« Si tu veux réussir, ne réfléchis pas et fonce ! »
Dans un monde de winners biberonnés à la culture startup, ce mot d’ordre fait partie de l’implicite, une évidence que l’on ne remet plus en cause. Et pourtant.
J’ai déjà décrit ce qui se produit lorsqu’on vit sans marge, le nez dans le guidon.
Alors, faut-il foncer ou se donner des marges, au risque de rater des opportunités ? C’est un éternel dilemme pour le manager, trop souvent tiraillé entre l’envie d’accélérer et le besoin de reprendre son souffle.
J'ai trouvé une piste de réponse dans le cinéma.
Le Mans 66 est un film de James Mangold avec Matt Damon et Christian Bale. J’ai vu le film à sa sortie, il y a quelques mois, et j’ai été marqué par les enseignements que j’ai pu y trouver. Je tiens à préciser que je ne suis pas fans de voitures, soient-elles de prestige et que je déteste conduire.
Qu’ai-je bien donc pu trouver dans ce film ?
Le film retrace la rivalité de Ford et Ferrari pour la victoire dans la course automobile des 24 h du Mans, dans les années 60. Au-delà des rebondissements de l’histoire et du suspens de la mise en scène, la gestion de la performance est au cœur du scénario.
Pour gagner une course sur 24 h, il ne suffit pas d’aller à fond tout le temps, le pied sur le champignon, en ralentissant juste ce qu’il faut pour passer les virages. Le pilote doit savoir quand il doit mettre sa machine dans le rouge pour l’emporter. Il faut repérer les moments clés, être à l’écoute de la mécanique, avoir la bonne intuition et savoir quand pousser la machine et quand la ménager. Si on ignore les contraintes physiques, le pilote risque sans cesse de casser son moteur — ou une autre pièce critique — et de terminer sa course prématurément.
C’est une notion qu’on a perdue dans le monde du travail aujourd’hui, mais aussi dans la vie personnelle. Si on apprend à ménager une machine, pourquoi, a fortiori, ne se ménage-t-on pas nous-mêmes ?
L’idée même de se ménager peut paraitre complètement étrangère, dans un monde guidé par la performance — on ne ménage pas non plus nos ressources naturelles. C’est pour cela que l’on voit tant de burn-outs dans les deux dernières décennies. Pire encore, je pense qu’il y a encore beaucoup plus de burn-outs « larvés ». Nous tenons trop souvent par le travail, qui est devenu un bon anesthésiant. À forte dose, il nous aide à oublier de rechercher le sens de notre action.
C’est difficile à imaginer sans l’avoir vécu, mais le burn-out est suffisamment sérieux pour être synonyme de sortie de piste et de fin de la course. Pour le dépasser, il faut faire une longue pause pour pouvoir, plus tard, avec du recul et la sagesse nécessaire, reprendre le volant.
J’ai « frôlé » plusieurs fois le burn-out. J’ai freiné à temps pour éviter la sortie de route, moteur à plein régime. Ce qui m’a le plus choqué, c’est que l’on ne s’aperçoit de l’état dans lequel on était que plusieurs mois après, lorsqu’on a pris le temps de se réhabituer à la vie « normale », et qu’on retrouve ses esprits. On sait qu’on a évité le burn-out lorsqu’on revoit un peu de lumière, un début de semblant de sens, qu’il faudra continuer à rechercher.
Alors, quels enseignements faut-il en tirer ?
Je vois trois éléments importants à retenir :
- Apprenez à reconnaitre les moments clés de la vie de vos projets. À haut niveau, la quête de performance vous demandera de mettre votre moteur dans le rouge, d’utiliser vos capacités à 100 %. Malgré tout, gardez le contrôle et choisissez quand mettre le pied au plancher.
- Soyez attentif à votre entourage et votre équipe. Eux aussi ont à la fois des besoins de challenges, de pouvoir se dépasser et des limites, dont ils ne sont pas forcément conscients. Ce sont des ressources précieuses dont il faut prendre un grand soin.
- Profitez des moments de respiration naturelle. En admettant que le succès vienne en gérant bien sa course, ses accélérations et ses temps de récupération, il faut profiter des moments d’accalmie sans culpabiliser.
Alors, toujours envie de foncer sans réfléchir ?