Designed in Europe, Made in China

Designed in Europe, Made in China

Petit mode d'emploi pour désintermédier la Tech européenne


Tech   •   06 mai 2025

Le cap des 100 premiers jours du nouveau président américain vient d’être franchi et le monde s’apprête à faire face aux conséquences des taxes de douane imposées par les États-Unis sur la Chine. Et bien sûr, cela inclut le monde de la Tech.

Apple vient d’annoncer l’objectif de changer la production d’iPhone vendu aux US, de la Chine vers l’Inde, d’ici 2026. Une grande nouveauté pour tous ceux qui ont l’habitude de lire « Designed in California, Made In China » gravé en petit sur nos objets familiers depuis le premier iPhone.

Mais aujourd’hui les certitudes et statu quo tanguent et tout équilibre paraît plus précaire qu’auparavant. Les discours isolationnistes des États-Unis face à la consolidation des positions chinoises dans le reste du globe semblent annoncer la fin d’une ère. Entre les deux géants qui se font face, l’Europe cherche sa place sur l’échiquier en même temps que son indépendance.

Conçu en Californie, fabriqué en Chine. Avec la tension croissante, la souveraineté européenne devient plus que jamais un enjeu majeur, surtout quand Oncle Sam semble traiter ses amis de longue date comme des ennemis. Beaucoup de pays européens et alliés des États-Unis semblent se réveiller en sueur face aux gesticulations de celui qui vit à la Maison-Blanche.

Alors je ne dis pas qu’il faut faire une confiance aveugle à la Chine (il ne faut pas). Les conditions de travail dans les usines qui produisent justement ces outils technologiques font régulièrement parler d’elles. Et la Chine fait elle-même face à des problèmes à l’international comme à l’intérieur. Simplement, dès lors que le rêve américain se révèle comme un cauchemar, il devient difficile à vendre, empaqueté avec des produits de consommation.

Il est logique, et ce n’est sûrement pas une mauvaise idée, d’en profiter pour supprimer un intermédiaire et une dépendance dans la chaîne de production.

C’est l’idée séduisante derrière un slogan en forme de programme, « Designed in Europe, Made in China », une approche qui pourrait être une étape importante dans la reconnaissance d’une forme de souveraineté économique.

Même Apple, avec sa puissance financière quasi illimitée, reste en admiration de la chaîne d’assemblage chinoise. Et ce ne sont pas les mesures punitives par les taxes de douane de l’administration Trump, appliquées puis retirées discrètement dans un silence gênant, qui ont changé quoi que ce soit à cette réalité. Ce ne sont pas les slogans patriotiques qui font tourner les machines.

Et pourtant, la guerre des taxes douanières paraît être là pour durer, justifiée par l’idée de faire revenir la production des objets électroniques sur le sol ricain. Mais si ces « tariffs » sont si bénéfiques et permettent le retour de la production de matériel, pourquoi ajouter des exemptions sur des produits clés, comme les smartphones et ordinateurs ?

Le fantasme du grand retour industriel a la peau dure chez eux comme chez nous. 80 % des Américains souhaitent que les usines reviennent. Mais est-ce possible ? Et surtout, est-ce souhaitable ? 

Ce rêve de relocalisation est aussi coûteux que contre-productif. La Chine a des décennies d’avancées dans son expertise manufacturière. Elle n’a pas seulement les infrastructures, elle a le savoir-faire, les talents, la logistique. Des plans et une vision qui s’étendent sur des décennies et non pas sur un mandat présidentiel de 4 ans.

Et en particulier, à court terme, il paraît impossible de faire revenir la production près de chez nous. La production d’iPhone est massive, avec de nombreux composants fabriqués par des différents fournisseurs, éparpillés sur nombres de pays.

Plutôt que de s’acharner à concurrencer l’impossible, une autre voie s’ouvre à nous : celle de la désintermédiation. Accepter que le « Made in China » reste la norme, pour un temps au moins, mais faire évoluer le « Designed in California » en « Designed in Europe ». Reprendre la main sur la pensée, sur l’acte de création dans ce qu’il a de plus politique. Se libérer des filtres américains qui, aujourd’hui encore, dictent nos outils, nos interfaces, nos systèmes d’exploitation.

Le fait que la Chine semble tout à fait prête à se passer du marché américain et que le président chinois a appelé l’Europe à « résister ensemble » au début du mois d’avril semblent être des portes ouvertes pour de nouvelles relations internationales.

Mais cette autonomie européenne passe aussi par la sécurité. Aujourd’hui encore, la majorité des mises à jour critiques, des audits de sécurité, des patchs de firmware sont gérés à l’étranger. Supprimer l’intermédiaire, ici aussi, signifie reprendre le contrôle. Faire évoluer les systèmes localement, former les talents, construire des équipes capables de maîtriser l’ensemble de la chaîne logicielle de l’interface jusqu’au firmware. Ce n’est pas de la science-fiction. C’est du bon sens.

Enfin, réduire l’influence américaine dans les industries sensibles – objets connectés, serveurs, infrastructures critiques – est une priorité de long terme. La confiance ne se décrète pas. Elle se construit sur la base de la maîtrise technologique. Et cette maîtrise ne pourra venir que d’un effort collectif, partagé entre États, chercheurs, entreprises et utilisateurs.

Android, dans sa version open source, reste un socle totalement viable et accessible et qui ne se repose plus sur les softwares américains. À condition de le dégoogliser réellement. C’est, actuellement, la couche logiciel ouverte qui nous rapproche le plus de l’autonomie recherchée.

Mutualiser les efforts pour créer un Android européen, pensé dès le départ pour l’autonomie, la transparence, et la souveraineté numérique, c’est poser les premières briques d’une alternative viable.

Avec les bouleversements qui se produisent à chaque fois que les États-Unis et la Chine s’échangent des coups sur la scène internationale, la souveraineté européenne et l’indépendance dans la Tech nous font du pied. Pourtant l’isolationnisme à l’Américaine n’est pas non plus la solution. Le rêve de contrôler toute la conception et production ne reste qu’un rêve. 

Et quand on voit les volumes nécessaires de production pour remplacer la Chine sur le marché international, cela devient évident. Pour ces volumes, on ne parle pas de simples usines, mais de centres de production ayant la taille d’une ville.

Mais il est tout de même possible d’agir à notre échelle pour garder en tête l’idée d’utiliser la Tech pour pousser le monde dans une meilleure direction. 

La Silicon Valley nous livre le mode d’emploi, c’est écrit sur la boîte : « Designed in California, Made in China ».

Nous avons les cerveaux, les valeurs, et les moyens de concevoir une autre voie. L’Europe doit investir dans ce qu’elle sait déjà faire : penser, concevoir, et bâtir une technologie alignée avec ses principes. Plutôt que de courir après des usines imaginaires, investissons dans notre autonomie intellectuelle.

Les géants américains ne se posent plus la question. Meta, Google et consorts visent à construire un monde où ils n’ont besoin de personne. Si nous ne voulons pas être relégués à l’état de simples consommateurs de leurs visions, il est temps de reprendre la main.

Si nous voulons changer le mode de production pour espérer l’influencer, alors il faut concevoir nos propres produits et maîtriser les contraintes placées sur la fabrication des appareils dont nous sous-traitons la production.