On m’a déjà posé la question personnelle qui suit. Plusieurs fois. Et c’est vrai que cela parait bizarre. C’est presque un paradoxe.
Comment peut-on être programmeur et aussi sceptique vis-à-vis de l’évolution technologique ?
Est-ce que c’est moi qui ai un problème ? Quand on est dans un milieu depuis longtemps, est-on condamné à s’en méfier, voire à le rejeter ?
L’ordinateur, pour moi, est un outil créatif. L’informatique qui m’intéresse, celle qui m’a toujours fascinée, c’est celle qui permet de créer. J’ai été happé par ce secteur dès les années 80 (!) pour son potentiel créatif. Par exemple, je ne sais pas si vous le saviez, mais à cette époque, il y avait une scène de Demo Makers très active, des personnes qui utilisaient l’informatique pour créer des démos. Les démos étaient des programmes qui repoussaient les limites des capacités de la machine, en animant des graphiques, générant de la musique. C’étaient des sortes de spectacles sons et lumières sur écran, faisant fi des capacités des machines de l’époque. Le jeu vidéo était aussi ultracréatif et un programmeur unique pouvait créer un magnifique jeu, en indépendance.
Mais tout cela n’était finalement qu’une branche particulière de l’informatique, qu’une facette de la création. Et c’est cette aspect là qui me passionne. Pourquoi ?
J’ai trouvé hier une définition de la créativité qui a éclairé mes interrogations différemment.
La créativité, c’est ce qui reste quand tout a été automatisé.
Vous sentez la tension ? L’informatique est un outil permettant d’assister les humains dans leurs tâches, en automatisant ce qui peut l’être.
D’une certaine manière, l’informatisation de la société heurte de front la créativité. Ou plutôt, à mesure que l’automatisation progresse, dans l’informatique ou ailleurs, la créativité se replie sur son essence.
Les conséquences sont nombreuses pour l’évolution du travail de tous :
- Si tu n’es pas créatif, tu es remplaçable, car ton travail peut être automatisé.
- La créativité n’est donc pas optionnelle, elle doit être enseignée, car elle est le fondement de la société de demain.
- L’attention (temps x focus) est notre principale ressource, car c’est la base du travail profond (le Deep Work, comme l'appelle Cal Newport), qui ouvre les portes de la créativité.
Sam Altman, le patron de la société OpenAI, l’énonce différemment : « Ma prédiction : l’IA va conduire à faire baisser le prix du travail qui se déroule devant un ordinateur beaucoup plus rapidement que le prix du travail qui se déroule dans le monde physique. »
Cela veut dire que ce que nous savions du monde, les principes sur lesquelles l’éducation est fondée sont en train de changer en profondeur. L’opposition entretenue par le système éducatif entre la valeur du travail manuel et du travail du savoir était déjà grandement biaisée. Son bouleversement va s’accélérer.
Ce qu’il faut retenir ?
La créativité n’est pas un loisir, ou l’étincelle de génie d’un savant fou dans son labo.
La créativité, c’est notre futur.
La créativité, c’est ce qui nous sépare de la bête… et de la machine. C’est le cœur de notre humanité, la part irréductible qui résiste à la machine.
Ce texte a été écrit pour les abonnés à ma lettre hebdo et partagé dans le Flow #75.