Alors, comment se passe votre week-end ?
Pour moi, c’est comme souvent un moment de réflexion sur mes progrès.
Dans tout processus d’apprentissage, il y a des déclics. Qu’y a-t-il de plus satisfaisant que cette sensation de compréhension, d’illumination qui nous permet de franchir un palier ? Notre vision du monde change d’un coup, prend un sens nouveau, c’est une épiphanie.
S’il nous fallait une bonne raison pour continuer à apprendre sans cesse, c’est bien celle-là, ce sentiment grisant, ce moment où le monde laisse apparaître sa logique cachée. Le mot lui-même est un plaisir, le déclic évoque le clic, le bruit d’un mécanisme d’engrenage qui se déclenche, avant de libérer l’accès à la salle du trésor. L’apprentissage est une quête (Coucou Indiana Jones).
Dans mon court parcours d’écriture, ces déclics réguliers me poussent vers l’avant.
Mon dernier déclic ?
La littérature est un miroir qui nous est tendu, et comme nous, elle est faite de chair et d’os.
Oui, vous avez bien lu. De chair et d’os.
Je m’explique.
J’ai déjà succombé à deux illusions qui s’opposent.
La première illusion était de croire qu’une fois le premier jet d’un roman terminé, l’essentiel du boulot était fait. Je me suis lancé dans un marathon d’écriture en novembre 2020 en pensant qu’après quelques semaines d’effort intense, quelques relectures et ajustements, hop, le tout serait bouclé. En pratique, ma rédaction s’est essoufflée à mesure que l’intention de départ s’est diluée dans chaque mot ajouté.
La seconde illusion était d’imaginer qu’un plan ultra détaillé et des fiches de personnages pouvaient répondre à ce premier écueil. Avec une ligne directrice claire, la rédaction devient une formalité, mais on se lasse de son côté mécanique. Cette formalité se transforme en ennui, en usure, en une besogne ennuyeuse qui consiste à étendre légèrement ce plan. Après tout, l’histoire est déjà là, dessinée avec précision dans les notes ? À quoi bon passer tant de temps à l’enrober ? C’est alors qu’on doute de ce que l’on écrit, qu’on a l’impression que notre texte n’est pas intéressant.
On se dit qu’il manque quelque chose, mais quoi ?
Dans ma première tentative de roman, j’ai tenté de combattre cet essoufflement par plus de péripéties.
Je me suis trompé.
Lorsqu’un plat est fade, il ne suffit pas ajouter encore et toujours des mêmes ingrédients, cela donne un plat indigeste.
Dans le doute, j’ai ajouté plus de rouages, plus de mécanismes, finalement servis par des personnages désincarnés.
Désincarnés ? La clé est là, j’y viens.
On parle souvent entre auteurs de nos penchants, oscillant entre « architecte » et « jardinier ». Les architectes conçoivent précisément leur histoire à l’avance, les jardiniers la laissent émerger de leur rédaction. Cette distinction m’a toujours semblé artificielle.
L’illumination m’est venue en lisant le livre de David Meulemans sur l’écriture, « Écrire son premier roman en dix minutes par jour ». Il y explique que « l’art du scénario et l’art du roman sont deux choses distinctes. »
Je préfère l’exprimer avec mes mots. Tout roman doit développer une histoire, formalisée dans un plan détaillé, ce qu’il appelle le scénario. Le squelette. Mais un roman, n’est pas que ça, ce n’est pas qu’une suite logique d’événements qui s’entremêlent. Il est composé de scènes dans des lieux habités par des personnages qui ont une histoire et une vie propre, de fragments de textes qui émeuvent, font rêver, amènent à réfléchir au travers de l’empathie que les personnages suscitent. La chair du roman.
Pour écrire un roman, il faut concevoir un squelette, c’est-à-dire imaginer une histoire intéressante, mais aussi créer la chair, c’est-à-dire les petits détails qui déterminent le plaisir de lire… et d’écrire le texte.
Un scénario n’est qu’un guide inerte dont il faut savoir s’écarter pour animer le texte. L’écriture doit laisser émerger le plaisir d’ajouter de la chair au squelette. Elle doit donner à l’auteur le temps de descendre au niveau de la scène, de la phrase. Dans ce travail intense, l’auteur doit parvenir à faire naître le goût du mot juste, le bonheur de créer, de savourer et de s’amuser.
Car, oui, tel Docteur Frankenstein, l’auteur cherche à insuffler la vie dans son texte, à animer de son âme propre une masse de chair et d’os.
Et vous ? Quel est votre dernier déclic ?
Note : Ne vous fiez pas au titre provocateur du livre de David Meulemans, il est brillant, et je le recommande chaudement.
Podcast
La semaine prochaine, le podcast Double Vie reçoit Claire Duvivier. Claire est éditrice et autrice de Fantasy. Elle a reçu de nombreux prix pour son premier roman « Un Long Voyage » publié en 2020. En 2021, elle a continué sa carrière avec son roman « Citadins de Demain », un ouvrage qui s’insère dans un projet de grande ampleur, le cycle de la Tour de Garde, une double trilogie à quatre mains.
J’ai choisi de vous lire le début de son roman « Un Long Voyage », qui je l’espère, vous aidera à plonger dans l’univers de Claire.
Rendez-vous la semaine prochaine pour le podcast avec Claire !
À retrouver notamment sur Apple Podcast, Spotify et le site Double Vie.
La dose de flow
Musique
Eric Burton des Black Pumas a une voix exceptionnelle, qu’il met au service d’une présence et d’une émotion incroyables. Cela s’entend particulièrement sur cette reprise de ce morceau intemporel, « (Sittin’On) the Dock of Bay », un hommage vibrant à Otis Redding.
Inspiration
David JP Phillips évoque la puissance du storytelling, dans sa conférence TEDx à Stockholm. Il se lance en racontant l’expérience d’un journaliste qui a acheté des objets bon marché sur eBay, pour 160 $ et les a vendu en les accompagnant d’un texte décrivant l’histoire fictive de ces objets. Le total de ses ventes a dépassé 8000 $.
Nous attachons une valeur aux histoires, et aux objets qui ont une histoire.
Pourquoi ?
Parce que les histoires créent des émotions qui modifient la chimie de notre cerveau. David nous explique avec talents que les mots nous transforment au niveau physique de manière mesurable, presque palpable.
Cette vidéo vaut vraiment la peine d’être vue pour penser à l’effet que produisons au quotidien avec nos mots et au « message hormonal » que nous véhiculons, volontairement ou pas au travers de nos histoires et de notre attitude.
La présentation est en anglais, mais il est possible d’activer des sous-titres traduits en Français par Youtube.
À suivre
Ça va un peu secouer et bouger dans les semaines qui viennent.
Ma novella prend forme d’une manière inattendue et m’emmène dans des territoires que je ne pensais pas aborder. D’ici une semaine, je pourrais m’y consacrer pleinement pendant une semaine. J’espère avoir l’énergie et la concentration nécessaire pour la faire avancer à un bon rythme.
En attendant, je vous souhaite un merveilleux week-end !
— mikl 🙏
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