Transmission


Réflexions   •   01 novembre 2023

Il y avait un peu d’appréhension, lorsque j’ai accepté l’invitation. C’était une amie qui le demandait, et puis je n’allais pas être seul face aux élèves, nous étions trois à intervenir, d’autres visages amicaux.

C’est comme ça que je me suis retrouvé avec d’autres membres éminents de mon groupe d’auteurices à m’adresser à une classe de troisième pour leur parler d’écriture, en particulier de science-fiction.

Et oui, ceux qui m’ont connu au collège ou au lycée doivent sourire, une prof de français m’a demandé à moi (!?!), de parler de textes, de création, d’imagination et d’intention littéraire… Qui l’aurait cru il y a trente-cinq ans ?

Et alors ?

J’ai adoré l’expérience. Alexia, la prof de français qui a organisé cette rencontre avait bien préparé le terrain. Les élèves étaient à bloc, l’animation de la session était parfaitement calibrée. Et donc, ce fut un plaisir d’échanger avec ces ados aux questions franches et pertinentes. J’ai passé un excellent moment et cette rencontre m’a aussi rappelé pourquoi j’écris. J’écris avec l’envie de raconter des histoires, mais aussi de transmettre des idées, de partage un vécu, des valeurs, une vision du monde. Parler à des jeunes qui écoutent cette vision avec attention, la questionnent, rebondissent et peut-être se l’approprient un peu, a été enthousiasmant.

Transmission…

Hasard et misère du calendrier, cet échange se déroulait exactement au moment où à Arras un professeur était assassiné. Les deux événements sont entrés en collision, donnant encore plus d’importance à cet échange, il m’est apparu que cette discussion était devenue la chose la plus importante que je pouvais faire à ce moment-là. Alors que la transmission était attaquée, j’en prenais ma part, dans une forme de chaîne de solidarité. Ce contact, cette parole est finalement le lien le plus fort qui existe entre les générations et entre les groupes sociaux. C’est ce genre dialogue qui fait que nous formons une société, l’écoute, la franchise, la liberté de s’exprimer, se rassembler autour de l’art et de ce qui fait notre humanité.

Quelques jours plus tard, je me plongeais dans la lecture du Grand Secours, un texte qui m’a ramené dans l’environnement de mes années de collège et de lycée. Thomas B. Reverdy est professeur de français dans le collège/lycée dans lequel j’ai étudié, Jean Renoir à Bondy. L’intrigue du roman se passe dans cet établissement et à ses abords.

Thomas B. Reverdy y parle de la transmission, de la présence qu’il faut maintenir dans ces quartiers, malgré tout, pour qu’il fasse toujours société, il parle de respect et de considération, il parle de détresse et de sentiment d’abandon. Il parle de découragement face à la difficulté à maintenir ce lien.

Transmission toujours.

Dans ma vie, ces trois petits cailloux se sont mis à former une chaîne pour raconter malgré moi une histoire, une histoire de transmission, une histoire de passage de relais, mais surtout une histoire de lien social, de parole et de respect, un respect qui ne se gagne pas par des mesures de coercition de plus en plus fortes, par un État qui fait étalage de sa force. Il est trop facile d’expliquer qu’on a été naïf en pensant que quelques mesures d’urgence pouvaient effacer l’incompréhension autour de la question des banlieues et rétablir une confiance de façade quand le lien se délite depuis des dizaines d’années.

Dans ce cheminement je repense à Kery James, à sa pièce de théâtre, « À Vif », et au film parfois un peu maladroit « Banlieusard ». Kery James y pose une question au travers d’un concours d’éloquence dans lesquels deux avocats s’affrontent, l’un issu de la bourgeoisie parisienne, et l’autre issu des banlieues, en s’envoyant des arguments à front renversé. Le thème du concours d’éloquence tourne autour de la question un peu artificielle « L’État est-il seul responsable de la situation des banlieues », question artificielle, mais pourtant c’est toujours cette question que l’on pose, celle de la responsabilité, celle des parents, celle de l’État, celle de la société, face à une fracture qui jamais ne semble devoir se réduire. Au final, cette recherche de responsabilité ne fait rien avancer. Elle cristallise l’opposition entre « eux » et « nous », quel que soit ce que l’on mette derrière le « nous » et le « eux ». Eux c’est nous, nous c’est eux, on a autre part, mais eux aussi. Tant qu’on raisonne à court terme en cherchant encore et toujours un responsable, il est hélas impossible de sortir du piège dans lequel nous nous retrouvons tous prisonniers.

Transmission, un thème qui émerge comme ça dans cette journée de novembre, comme un espoir qui plane au-dessus de moi et projette son ombre sur le sol. Une ombre d’espoir, tiens, pourquoi parle-t-on toujours de lueur ?

Pour en terminer avec ces mots qui émergent dans la vie comme une tempête sur les côtes bretonnes, je pars aujourd’hui pour Nantes, pour assister aux Utopiales, un festival dont le thème cette année est… « Transmission(s) ». Je ne pourrais pas dire que je ne suis pas attentif aux signaux.


Et pour conclure, évidemment, je vous invite à lire « le Grand Secours ». Thomas B. Reverdy écrit bien. Il poursuit à sa façon la tradition des textes que certains diraient « sociaux » et que j’appellerais tout simplement humain. C’est quand même rageant de constater aussi que de La Haine de Mathieu Kasovitz aux Misérables de Ladj Ly, le diagnostic est posé, mais que l’on bute toujours sur le remède, c’est-à-dire sur la façon de faire société. Bref, lisez Thomas B. Reverdy. Ou écoutez le dans la Grande Librarie.

Et merci aux 3ème 2 du collège Camille Claudel à Rouen, vous avez été parfait !