalité, ils s’étaient tus et concentrés dès que le bourdonnement de la nuée s’était fait entendre. Coup de sifflet rapide, avant de faire décoller leur drone. Ils étaient prêts à capturer les proies qui passeraient à leur portée.
Ils furent troublés par ce drone de livraison qui quittait la nuée et prenait une trajectoire inhabituelle. Pour la première fois, une machine de 80 kilos fonçait droit sur eux. Les avaient-ils repérés ? Tout s’enchaina ensuite très vite.
— On a le temps de le descendre, dit Vince. Prend de l’altitude, je vais lui tirer dessus.
Ils n’entendirent pas le bruit de la porte de l’escalier de service s’ouvrir derrière eux. Vince appuya sur la gâchette. Les premières balles se perdirent dans le ciel, mais il ajusta rapidement le tir.
Le drone de livraison fut sévèrement touché. Il prit encore de la vitesse dans sa chute, leur passant au-dessus de la tête avant de s’écraser sur le toit. Malgré son poids, sa course folle le fit rebondir, rouler derrière eux.
C’est là qu’ils entendirent les cris. Un couple venait de sortir sur le toit. L’homme avait été fauché par le drone, qui s’était immobilisé sur ses jambes. Les moteurs s’étaient heureusement arrêtés net.
Vince et Hans se précipitèrent pour soulever l’imposante machine. La femme les aida en tirant son compagnon, pour l’extraire de sous le drone.
Toujours allongé au sol, l’homme grimaçait, hurlait, mais il bougeait ses jambes. Sa compagne tentait de le calmer. Il s’en sortirait, peut être avec une ou deux fractures.
Le couple était venu chercher leur livraison sur le toit, ils finiraient la nuit aux urgences.
Vince ne prêtait alors plus attention aux cris. Hans avait rappelé le drone armé et il l’aidait à le ranger. Ils étaient prêts à s’enfuir.
Lorsque la femme se leva pour tenter de bloquer Hans, il ne put se contenir.
— Putain, c’est Drone Valley, le danger. Quand est-ce que vous allez comprendre ça ?
Impressionnée par la masse de l’homme devant elle, la femme s’écarta.
— Vous êtes des malades, souffla-t-elle en attrapant son portable.
Vince tira Hans par la manche de sa veste. Ils devaient quitter les lieux au plus vite. La femme appelait à l’aide sur son mobile.
Ils avaient encore des réserves de nourriture, pour plusieurs jours. Ce n’était pas ce qui inquiétait Vince. Il était ébranlé par l’incident. Il n’avait pas envie d’en parler et s’était isolé sur sa couche. Ses mains tremblaient.
Lorsqu’Alexandra vint le voir, il l’accueillit pourtant prêt de lui.
— Les vrais coupables, c’est Drone Valley, lui dit-elle. Les armes, les nuées de drones toujours plus lourds, c’est eux. Toi, tu n’es qu’une victime, parmi d’autres.
— Moi, mes jambes vont bien, merci. J’ai plutôt peur d’être une pièce dans leur rouage, de jouer le jeu de l’escalade.
— C’est faux, Vince, tu veux faire des choses bien. Tu as besoin de recul, de regarder tout ça d’un œil neuf. Tu l’as mérité, Vince.
— J’aurai l’impression de fuir dans la honte, la culpabilité. De me sentir banni, chassé, parce que je n’ai pas trouvé les bonnes limites. Parce que je vous ai entrainés trop loin.
— Personne ne te chasse, tu es toujours des nôtres. Si tu pars, ce n’est pas dans le déshonneur, mais parce que tu l’as choisi. Et tu reviendras ensuite, quand tu auras trouvé ton prochain combat.
— Pourquoi je reviendrais ?
— Tu as la mémoire. Tu es la mémoire, tu as un message, un symbole tatoué sur l’épaule. Tu ne peux pas m’oublier. Si tu le peux, quand tu es prêt, tu reviendras.
Vince avait décidé de partir avant l’aube. Il quitta donc le squat sans réveiller Alexandra, mais en lui laissant une lettre, écrite sur une feuille pliée en quatre, simplement posée sur son lit.
Il avait pris son sac, chargé toutes ses affaires, mais abandonné son vieux fusil de chasseur. Peut-être servirait-il à d’autres. Lui n’en aurait plus besoin.
Ensuite, Vince était descendu à la gare routière. Il avançait comme un robot, le cerveau gelé, pris dans la torpeur d’un brouillard ouateux. Machinalement, il avait acheté un billet pour le premier bus en partance. Il ferait des étapes pour rejoindre le Colorado.
« Caché dans une vallée luxuriante au milieu d’un désert aride — C’est le type d’endroit où vous trouverez votre rêve. »
Sandra serait surprise de le voir, certainement. Comment réagirait-elle ? Il l’imaginait l’accueillir avec un simple sourire, sans un mot. Est-ce qu’elle le serrerait dans ses bras ?
Il rêvassait maintenant à l’arrière du bus, hypnotisé par le paysage qui défilait derrière la vitre.
Il avait résisté, avalé la douleur, ignoré la descente aux enfers et lutté. Mais pourquoi ? Son égo. L’esprit plus que le cœur.
L’évidence s’imposait. La vie était ailleurs. Au-delà des frontières de cette zone livrée aux nouveaux barbares.
La vie avait quitté la vallée depuis bien longtemps. Il ne restait que des individus que seules des fiches de paie fournies par une multinationale rassemblaient. Des bactéries dans la soupe primordiale de l’individualisme.
La vie renaitrait ailleurs. L’ironie était cinglante. L’utopie qui avait créé la vallée ne pouvait plus s’y reconstruire. La terre était brulée, infertile.
Il ne désertait pas. Il n’y avait plus rien ou presque qui méritait son combat ici.
La vie était ailleurs. Avec Sandra peut-être, dans le Colorado.
Le calme l’envahissait lentement, comme la chaleur d’un bon Whisky se diffuse dans le corps. Toutes choses, même les meilleurs s’arrêtent un jour, mais ce n’est pas la fin. Il y aurait d’autres bonheurs, d’autres joies et d’autres combats.
Il se voyait revenir un jour en guerrier, chevalier blanc, représentant d’une résistance qui ne pouvait s’éteindre. Le réflexe de vie est au cœur de l’humanité.
Pour l’heure il n’avait qu’une chose en tête, qu’une envie. Panser ses plaies.
Alors qu’il s’apprêtait à lire une nouvelle fois la lettre de Sandra, il tomba sur le dernier fortune cookie dans son sac, un peu brisé. Il le cassa, sans grande conviction d’y trouver sa destinée.
« Le chemin n’existe que dans le regard du voyageur. »
Une image lui vint, alors. L’Homme est ainsi fait, il lui est difficile de regarder derrière lui, mais très simple de regarder devant. C’était une question de survie. Il devait oublier pour un temps San Francisco, avancer sans même jeter un œil derrière lui, se ressourcer pour survivre, avant de peut-être pouvoir revenir.
Roman était athlétique. Il n’avait rien du profil caricatural du joueur en ligne, mais son vieux t-shirt Starcraft le trahissait.
Il était encore tôt, mais il était déjà dans le centre de contrôle de Drone Valley ce matin-là. Il voulait s’entrainer. Il n’avait pas été prévenu de l’arrivée de nouveaux collègues, mais les accueillit à bras ouverts.
— Ah ben alors, bienvenue les gars. Vous tombez à pic. Trois petits drones tout neufs viennent d’arriver. J’ai perdu un de ces drones armés la semaine dernière. Ça a fait un pataquès dans toute la boite. Il a été attaqué, mais pour moi l’expérience a été concluante. On a appris beaucoup dans l’incident. Et puis, à trois pilotes, on va être intouchables maintenant.
Les nouveaux venus regardaient en silence les écrans de contrôle. Leur attention se tourna ensuite vers la manette de pilotage plus fournie en commande que celles qu’ils connaissaient.
— Allez, installez-vous. C’est à peine plus dur que le pilotage des drones de livraison. Vous allez, voir c’est super maniable, on va s’éclater.
L’attitude enjouée de Roman mettait les deux nouveaux mal à l’aise. Ils prirent place sans un mot à côté de leur mentor. Le pilotage de drones armés était un nouveau challenge. Drone Valley leur offrait une opportunité unique.
L’attention de Roman n’était plus vraiment dans la pièce. Il réajustait son casque de VR sur son visage, alors que déjà, sur l’écran de contrôle, son engin s’élevait dans le ciel de San Francisco.
FIN
Podcast
Après un petit contre-temps technique, des problèmes sur mon micro et un petit rodage de la nouvelle organisation de la production, le podcast ne reviendra finalement que la semaine prochaine. Merci pour votre patience et indulgence (le son de ma partie sera un peu moins bon).
Notre invitée est Catherine Loiseau, autrice dans le vaste champ de l’imaginaire, passant d’un genre à l’autre, de la fantasy au Steampunk. Sa passion pour l’écriture l’a également conduite à cofonder Hydralune, une maison d’édition associative. Elle partage aussi sa vision de l’écriture sur sa chaine YouTube.
En attendant, vous pouvez écouter les saisons 1 et 2, pour rattraper les épisodes que vous aviez manqués :
🎧 À écouter sur la chaine YouTube Double Vie.
À retrouver également sur Apple Podcast et le site Double Vie.
La dose de flow
Musique
Eiffel est un de mes groupes préférés. Romain Humeau, incarne le rock. Sa gueule, la texture de sa voix et surtout ses paroles poétiques porté par des mélodies efficaces. Et la présence du groupe sur scène est incroyable.
Eiffel passe du rock bien électrique à des morceaux parfois un peu plus électroniques. Je recommande notamment les albums « À Tout Moment » et « Foule Monstre », ou évidemment le très électrique « Tandoori ».
J’ai choisi aujourd’hui le morceau emblématique « Ma Part d’Ombre », simple, brut, direct :
Inspiration
ette petite phrase d’Édouard Baer sur l’importance de la création m’a marqué : « On est plus sauvés par l’imagination que par l’intelligence. »
À écouter en contexte sur Twitter (Version courte) ou plus largement dans son interview pour Konbini :
À suivre
Voilà, j’ai terminé Ciel de Plomb. J’ai pris énormément de plaisir à écrire ce texte et j’espère que le texte vous a plu.
Pour terminer par une petite anecdote sur l’écriture, les Fortune Cookie ont nécessité pas mal de réflexion, aussi bête que cela puisse paraitre.
Lorsqu’on écrit, on doit parfois jeter des idées excellentes… ou pas. Vous avez échappé notamment à « La route est droite, mais la pente est forte. » ou « C’est le ventre qui guide le voyageur. Bravo ! Ticket gagnant ! Une entrée ou un dessert offert au “Dragon de Shanghai” lors de votre prochaine visite. »
Je vous souhaite un merveilleux week-end !
— mikl 🙏
Photo by Charles Magnuson on Unsplash
Laisser un commentaire