La Plaie - Épisode 1 – Le Flow #148

Où je vous présente le premier épisode de la Plaie, polar, thriller, évoluant entre technologie et uchronie. Je vous parle aussi de New York et d’Yves Simon.


Newsletter   •   28 janvier 2023

Hello les amies,

Depuis le temps que je repousse ce moment, tourne autour, rationalise, peut-être pour contrôler mes angoisses face à ce texte, me voilà enfin lancé.

Je vous présente le premier épisode de la Plaie, un polar tendance thriller évoluant entre technologie et uchronie.

C’est une expérience à vivre dans cette lettre sur plusieurs mois. J’attends bien sûr vos retours, c’est tout l’intérêt d’écrire avec « la porte ouverte » et de vous laisser lire par-dessus mon épaule au fur et à mesure que j’avance. La création est une matière vivante !

C’est parti !

Bonne lecture !


La Plaie - Épisode 1

Vidéo 1 de 4: Alix K.mp4

Jour J – 10 h 27

Elle l’a tué. Les images en noir et blanc des caméras de sécurité donnaient un aspect irréel à la scène. L’enregistrement n’avait pas de son, les images étaient saccadées comme un vieux film muet. Les expressions des visages semblaient exagérées, simulant la surprise, puis la peur, avec une outrance tragicomique. Il manquait la figure souriante de Chaplin ou Keaton pour faire rire l’audience. Les ombres projetées par l’éclairage cru du data center évoquaient plutôt Nosferatu. L’incarnation du mal, une soif de vie et de puissance sans limite. Même au deuxième visionnage, la tension qui montait vers l’horreur me souleva le cœur.

Elle a gardé son sang-froid. Elle n’a pas tremblé. Elle a sorti un spray de son sac à main, a pris le temps de se couvrir le nez et la bouche, puis lui a aspergé le visage. Il a compris, il a d’abord souri, malgré tout, c’était flou, c’était fugitif, mais il lui a pardonné. À sa façon, il l’aimait, encore, jusqu’au dernier moment. Seulement alors, il a perdu le contrôle, il est mort, parti dans d’atroces souffrances, suffocant, se tordant sur le sol dans son hémorragie interne. Quand je ferme les yeux, je revois encore les soubresauts de son corps se contractant comme un poisson hors de l’eau.

Cela a pris quoi, une minute ? Une minute longue comme l’éternité de la mort. Puis, il a cessé de bouger. Elle s’est avancée et elle l’a touché de la pointe de son escarpin. C’est bête, ça m’a choqué, cette froideur, mais c’était logique. Aucune réaction, il n’était plus qu’un corps inerte. De la chair. Il est parti comme tous ceux qui sont morts ce fameux soir où la Plaie s’est ouverte pour tous les avaler.

Elle s’est reculée, puis elle a sorti son téléphone. Elle a demandé de l’aide, évidemment. Le corps ne pouvait pas rester là. Le corps baignait dans ses fluides corporels, elle ne voulait pas se salir les mains. Elle a fait quelques aller-retours dans le data center, entre les baies de serveurs, mais ne paraissait pas nerveuse. Elle avait les yeux rivés sur l’écran de son mobile, elle répondait peut-être à quelques mails, envoyait un ou deux messages, la routine d’une femme trop occupée.

Son acolyte est arrivé peu après, il ne devait pas être loin, la brute au crâne rasé, celui qui a cette tête en forme d’obus, qui semble trop petite pour son corps aux proportions… étranges, j’ai failli dire immondes. Il poussait un chariot, de ceux qui servent habituellement à transporter les ordinateurs que les opérateurs doivent racker dans les baies. Il s’est couvert le visage d’un masque chirurgical – on est jamais trop prudent – puis a traîné le corps par les pieds, sur le sol. Il s’est penché pour le prendre par les aisselles et l’a soulevé pour l’asseoir sur le socle en métal froid du chariot. Le corps était encore souple, la tête a basculé vers l’avant, puis il est tombé sur le côté. Le type a replié les jambes qui dépassaient. Le corps s’est retrouvé sur le flanc en position fœtal. Il l’a secoué pour en vérifier la stabilité. Satisfait, il fit un demi-tour maladroit avec le chariot dans l’allée exiguë, entre les racks. Puis, il a fait un petit geste de la tête, façon, c’est bon boss, je gère, et il est sorti du champ de la caméra. Elle s’est attardée devant les traces sur le sol, les restes de l’agonie de son amant, a pris un air dégoûté a envoyé un nouveau message puis s’en est allée. Pour elle, l’affaire était terminée. Un peu plus tard, le chauve à la tête d’obus est revenu nettoyer. Le reste des images n’est qu’un plan fixe, hypnotisant sur le data center désert. J’ai mis un moment avant de me résoudre à arrêter la lecture. J’en savais assez sur elle. Cela ne fit que confirmer ma détermination.

Si on l’attrapait, elle plaiderait certainement l’égarement, le crime passionnel, peut-être la légitime défense. Ou le suicide. On ne retrouverait certainement jamais le corps, son homme de main avait l’air doué pour ce type de contingence logistique. C’était la base du métier. S’il y a avait un examen de tueur, l’épreuve de suppression définitive des corps devait avoir un gros coef. Je n’espérais aucune erreur de sa part.

Est-ce qu’elle allait s’en tirer ? Cette probabilité m’a rendu triste. Seulement triste ? Oui, je réserve ma révolte, ma rage pour ce qui m’attend. Je leur en veux à tous les deux, à leur amour aveugle qui les a égarés. Non pas que je leur attribue directement la mort de mon pote, mais je ne peux m’empêcher de croire que c’est cette rencontre qui a tout déclenché, comme deux éléments chimiques qu’on n’aurait jamais dû laisser fusionner.

Je refais certainement l’histoire à ma façon, je n’y peux rien, c’est devenu ma raison d’être, je veux dénoncer, placer le point final à cette séquence d’événements qui aujourd’hui m’envoie au combat.

D’une certaine façon, ils ont été l’instrument d’une force irrésistible. J’ai toujours su que la bête n’avait pas disparu. Elle était là, peut-être depuis la nuit des temps, comme un mauvais génie, un mal millénaire endormi. La bête s’était simplement retirée, tapie dans l’ombre, recroquevillée dans le ventre de Paris. Dans mes cauchemars, je l’imagine les yeux mi-clos, on l’aurait cru morte, elle attendait son heure.

Aujourd’hui, je vais libérer les dragons tapis au cœur la ville. Je suis le bras armé de la vérité. Je n’en reviendrai peut-être pas. Peu m’importe, car il faut bien que tout cela cesse. Ce sera aussi ma propre libération.

Mes amis, que s’envolent les dragons, que le spectacle commence !

Dans la délivrance d’un sommeil millénaire
Dans le chaos
Dans la souffrance des morts qui renaîtront de leurs cendres
Dans la brûlure d’un feu au goût de souffre
Que de cette plaie béante s’élèvent les dragons.


L’homme à l’écran baisse les yeux. Il reste immobile un instant, comme pour repousser les émotions qui l’envahissent. La vidéo semble terminée, avant qu’enfin, avec des gestes lents, il plie en quatre la feuille sur laquelle est inscrit le poème qu’il vient de lire. Il glisse le papier dans sa poche de chemise avant de se lever puis de tendre le bras vers la caméra pour arrêter l’enregistrement. L’image se fige alors sur le visage décharné du jeune homme. Les traits tirés, l’air fatigué et le regard dément, il est immortalisé dans une expression qui le rend éternellement sombre.

La machine en face de moi a tout entendu, tout vu, tout analysé. Rassurante, hypnotisante, une barre de progression avance lentement à l’écran pour signifier qu’elle ingère les données. Analyse de la voix. Pour elle, c’est juste un paramètre de plus à prendre en compte pour m’aider à reconstituer l’histoire et lui apprendre l’origine de sa propre création.

À suivre…


Podcast

Avant de publier l’interview de Sylvie Poulain la semaine prochaine, je vous fais patienter en vous lisant le début de Ce qui naît des abysses, le tome 1 de Confluence, son diptyque de Science-fiction sous-marine.

Je vous téléporte en plein cœur d’une intervention de maintien de la Pax par les forces d’Atlantis.

Bonne immersion !

Lecture: Ce qui naît des abysses, Sylvie Poulain

🎧 À écouter sur la chaîne YouTube Double Vie.

À retrouver également sur Apple Podcast, Spotify et le site Double Vie.

La dose de flow

Musique

Entre rap et slam, orchestrations de cuivre et choeurs pointus, les sons de la ville répondent à la poésie d'Yves Simon. Je trouve ce titre de 1974 d'une étonnante modernité.

— Monsieur Grégory Corso, qu'est-ce que la puissance ?
— Rester au coin d'une rue et n'attendre personne

Je vous laisse dans un voyage qui saisit l'esprit d'un New York mythologique fascinant, j'ai rêvé New York.

Yves Simon – J'ai rêvé New-York

À suivre

Voilà, l’aventure de la Plaie, mon roman à l’écriture épisodique, est lancée. Merci de me suivre et de me lire, j’espère que le voyage va vous plaire.

Et d’ici au prochain épisode la semaine prochaine, je vous souhaite un merveilleux week-end !

— mikl 🙏