Alors, comment se passe votre week-end ?
Je suis enjoué, car c’est le retour des fictions dans ma lettre hebdo. J’ai fait une courte pause dans la rédaction de ma novella pour vous préparer ce petit texte, écrit sous contrainte. Je ne vous dévoilerai le thème qu’ensuite, pour ne pas vous gâcher le plaisir de la lecture.
Soyez indulgents, c’est un premier jet, brut, qui n’est pas encore passé au travers de mon nombre de relectures habituelles. J’espère que ce texte vous plaira !
Arraché aux flots
Le ciel étalait sa couleur de miel sur les falaises qui bordaient la crique. Le jeune Massimo était seul sur la jetée qui protégeait la plage déserte. Un peu plus loin à l’horizon, le bateau de Tonio rentrait au port. Face au soleil qui se couchait, Massimo ne distinguait que la silhouette du chalutier, mais elle était reconnaissable entre toutes. Tonio avait abattu les voiles et rentrait au moteur. Massimo lui fit un geste, sans savoir s’il l’apercevrait. Il fut salué en retour d’un coup de corne de brume.
Massimo se concentra alors sur sa tâche. Il devait plonger tant que la luminosité était suffisante. Il devinait le coffre au fond devant lui, celui qu’il avait aperçu briller quelques jours plus tôt. Massimo avait alors plongé pour s’en approcher. Le coffre était intact, l’ouvrir ne serait pas évident. Aujourd’hui, il avait emprunté un pied de biche au vieux Dino. Cela devrait faire l’affaire, à condition de tenir suffisamment longtemps sous l’eau.
Massimo se déshabilla, laissant ses vêtements sur le tas de cordages derrière lui. Le soleil doré éclairait son corps filiforme et halé, ses muscles fins. Il goûta l’eau du bout du pied. Elle était glaciale. Il n’eut pas envie de s’éterniser, un aller-retour et ce serait terminé.
Assis sur le rebord, les deux pieds dans l’eau, Massimo se mouilla la nuque. Il ferma ensuite les yeux, puis pris de longues et profondes respirations pour calmer son rythme cardiaque. Son torse se gonflait comme un ballon de baudruche, ses côtes menaçaient de déchirer sa peau tendue, soulignant son extrême maigreur.
Massimo se releva alors, pied-de-biche en main. Il entoura sa taille d’un bout de filet de pêche qu’il comptait utiliser pour remonter son butin. Il se tenait droit, bien campé sur ses deux jambes, ses orteils enveloppant le rebord rugueux de la jetée en béton. Ses yeux étaient fixés sur le reflet au fond. Il était hypnotisé par cette faible lumière qui dansait dans les flots. Il se baissa. Sans quitter son objectif de vue, il s’élança d’une puissante impulsion. Il entra dans l’eau sans une vague, presque sans un bruit.
D’abord, Massimimo lutta pour descendre. Il fallait prouver à Neptune que l’on était un fidèle, qu’on était un des siens. La pression augmentait rapidement, chaque mètre parcouru vers le fond de la Méditerranée demandait un peu plus d’effort. Son corps se comprimait, la descente s’accélérait, à mesure que l’air de poumon s’écrasait dans sa cage thoracique décharnée. L’outil qu’il tenait dans sa main gauche le gênait dans sa progression. Massimo chassa le doute de son esprit pour redoubler d’efforts, oublier l’envie de respirer qui menaçait de faire vaciller sa volonté.
Il toucha la caisse au fond et parvint à s’accrocher à l’une de ses poignées. Il se retourna dans l’eau pour accrocher ses pieds dans les rochers sous la grosse boîte de métal. Les deux mains libres, il put enfin insérer le pied de biche près des charnières du couvercle pour faire levier. Pendant qu’il s’affairait, le besoin de reprendre son souffle s’était évanoui. Il tira, une fois. Rien ne bougea. Deux fois. À la troisième tentative, la jointure attaquée par la rouille céda enfin.
Massimo se sentit faiblir. Il accéléra le mouvement en dégageant le couvercle. Le coffre contenait bien le précieux trésor qu’il était venu chercher. Il détacha le morceau de filet de pêche de sa taille. L’enfant récupéra autant de petites boîtes qu’il le put et remonta d’un coup de pied vif. La surface lui parut inatteignable, mais Neptune lui vint en aide. Il sentit ses mains l’enserrer et le pousser de toutes ses forces vers le haut. Jamais il n’était remonté aussi vite. Lorsque sa tête émergea hors de l’eau, Massimo reprit son souffle d’une aspiration bruyante, la tête jetée en arrière, le corps encore crispé par son exploit. Il eut l’impression d’être tiré dans les airs.
Il retomba. Il agita les jambes pour garder la tête hors de l’eau et continuer à avaler l’air frais. La lumière affleurait maintenant la surface de l’eau. En quelques brasses Massimo atteignit la jetée et remonta le long de l’échelle rouillée. Il tremblait un peu. Il s’égoutta avant de remettre ses vêtements, sans attendre de sécher.
Il prit un instant pour observer le trésor qu’il avait arraché aux flots. Il avait réussi à remonter une dizaine de petites boîtes, marquées du logo CNL. La Compagnie Nationale de Laiterie avant fait faillite, mais elle avait bel et bien existé.
Le soleil s’était presque totalement fondu dans la mer. Il était temps de rentrer. Il remonta la falaise et retrouva le vélo qu’il avait caché dans un fourré. Par habitude, car plus personne ne passait ici de toute façon. Encore trempé, il enfourcha sa bicyclette et remonta jusqu’au village, grimpa le raidillon en danseuse. L’obscurité n’avait pas encore envahi les champs ni le vignoble au loin sur le côteau. La terre était nue, sèche. Plus rien n’y poussait depuis longtemps. C’était la mer qui les faisait tous vivre désormais. Pour combien de temps encore ?
Arrivé chez lui, il abandonna en hâte son vélo dans le jardin. L’ombre de sa mère s’affairait dans le salon éclairé d’une lumière jaunâtre. Il posa son trésor sur le rebord de la fenêtre de sa chambre, puis rentra les mains vides. Sa mère ne dit rien sur son retard.
— Que t’est-il arrivé ? Tu es trempé ? Tu t’es baigné à cette heure ?
— Je vais t’expliquer, maman. Je vais me changer.
Le regard triste de sa mère lui fit l’effet d’un coup de poignard dans le cœur.
— Et toi aussi, va te changer. Tu peux mettre la robe qu’il aimait bien ?
Les yeux de sa mère brillèrent de ses larmes contenues. Massimo voulut y voir un éclair de joie.
Il se précipita dans sa chambre. Il récupéra sa pêche miraculeuse sur la fenêtre, et emballa une des petites boîtes avec un vieux journal qui traînait sous son lit. Ensuite, il mit un pantalon propre et son unique chemise blanche.
Lorsqu’il sortit de sa chambre, sa mère finissait de mettre la table. Elle était magnifique dans sa robe à fleurs rouges. En voyant Massimo, dans sa plus belle tenue, elle lui sourit enfin. Il ressemblait de plus en plus à son père.
Massimo fouilla dans la commode du salon, pour en sortir une des bougies qui leur servait pendant les longues pannes d’électricité. Il l’installa sur la table, posa son cadeau dans l’assiette de sa mère et alluma la bougie.
Luisa se pencha pour embrasser la chevelure encore humide et mal peignée de son fils.
— Vas-y, maman, ouvre ! J’espère qu’il y a encore des pasta ?
Les yeux de sa mère s’écarquillèrent.
— Ce n’est quand même pas… ?
— Tss, tss, ouvre !
Elle déballa le précieux cadeau, les yeux embués. Elle pleura à chaudes larmes lorsqu’elle reconnut l’emballage. Cette fois, elle attrapa Massimo par le cou et lui couvrit les joues de baisers.
Elle ouvrir la boîte délicatement pour en extirper le morceau de fromage, un morceau de vieux parmesan. Elle en coupa une fine tranche pour Massimo et une pour elle. Elle le huma avant d’en croquer un minuscule morceau du bout des dents, les yeux clôts.
Massimo saisit délicatement sa part à deux doigts. Il l’approcha de son nez. L’odeur le renvoya immédiatement quelques années en arrière. À 14 ans, il n’avait pas connu le monde d’avant. Il était né après l’Incident, après les secousses et les tremblements qui avaient ralenti la rotation de la Terre. Il n’avait pas connu l’époque où le lait fermentait naturellement, toute l’année. Depuis l’Incident, le lait restait un simple liquide inerte. Sauf les années bissextiles, celles où février s’étirait sur 32 jours au lieu de ses habituels 31 jours. Les « années de fermentation ». Personne n’a vraiment compris pourquoi. Certains avaient émis l’hypothèse que la vitesse de rotation avait fait de la terre une centrifugeuse cassée. C’était scientifiquement étrange. Et puis tout le monde s’en foutait. Il y avait bien d’autres problèmes. En réalité, nul ne savait pourquoi le fromage avait quasiment disparu et était devenu un produit de luxe, disponible tous les quatre ans en février, en quantité modeste.
Massimo n’avait pas connu la Grande Époque, celle où le monde comptait des centaines de sortes de fromage. Il avait pu en goûter, une fois, grâce à sa mère. Elle avait conservé précieusement un morceau de parmesan, qu’elle lui avait offert pour ses cinq ans. Massimo se souvenait de cette odeur acide, de ce goût fort, puissant qui l’avait d’abord fait grimacer.
Ce soir, pas de rictus. Il croqua dans ce morceau, instantanément, il retrouva ce goût si spécial. Pour lui, c’était le goût de la vie. De la vie avec Andréa.
Luisa tira d’un tiroir la photo de son mari, le père de Massimo, et la posa entre eux sur la table.
Les larmes de Luisa continuaient de faire briller son visage. Pas de gros sanglots, pas ces pleurs d’orage qui obscurcissent le ciel, juste un simple ruissellement le long de ses joues, comme une petite averse d’été. C’était la première fois qu’elle exprimait sa tristesse depuis la disparition d’Andréa. Cinq ans. Perdu en mer. Jamais retrouvé. Ce soir, la tristesse ressemblait un peu aussi à de la joie.
— Je t’ai déjà raconté notre voyage à Rome ? demanda Luisa.
— Jamais, maman.
Massimo avala un nouveau morceau de parmesan, et se cala sur le dossier de sa chaise pour écouter Luisa commencer son histoire.
Les auteurs aiment se lancer dans des défis … bizarres. Lorsque les amis de mon groupe d’écriture se sont lancés dans la création de nouvelles imaginaires autour du thème du fromage, j’étais circonspect. Je n’étais pas sûr d’être capable de trouver l’inspiration pour un texte sur le sujet.
L’idée a fait son chemin et cela a donné l’histoire de Massimo, « pêcheur de fromage », dans un monde post-apocalyptique où le fromage est une denrée rare.
J’espère que cette nouvelle fromagère, après relectures et éditions, pourra rentrer dans le cadre de cette œuvre collective 😱 🤣 !
Podcast
Cette semaine, le podcast Double Vie reçoit Guillaume Chamanadjian. Guillaume est le coauteur d’une double trilogie co-écrite à quatre mains avec Claire Duvivier. Après le Sang de la Cité en 2021, il vient de sortir Trois Lucioles, le tome 2 de Capitale du Sud dans le Cycle de la Tour de Garde.
🎧 À écouter sur la chaîne YouTube Double Vie.
À retrouver notamment sur Apple Podcast, Spotify et le site Double Vie.
Vous pouvez également écouter ma lecture du début de son roman, Le Sang de la Cité.
La dose de flow
Musique
Aujourd’hui, j’ai choisi de vous parler d’une émission musicale que j’adore. Le principe de Fanzine est simple. Waxx et C.Cole invitent des artistes dans leur studio et parcourent les moments marquants de leur carrière, en ponctuant la discussion de reprises étonnantes.
La qualité des arrangements est exceptionnelle, le ton est détendu et permet de découvrir ou redécouvrir des artistes.
Je vous recommande par exemple, l’épisode avec Ultra-Vomit, groupe de métal parodique, duo hilarant.
Voici l’épisode :
Et voici un extrait mémorable, une reprise acoustique de leur titre phare Kammthaar, clin d’œil au groupe de métal industriel allemand Rammstein :
Inspiration
Le lien vers la vidéo de Mark Knopfler s’est perdu la semaine dernière. Je vous la remets donc ici :
À suivre
Cela m’a fait plaisir d’improviser une petite nouvelle qui se relie avec les textes d’inspiration fromagère de mes camarades. C’est un ballon d’oxygène et une courte parenthèse bienvenue dans l’écriture de ma novella.
J’espère qu’elle vous aura plu. J’ai déjà une idée pour une suite (tout aussi courte). Dites-moi si vous êtes partant pour la lire dans une prochaine lettre !
En attendant, je vous souhaite un merveilleux week-end !
— mikl 🙏
Photo by Mourad Saadi on Unsplash
Laisser un commentaire