La bataille de l’IA se joue dans la loi et les tribunaux

La bataille de l’IA se joue dans la loi et les tribunaux

Où pourquoi il faut imposer aux sociétés gérant des modèles IA le respect absolu du droit d’auteur


Tech   •   20 juin 2025

L’IA a émergé après la vague du Cloud Computing et la naissance d’un Internet centralisé, hyper concentré, dominé par quelques acteurs. Pourquoi ? Parce que la valeur d’un service IA repose sur l’accumulation de données avec lesquelles son modèle est entraîné.

L’IA de Google prend de l’avance, car elle est entraînée avec les millions de vidéos Youtube à sa disposition. Cela donne VEO 3, une IA générative qui a plusieurs mois d’avance sur sa concurrence en termes de génération de vidéos.

Et lorsque ces sociétés ne disposent pas de données suffisantes, il est difficile de résister à la tentation d’acquérir illégalement ces contenus. En février 2025, Meta a admis avoir piraté des centaines de milliers de livres, 82 To de textes, pour entraîner son Large Language Model (LLM).

Meta’s Massive AI Training Book Heist: What Authors Need to Know - The Authors Guild
Today, The Atlantic published a search tool that allows authors to check if their works are in LibGen, an illegal pirate site AI companies copied for their AI systems. This is a similar tool to the one that journalist Alex […]

La guerre de l’IA se joue sur l’accès au plus grand nombre possible de ressources pour son entraînement. Évidemment, cette acquisition de contenus ne devrait pas s’abstraire du cadre légal. On en arrive donc à la question de la défense du droit d’auteur et de la valeur monétaire que l’on accorde aux ayants droit dans le processus de création et d’utilisation de ces modèles. Une réflexion nécessaire et urgente, car le cadre légal nécessite une adaptation rapide à un paysage technologique en pleine transformation.

Car il faut l’avouer, on ne sait pas vraiment aujourd’hui comment appliquer les règles existantes rémunérant la propriété intellectuelle face à l’émergence rapide des IA. La réponse à cette question est critique et devrait être au cœur des réflexions, puisqu’elle détermine tout le modèle économique des services d’IAs générative.

J’ai déjà écrit sur le sujet et avancée que les modèles économiques actuels pour la plupart de ces services ne seraient pas viables si les auteurs étaient rémunérés de manière juste et équitable :

La vague de l’IA risque donc de se briser sur la digue des enjeux financiers liés au respect des droits d’auteur – et à la désillusion face aux réelles capacités de ces outils dans un futur proche.
– Mickaël Rémond, Ces modèles qu’on appelle IA

Et il semble que tous les acteurs qui comptent dans le domaine de l’IA ont bien compris ce point : le futur de l’IA se joue dans l’existence ou non de régulations favorisant le respect des droits d’auteurs et encadrant les conditions d’entraînement des modèles d’intelligence artificielle.

Mais si ce point est clair pour tous, il reste encore à voir si les différents gouvernements sont véritablement disposés à prendre leur responsabilité en limitant la boulimie de contenus des grandes entreprises et en défendant le poids et la place des auteurs de contenus utilisés dans l’entraînement des LLM.

D’un côté des procès contre des entreprises d’IA naissent un peu partout sur la planète, comme en France, où Meta est poursuivi pour atteinte aux droits d’auteurs, de l’autre, certains gouvernements visent à protéger les entreprises et leur laisser le champ libre.

Le 13 novembre 2024, Shira PERLMUTTER témoignait en son rôle de directrice du bureau américain des droits d’auteurs à la sous-commission de la propriété intellectuelle du Sénat. Quelques mois plus tard, quand elle publie son rapport remettant en question l’utilisation de contenus protégés par le droit d’auteur pour entraîner les modèles d’IA, elle reçoit la nouvelle de son licenciement par l’administration Trump.

Statement on the Firing of Shira Perlmutter and the Release of the U.S. Copyright Office’s Report on Generative AI Training | Press Room
“The Guild demands the immediate reinstatement of Perlmutter as she is an employee of the legislative branch and the executive branch had no authority to fire her in the first place. We stand with Perlmutter and the U.S. Copyright Office in their fight against the theft of copyrighted works.”

Et maintenant, le projet de loi massif et chouchou de Trump, celui qu’il essaye de faire passer tant bien que mal aux États-Unis, contient, entre autres, un moratoire de 10 ans sur les lois visant à réguler l’IA. Une mesure critiquée comme incroyablement imprudente par certains, y compris venant du camp présidentiel, qui y voient un précédent dangereux.

US House Passes 10-Year Moratorium on State AI Laws | TechPolicy.Press
The US House advanced a 10-year pause on state AI regulation, but its fate is uncertain in the Senate.

Autre exemple, de notre côté de l’Atlantique, le gouvernement anglais a annoncé son intention d’inclure une exception aux droits d’auteur dans la loi pour l’entraînement des modèles IA à des fins commerciales, ce qui a suscité des réactions négatives de la part du public et de différents artistes comme Paul McCartney.

« Si vous présentez un projet de loi, assurez-vous de protéger les penseurs et les artistes, sinon vous ne les aurez pas de votre côté. Nous sommes le peuple, vous êtes le gouvernement. Vous êtes censés nous protéger. C’est votre travail. » Paul McCartney – BBC interview

En effet, du côté des créateurs, la peur commence à s’installer. Et en ligne, cette dernière prend le dessus sur la conversation. Certains auteurs avec une position plus nuancée et mesurée sont amenés à devoir défendre leur position à leur audience. Comme R.J. Bennett, auteur mais aussi développeur, qui prend la parole sur Instagram. Sa position unique fait de lui quelqu’un qui comprend bien la technologie derrière les LLM et peut avoir un avis technique mesuré et éclairé sur les IA tout en dénonçant les escroqueries autour des LLMs et des sociétés qui les exploitent.

Il a ressenti le besoin de réaliser une vidéo pour répondre à l’accusation d’utiliser l’IA pour ses écrits créatifs et ses romans. Ces accusations ont été formulées après qu’il a défendu l’utilisation de l’IA pour la rédaction administrative, comme la rédaction d’e-mails ou pour générer une étincelle créative.

« You post on the internet, fire off a bunch of posts and run your mouth, you are going to take some lumps » R. J. Benett – Instagram

Alors que l’incertitude grandit pour les personnes qui tentent de vivre de leur créativité, il semble obligatoire pour ceux qui disposent d’une plateforme en ligne d’adopter une position sur l’IA. Et entre les anti-AI purs et durs et ceux qui vivent et meurent par l’IA, le discours est certainement polarisé.

Mais, maintenant que cette position anti-droit d’auteur est défendue au plus haut niveau de l’État américain, il semble plus facile de tirer sur le messager que de s’attaquer aux vices dans le système. Comme avec toute nouvelle technologie, le cadre légal devra être adapté.

Si nous voulons que les cas d’usage légitimes des IAs puissent émerger, ce sont aux cas non légitimes qu’il faut s’attaquer. Il faut donc faire preuve de discernement pour comprendre comment fonctionnent les modèles, où se trouve la valeur dans la chaîne et comment la répartir de manière équilibrée.

Si l’IA est une commodité, alors la valeur reste dans la protection des savoirs, des connaissances qui lui donnent vie. C’est ce qui va permettre le tri dans les usages de l’IA. Pourrait être considérée légitime, par exemple, l’utilisation d’IA entraînée avec ses propres données, ou de données d’imagerie médicale mise en commun dans une démarche d’Open Science.

Pourtant, si l’on cède sur les droits d’auteurs, sous couvert d’une forme de fair use accordé aux exploiteurs d’IA, on abandonne le terrain du savoir et de l’humanité à la même logique déployée par ceux qui surexploite les ressources naturelles de la Terre.

De la même manière que la pêche de masse aux longs filets dérivants a été interdite pour son impact environnemental, l’IA doit être surveillée et régulée, non pas pour le danger immédiat qu’elle ferait peser sur la survie de l’humanité, mais plus prosaïquement pour protéger et défendre les créateurs.

Les sociétés qui opèrent les IA ne peuvent pas simplement et par eux-mêmes revendiquer un usage juste, tout en s’appropriant sans contrepartie le travail d’autrui.

La bataille de l’IA se joue dans la loi et les tribunaux… Et c’est maintenant qu’il faut se mobiliser, si l’on veut défendre la création, le savoir et l’humanité, non pas contre les IA, qui ont des usages légitimes, mais contre les sociétés prédatrices qui volent les artistes.