Alors, comment se passe votre week-end ?
Je parlais des révélations la semaine dernière, celles que l’on découvre dans son parcours d’écriture, qu’on ne peut que sentir pour comprendre. D’une certaine façon, je continue cette semaine.
En termes de sensations pour un auteur, une autrice, une nouvelle est généreuse. Elle donne sans compter. C’est un partage inconditionnel avec ses lecteurs. À l’inverse, lorsqu’on se lance dans la forme longue, on ressent une forme d’avarice. L’auteur connait toute l’histoire, du récit à l’origine de ses personnages, mais il ne peut pas tout donner trop vite. Un roman s’économise. Il faut maitriser son rythme, comme dans une course d’endurance. Un marathon ne démarre pas comme un sprint. Il faut gérer son souffle.
Écrire, c’est maitriser l’art de distiller les informations aux lecteurs, leur raconter une histoire qui leur fasse vivre de l’intérieur les émotions des personnages. Pour que cette expérience se produise, pour que les lecteurs s’attachent aux personnages, s’identifient, rentrent dans leur peau, il faut prendre son temps.
C’est bien pour cela que le format sériel est devenu si populaire, par rapport au cinéma. C’est cette connexion qui s’établit entre le spectateur et les personnages sur la durée, qui en fait tout le sel.
Devant son ouvrage, l’auteur doit assumer ce grand pouvoir dont il dispose. Il est tout puissant et peut choisir à quel moment il va révéler telle ou telle information. Il doit le faire cohérence, classe et talent, de manière à faire vivre des émotions à ses lecteurs. Un auteur doit apprendre à assumer ce pouvoir, celui de distiller l’information de manière à la fois satisfaisante… mais aussi souvent frustrante. Satisfaction, frustration, peur, colère, ces émotions sont le résultat d’une histoire bien construite.
J’ai remarqué que c’est lorsque je prends plaisir à utiliser cette puissance, à vouloir jouer avec le lecteur, à imaginer ses réactions, à vouloir jouer consciemment avec ses émotions, que je me sens écrire avec justesse. L’écriture est une danse entre l’auteur, l’autrice et son lecteur. Au début, cette danse fait peur. De quel droit joue-t-on comme ça avec un autre humain, avec ses émotions ? Mais le lecteur est là pour ça. Jouer avec lui n’est pas un droit, ce n’est pas une petite liberté que l’on s’accorde, c’est un devoir. Lorsqu’un lecteur, une lectrice passe du temps à lire un de nos textes, il le fait pour une raison précise : il fait confiance à l’auteurice pour lui faire vivre une expérience.
Pour écrire, il faut donc être joueur, parfois cruel avec ses personnages et avec le lecteur, accepter de déplaire, de frustrer, de pousser les curseurs au maximum. Aussi étrange que cela puisse paraître, l’écriture de fiction est une expérience de l’extrême, pas une relation de salon. S’ils aiment nos personnages, les lecteurs vont nous haïr par moment. Il faut l’assumer.
En tant qu’auteur, ce chemin est l’apprentissage d’une libération. Il ne faut pas être trop sage. Il faut se faire plaisir, prendre plaisir dans ce jeu, dans cette danse.
Parler de rythme narratif, c’est d’ailleurs aussi parler de la musique du texte, de ses vibrations. En narration, on parle de « beat », de tournant, de montée et de descente en tension. Créer une histoire, c’est créer un ballet dans lequel on va faire rentrer le lecteur.
Dans les débuts de l’écriture, dans les premiers jets, on veut trop en donner, tout de suite. On a peur de retenir l’info, on trouve ça cruel, on a presque peur de blesser le lecteur. Mais il n’est pas fragile. Il est solide. Il en a vu d’autres et il veut jouer. Entre l’auteur et le lecteur, c’est un processus de séduction. Il faut d’abord capter l’attention, attirer le lecteur dans son jeu, puis ne plus le lâcher. Il doit être intrigué, curieux, anxieux, désorienté parfois, surpris par un mouvement, par un rythme à contretemps. Il va rire de sa propre maladresse sur la piste de danse. À mesure qu’il entre dans le jeu, il va comprendre la logique du texte et prendre plaisir, étourdi par la musique des mots et la virtuosité du metteur en scène.
L’auteur doit respecter le lecteur, ne pas trahir ses attentes, mais il doit aussi lui faire confiance et ne pas avoir peur de le frustrer, de la malmener pour établir cette connivence.
C’est maintenant quelque chose que je garde en tête avant de m’installer pour écrire.
Se lancer dans l’écriture de fiction, c’est regarder son lecteur dans les yeux pour lui dire: « Est-ce que tu veux danser avec moi ? »
Podcast
Cette semaine, le podcast Double Vie accueille Floriane Soulas. Floriane est ingénieure, docteure et autrice de trois romans et de plusieurs nouvelles, couvrant de nombreux genres de l’imaginaire, de la fantasy à la science-fiction. De « Rouille » aux « Oubliés de l’Amas », elle nous parle dans cet épisode de sa vie créative, de son travail d’autrice et de ses projets.
🎧 À écouter sur la chaine YouTube Double Vie.
À retrouver également sur Apple Podcast et le site Double Vie.
La dose de flow
Musique
Un peu de douceur aujourd’hui, avec un morceau que j’adore, la chanson de l’anime Arrietty, des studios Ghibli.
J’aime l’histoire de ce morceau, composé et interprété par la harpiste française Cécile Corbel. À la sortie de son album, Cécile Corbel avait envoyé un de ses derniers disques aux studios Ghibli, sans arrière-pensée, simplement pour les remercier pour leurs films merveilleux, comme une simple fan. Non seulement le CD est arrivé à destination, mais il est arrivé sur le bureau de Toshio Suzuki, un des fondateurs de Ghibli. Il a adoré le disque et a décidé de contacter Cécile Corbel. C’est comme cela que Cécile Corbel s’est vu confier la musique du film.
Belle histoire, non ?
Le résultat est à la hauteur, sonnant avec délicatesse aussi bien dans la version française que japonaise.
Inspiration
Je suis friand de fiction audio. J’avais beaucoup apprécié « Rouge Vif » de Medhi Bayad.
J’ai récemment écouté Lumière Noire, toujours de Medhi Bayad, et j’ai beaucoup apprécié son jeu avec les codes de la radio et de la dystopie, pour faire monter la tension.
🎧 À écouter en intégralité sur Soundcloud : Lumière Noire
Si vous connaissez d’autres fictions audio bien construites, je suis preneur.
À suivre
C’est une période où j’enchaine les enregistrements de podcasts, donc attendez-vous à retrouver un grand nombre de voix de l’imaginaire qui viennent parler au micro de Double Vie. Comme toujours, je sors étourdi de ces entretiens avec ces personnalités incroyables.
En parallèle, j’ai maintenant un énorme tableau qui contient une chronologie de plus en plus précise des événements de mon roman. J’approche du moment où je vais pouvoir reprendre l’écriture du deuxième jet. J’ai hâte.
D’ici là, je vous souhaite un merveilleux week-end !
— mikl 🙏
Photo by chandra chandra on Unsplash
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