Alors, comment se passe votre week-end ?
Comme promis, voici le premier épisode de ma nouvelle « Maudite IA ». Je ne vous en dis pas plus pour ne rien divulgâcher.
Bonne lecture !
Maudite IA – Épisode 1
Journal d'Éric – Lundi 6 mai 2019
Pour un écrivain, il y a bien sûr de nombreuses raisons, plus ou moins valables, d’écrire son journal. Et plein de bonnes raisons de ne pas le faire. C’est vrai, l’exercice parait redondant. Il entre même parfois en concurrence avec l’écriture d’une fiction. C’est bizarre, mais j’ai l’impression de faire des infidélités à mon roman, de lui voler de l’énergie pour satisfaire un besoin égotique.
En vérité, c’est un exercice très différent. Écrire dans mon journal m’aide à prendre du recul. Et puis, un journal est aussi un laboratoire, un moyen de produire des mots sans pression, de revenir sur son propre parcours, pour comprendre comment nous en sommes arrivés là. Lorsque je l’ai commencé, je crois que j’imaginais au fond de moi qu’il deviendrait le support de mes mémoires, le parcours parfois chaotique — et donc héroïque — de l’écrivain qui triomphe de l’adversité pour trouver le succès.
Une version bêta de mes mémoires, en quelque sorte.
Bon, les mémoires, ce n’est pas pour tout de suite, hein, on est d’accord ? Le chaos est bien là, partout dans ma vie, c’est clair, mais le succès je l’attends toujours. Mon éditeur pense que le prochain roman sera le bon. Le thème devrait cartonner, pile dans l’air du temps. Un roman picaresque, le parcours d’un cynique, un brin nihiliste, d’un homme qui doit se reconstruire après le drame du Bataclan. Ça va tomber pour la commémoration des cinq ans de l’attentat, ce sera parfait pour la rentrée littéraire 2020, me dit-il. Cynique et nihiliste, c’est ça.
Journal d'Éric – Mardi 7 mai 2019
Deuxième jour, deuxième page du journal. Jusqu’ici tout va bien. J’ai mis longtemps à reprendre l’écriture, ici dans ce journal. Un peu contraint et forcé par ma situation, mais voilà, c’est reparti.
C’est le moment d’être cash.
Cher journal, je ne trompe plus grand monde, mais j’ai une confession à te faire. Mon roman n’avance pas vraiment. Je me suis d’abord perdu dans les recherches. Lire des interviews de victimes, en pleurer jusqu’à épuiser mes larmes. Le lendemain, continuer, repartir.
Malgré le travail, c’est le point mort, la sècheresse absolue. Entendons-nous, je ne me défile pas, je m’assois pour écrire comme d’habitude. Rien ne vient. Ou alors ce que je couche sur le papier est très mauvais. Dégoulinant de bons sentiments. C’est triste. J’ai déjà fait mieux.
Alors, pour le moment, mon cher journal, tu as une forme d’exclusivité. Tu es mon seul confident.
Je t’écris ces mots, les seules phrases, les seuls textes que je suis capable de produire en ce moment. Jour après jour, l’inspiration me fuit, elle se cache. Plus je la cherche et plus je l’invoque plus je sens qu’elle se retranche dans les tréfonds de mon âme. J’essaie de l’apprivoiser, je tente de faire revivre la flamme. Rien n’y fait.
Tu deviens un journal de survie. Je m’accroche à toi comme une désespérance. Je me dis que ces quelques mots nombrilistes sont mieux que rien. Dans quelques jours, quelques semaines au pire, je sourirais en les relisant. Je chanterais mes propres louanges : « Toi qui as triomphé des épreuves, toi qui à vaincu l’angoisse de la page blanche, la traversée du désert créatif, toi qui a su trouver au fond de toi la ressource pour te dépasser, tu mérites d’entrer au Panthéon des auteurs dont l’œuvre les dépasse. Tu as pris ta part de malédiction pour produire un texte d’une force asphyxiante. »
En attendant ce jour, mon journal, tu es ma planche de salut. Tant que tu es là, je sais que je lutte encore pour trouver ma voix, dans ce nouveau projet un peu fou.
Journal d'Éric – Mercredi 8 mai 2019
Je ne vais pas, chaque jour, vous dire combien je bloque, ça va lasser, non ?
(Tiens, d’ailleurs, je ne parle plus au journal, mais au lecteur de mes mémoires. Déjà. C’est un progrès, j’imagine.)
Ce n’est pas que je ne travaille pas, oh non. Laissez-moi vous décrire mes journées. Ma femme m’embrasse en partant. Petit mot d’encouragement. Ensuite, je passe, quoi, 4 h, 5 h devant ma machine ? Chaque jour, je me pose devant mon ordinateur. Je laisse alors mes doigts s’agiter sur le clavier. Des mots se forment, je redouble d’énergie, j’accélère la cadence. Je me dis que ça y est, c’est le jour J, le cycle maudit est fini, ces mots seront ceux de la délivrance.
Mais toujours, mon tranchant s’émousse. Ma prose s’écrase au sol, comme un oisillon qui tombe du nid. Phrases plates, Idées confuses. Tout ce qui s’ajoute souille ce qui précède, ruine mes efforts en détruisant les fondations mêmes de mes bonnes idées. Les personnages ne veulent pas prendre vie sous ma plume. Est-ce qu’ils devinent ce qui les attend au Bataclan ?
Et puis, qui voudrait lire ça ?
Je ne jette rien, sait-on jamais. Je stocke précieusement ces écrits, même mauvais, dans un répertoire, en me disant que je leur trouverai peut-être des qualités plus tard. En attendant, rien que je puisse sauver ni rien qui puisse m’élever.
J’ai l’impression d’être un fermier qui a hérité d’une terre aride, infertile (comme si je m’y connaissais en ruralité ?). Quels que soient mes efforts, rien ne pousse dans cette sècheresse. Sècheresse de quoi en réalité ? De mon cœur ? Est-ce que c’est le sujet se dérobe ou est-ce que c’est moi, le problème ?
Journal d'Éric – Jeudi 9 mai 2019
Grrr. Il faut que j’avance, bordel. C’est vrai, quoi, il est important, ce roman. Peut-être le plus important que j’ai écrit. Il parle de noirceur et de lumière. La noirceur nous happe, nous enveloppe, nous englobe. L’antidote, c’est la lumière.
C’est beau, c’est grand… et ça me dépasse.
Journal d'Éric – Vendredi 10 mai 2019
J’ai trouvé, il faut que je parle aux victimes. Une fois que j’aurai présenté mon projet, je serai engagé. Commité, comme on dit dans les réunions des grosses boites. Il faudra alors que j’aille au bout, pour eux, pas seulement pour moi.
J’ai préparé un mail pour Stéphane Morin, le président de l’association des victimes.
Je n’ai pas encore eu le courage de l’envoyer.
Journal d'Éric – Samedi 11 mai 2019
Bon, je lache prise (mon coach va apprécier). Je me met trop la pression. Quand ça ne veut pas, c’est l’occasion de faire un bon break. Les beaux jours reviennent. J’ai passé du temps à planifier une petite semaine en Bretagne, avec Élise, ma femme.
Relax, Éric. Tu as besoin d’une pause. Prends du recul !
Journal d'Éric – Lundi 8 juillet 2019
Bordel, ça sent déjà l’été. Élise est rentrée fin mai, je suis resté. J'étais parti pour une semaine de break, me voilà huit semaines plus tard.
Là, c’est bon, je suis bien reposé, de retour à Paris, mais je peine toujours à m’y remettre.
Il va vraiment falloir que je change de stratégie.
Journal d'Éric – Lundi 15 juilet 2019
Le 14 juillet, c’est toujours sympa. J’étais hier au pot chez Ex Nihilo, et d’autres auteurs et autrices de la maison d’édition. Le cheptel. J’ai soigneusement évité mon éditeur. On a joué à cache-cache pendant toute la fiesta. Je l’ignorais maladroitement en me concentrant sur ma conversation avec Édith, l’autrice de « Gouttes », roman un peu trash, une histoire de fluides corporels, sous toutes leurs formes (berk !). David était dans ma vision périphérique et il savait que je le regardais, dans ma tête, mon attention tournée sur lui. Je sentais son regard agacé.
Et bingo, David a appelé aujourd’hui. Il m’a dit qu’il pensait que je le menais en bateau. « Va falloir te bouger, Éric. » Il a commencé à parler du remboursement de mon avance. « Uniquement, car je sais que souvent, cela motive les auteurs. » Je lui ai évidemment dit qu’on n’était pas dans une impasse, pas dans ce genre de problème durable. « Je tâtonne pour trouver un angle. », lui ai-je dit, « mais je crois que j’ai le bon, cette fois ». « J’ai totalement confiance en toi. Je sais que tu vas y arriver. », m’a-t-il répondu.
Il m’a dit ce qu’il devait dire, bien sûr, mais il n’en croyait pas un mot. Mais, quel faux-cul !
Journal d'Éric – Mardi 16 juilet 2019
Je me suis emporté hier. Pourtant, je l’admets volontiers, un écrivain qui n’écrit pas, ça craint. Au début, on ne s’inquiète pas, on se dit qu’on a déjà connu ça. Mais, quand ça dure, ça devient obsédant.
Je me rassure comme je peux. Même les plus grands ont connu des blocages. Je pensais à Balzac lorsque le cas de Stephen King m’est revenu à l’esprit. C’est dans une période de doute comme ça qu’il a écrit Shining, après tout.
L’enquête – mardi 14 janvier 2020
Il faisait un froid de canard. Hector regrettait de ne pas s’être habillé plus chaudement. Vu l’état du corps qui se trouvait devant lui, il était parti pour passer un bon moment dehors, à surviser le ramassage des preuves et des morceaux.
Le corps de l’homme était méconnaissable. La chute avait été violente. Cinq étages. Tous les os brisés ; le reste n’était que chair écrasée. L’homme avait manifestement sauté de son appartement, un suicide classique.
Le dossier paraissait simple ; ce serait juste de la paperasse à remplir. Hector était pourtant méticuleux et tentait de garder l’esprit ouvert. Il franchit le cordon de protection qui entourait le corps, pour rejoindre la gardienne de l’immeuble. C’était elle qui avait appelé les secours.
— Capitaine Hector Henin. Je suis chargé de l’enquête. C’est vous qui nous avez appelés ?
— J’ai appelé les pompiers, enfin oui, j’ai appelé. Pourquoi une enquête ? demanda-t-elle.
— C’est la routine, Madame. En cas de mort violente, on s’assure toujours qu’on ne passe pas à côté d’un truc. On essaie de s’assurer qu’il a bien sauté de son plein gré, si vous voyez ce que je veux dire.
Elle hocha simplement la tête. L’allusion d’Hector semblait la perturber.
— Il ne voyait plus grand monde, vous savez. Il s’était isolé pour écrire son prochain roman, poursuivit-elle.
Hector restait concentré sur sa routine.
— Il y a une caméra de surveillance dans votre immeuble ? On peut voir si quelqu’un est venu le voir ?
— La caméra surveille seulement le hall. Vous pourrez voir les entrées et sorties, confirma-t-elle.
— Ça me va. Vous donnerez l’accès au brigadier Perez, dit Hector en appelant d’un geste la femme en uniforme qui s’affairait autour du corps.
Alors que la gardienne s’apprêtait à retourner dans sa loge, Hector l’interpela.
— Attendez. J’aimerais aussi voir l’appartement de ce monsieur. Est-ce que vous auriez sa clé par hasard ?
— Bien sûr, j’arrose ses plantes et je dépose son courrier quand il n’est pas là. Vous voulez vraiment monter ?
La gardienne paraissait gênée.
— Il était un peu bizarre, mais tout le monde l’aimait bien, dit-elle tout bas le regard vide.
Hector commençait sérieusement à se geler. La perspective de se réchauffer dans l’appartement et de s’éloigner du cadavre de l’homme le réconfortait.
— Allons-y, je vous suis, Madame.
Podcast
La semaine prochaine, Double Vie accueille Jean Krug, glaciologue, guide en antarctique et écrivain.
Pour patienter, vous pouvez écouter le podcast de Clément Bouhélier, romancier dans le domaine de l’imaginaire et expert en référencement Web.
🎧 À écouter sur la chaine YouTube Double Vie.
À retrouver également sur Apple Podcast et le site Double Vie.
La dose de flow
Musique
Le groupe X Ambassadors vient de sortir un nouvel album, The Beautiful Liar, un projet « concept » très intéressant. L’album est présenté comme un livre audio et se déroule à la façon un conte, dont l’histoire se déroule en deux parties. Il suit une jeune fille aveugle, évoque ses cauchemars et sa rencontre avec une ombre.
Ce groupe rock américain a quelques tubes à son actif, dont Renegades, hymne lancinant à la force de ceux qui dépassent leurs handicaps, aux rebelles et à la différence. X Ambassadors est vraiment un groupe à écouter.
Inspiration
S’il y a bien un élément qui nous plonge immédiatement dans l’action d’un James Bond, c’est bien sa musique. Les thèmes musicaux en sont une signature immédiatement reconnaissable.
Pour le dernier opus, c’est Billie Eilish qui compose et interprète le générique de James Bond.
Ça ressemble à James Bond, avec la voix fragile de Billie Eilish. Pourquoi ça sonne autant comme du James Bond ? Le Monde a préparé une petite vidéo qui explique ce qui fait justement la signature de ces thèmes iconiques.
À suivre
Voilà, je suis en route pour Épinal, avec au programme, entre autres, écriture, rencontre avec d’autres auteurs et autrices, murder party et soirée contes.
La semaine s’annonce riche. En attendant le festival des Imaginales le week-end prochain, je vous souhaite un merveilleux week-end !
— mikl 🙏
Photo by Steve Johnson on Unsplash
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