Cadeau empoisonné


Fiction   •   16 janvier 2021

Six mois dans l’espace… Déjà. C’est dire s’il ne s’était pas ennuyé. Il y avait la mission, les études scientifiques, les rapports à rédiger. Prendre soin de la serre, s’assurer que les cultures se développaient comme elles le devaient. La nourriture spatiale apportait les nutriments vitaux, mais c’était juste une bouillie sans goût. Veiller sur ces plants, c’était s’assurer de pouvoir se faire plaisir en mangeant un fruit ou un légume de temps en temps.

Et c’était ce jour-là. Il avait retardé la première récolte pour tomber le jour de son anniversaire, un premier anniversaire dans l’espace, loin de sa famille, de ses amis. Il était en route pour Mars, il fallait s’habituer à la distance. Il s’accoutumait d’ailleurs plutôt bien.

Peut-être parce qu’il n’était pas seul. Rien de comparable à une famille cependant. Les autres membres de l’expédition — deux autres hommes, trois femmes — étaient plus des collègues que des amis.

Et puis, il était encore possible de contacter la terre en visio, car ils étaient encore relativement proches. Il y avait juste beaucoup de latence.

Son cadeau, il le tenait là dans les mains, une tomate et une grappe de raisins. Il avait fait mine de les déballer durant l’appel. Ses amis l’avaient félicité, salué chaleureusement, mais ils s’étaient aussi gentiment moqués de lui qui s’amusait il y a encore peu de la fameuse orange que ses arrière-grands-parents recevaient en cadeau à Noël.

Puis, ils s’étaient tous déconnectés. Il se retrouvait seul devant son cadeau. Il commença par mordre à pleine dent dans la tomate, aspirant bruyamment pour ne pas laisser s’écouler le précieux jus. Ému, il avait fait durer la dégustation, avant d’attaquer les raisins. Il prenait plaisir à éclater les petites boules dorées, une à une, entre ses dents. Il faisait durer le plaisir de cette liqueur sucré qui lui coulait dans la gorge.

Il avala le dernier grain, l’écran éteint de son ordinateur lui renvoyait l’image de son visage souriant et grave en même temps. Une larme roulait sur sa joue. Il déglutit pour avaler, le lent poison de la nostalgie.


Cette micro-nouvelle a été partagée avec les abonnés à ma lettre hebdo dans le Flow #48.