En tant que responsables d’une société ou d’une équipe, nous avons tous connu l’ivresse de la montée en puissance, des moments de grâce où nous nous sentons au sommet de notre productivité et où nous déroulons nos tâches avec la mécanique précise et rassurante d’une horloge. Ces moments de félicité sont souvent suivis de période de doute et de désillusion.
Dans cet article, je vais partager comment certains de nos comportements nous conduisent dans une impasse et comment un simple changement de perspective peut vous aider à redonner du sens à notre action.
Le manager qui avait construit sa propre prison
Je me souviens d’un manager extrêmement compétent et consciencieux. Petit à petit, il a fait progresser ses compétences. Avide de connaissance, impatient de progresser, il s’est formé lui-même. Il a appris à devenir plus efficace. Son savoir-faire, sa connaissance des dossiers lui ont permis d’être plus rapide et plus productif que tous ses collègues. Alors, son périmètre s’est étendu.
Pour être capable de traiter de nouveaux sujets, il a trouvé d’autres moyens de progresser, de gagner du temps. Il a lu les principaux ouvrages sur la productivité. Maintenant, il jongle avec aisance avec une liste de tâches qui en noierait plus d’un. Il lit et produit un volume de mail colossal, s’implique dans des réunions sur l’ensemble de ses domaines de prédilection.
C'est une bénédiction pour son entreprise. Son importance lui donne un poids considérable, mais aussi une responsabilitéparfois écrasante.
Il s'est investi pour avoir plus d’autonomie et se sentir plus libre. Mais c’est tout le contraire qui s'est produit.
Il a le sentiment de ne plus avoir aucune marge de manœuvre, plus de temps pour rien et sûrement pas pour réfléchir. Les fonctions qu’il occupe maintenant dans l’entreprise lui donnent une position tellement critique qu’il ne peut pas retrouver un temps pour construire. Il est tellement productif que peu de collègues peuvent prétendre être aussi rapides et efficaces sur ses sujets.
Il s’est enfermé dans sa propre prison.
Il lui reste les rêves d’évasion, partir, quitter les contraintes qu’il s’est lui-même imposées, pour recommencer ailleurs, dans une autre entreprise. Et c’est bien là le cœur du problème. Comment ne pas recommencer et ne pas, à nouveau, s’enfermer dans sa propre cage ?
Ce portrait vous dit quelque chose ? Peut-être est-ce même vous, cher lecteur ?
Productivité vs impact
Pour ne pas retomber sur ces écueils, il faut prendre du recul. Je vois ici deux manières d’imaginer notre rôle d’acteur.
Le premier archétype est celui de la “human machine". C'est un manager ultra-productif, qui travaille sans relâche, abat un travail considérable et parvient à suivre des dizaines de projets en parallèle.
Le deuxième archétype est celui du “cataliseur”, leader à fort impact, créatif, inspirant, capable de lancer des initiatives fortes dans un temps record, mais qui a besoin de se ressourcer dans la création, en permanence.
C’est une typologie simplifiée. Le plus souvent, nous nous situons quelque part au milieu de ces extrêmes. Pourtant, nous mesurons souvent mal les implications du choix d’attitudes que nous devons adopter, car oui, il s’agit bien d’un choix d’état d’esprit, dont nous n’avons pas toujours conscience.
Ne pas prendre le temps de la réflexion, c’est se laisser happer par la tentation de la productivité. Si l’on en croit le corpus des livres de management produit chaque année, cette quête de la productivité, le besoin de faire toujours plus en moins de temps, est certainement l’état d’esprit le plus partagé
En réalité, ce positionnement découle de notre grille de lecture du monde et de notre manière d’envisager notre propre valeur.
Si nous nous donnons le rôle du manager à forte emprise, ayant une vision sur tout ce qui se passe dans nos équipes et chez nos concurrents, une sorte de super héros moderne, alors notre valeur essentielle deviendra la productivité. C’est le moment où nous nous transformons en machine et optimisons notre temps pour aller vers toujours plus. En pensant en termes de productivité, nous nous condamnons à vivre sous la contrainte de la performance.
Nous atteignons au fil du temps une valeur maximale, même si ce n'est pas tout à fait un plateau, car il est toujours possible de nous améliorer à la marge.
Notre rôle devient indispensable sur la plupart des sujets que nous touchons, car il est devenu difficile de rivaliser avec notre efficacité en termes de connaissance des sujets, de productivité pure. On peut débattre de l’unité de mesure — nombre de mails envoyés, nombre de sujets couverts, nombre de réunions auxquels nous participons — mais notre contribution est réelle et dans une certaine mesure tangible. Et donc rassurante…
Si en revanche nous osons endosser le rôle du leader créatif cherchant à maximiser notre impact et non pas notre productivité, alors notre contribution avec le temps sur un sujet donné aura plutôt la forme suivante:
Tout projet a des phases qui supposent de notre part recul et créativité à différents moments, donc sur la durée de vie d’un projet, notre impact pourrait plutôt être comme suit :
Toujours est-il que cette vision redéfinit radicalement l’utilisation de notre temps. Cette décision relève plus d’un art que d’une science. Il faut apprendre à écouter, sentir dans quel cadre et à quel moment notre attention est nécessaire pour maximiser notre impact.
En passant d’un sujet à l’autre, trop vite, l’énergie retombe et le projet risque de ne pas avoir reçu suffisamment d’élan pour décoller. À l’inverse, trop d’effort, de temps passé, d’énergie investie représentent une perte d’impact qui pourrait bénéficier à d’autres sujets.
Décider sur quel projet concentrer vos efforts relève plus d’un art que d’une science. Vous devez apprendre à écouter autour de vous et vous écouter pour sentir les aspects de votre métier qui appellent votre attention.
Penser sans cesse en termes d’impact
Au final, il faut être conscient qu’un leader doit trouver des relais sur les projets qu'il mène et les sujets qu’il traite.
Nous devons prendre en compte le cycle naturel de notre impact dès le début, à la conception, car monter une équipe, trouver les bonnes personnes, les intéresser, les former, prend du temps.
Au moment venu, lorsque notre impact diminue fortement, il faut être prêt à passer la main. Notre temps d’action doit être conçu comme limité. Il faut se mettre des objectifs, être à l’écoute de notre ressenti, de notre créativité et ne pas avoir peur de se remettre régulièrement en question.
Mes conseils aux leaders technologiques:
- Maximiser l’impact.
- Penser au moment au vous passerez le relai dès le début et préparer le. Ne pas faire l’erreur de penser que vous serez nécessaire au projet de toute éternité.
- Reposez-vous la question de votre impact régulièrement: demandez-vous par exemple: “Suis-je vraiment en train de travailler sur le sujet qui aura le plus d’impact pour l’évolution de ma société ?”
Pour schématiser, un leader maximise l'impact, un manager maximise la productivité. Ne laisser pas la routine et la peur de vous remettre en question vous enfermer dans des automatismes qui font de vous une machine. On nous dit que l’intelligence artificielle arrive pour nous remplacer. De mon point de vue, cela reste encore à prouver, mais ne lui facilitez pas la tâche ! Utiliser votre créativité !