Hello les amies,
Voici l’épisode 4 de la Plaie, jusqu’ici tout va bien. Pour moi, pas forcément pour mes personnages, mais c’est la vie (dans la fiction) !
Pour rattraper votre lecture, voici les liens vers les épisodes précédents :
- La Plaie - Épisode 1 – Le Flow #148
- La Plaie - Épisode 2 – Le Flow #149
- La Plaie - Épisode 3 – Le Flow #150
Bonne lecture !
La Plaie - Épisode 4
Soudure
Apolline se tenait droite, le menton relevé, fière, aérienne, comme si le poids invisible pesant sur ses épaules s’était soudain allégé. De cette légèreté étaient nées des larmes qui roulaient sur ses pommettes rosies par la surprise de son rendez-vous avec Karpathi. Un sourire ambigu comme un arc-en-ciel éclairait son visage.
Alix fut désarçonné. Usé par le manque de sommeil, agacé par les cachotteries de sa colocataire, il s’entendit la féliciter malgré la haine que lui inspirait Karpathi.
— Bravo, Apo. C’est si important pour toi ?
— Tu n’imagines pas.
— Dis-moi.
— Juste une promesse que j’avais faite. Je vais enfin pouvoir l’honorer.
— Une promesse à ton groupe là-bas ?
Elle tournait son café, les yeux perdus dans le petit tourbillon brun qui se formait à la surface. L’énergie qu’elle y mettait était vaine, elle ne prenait pas de sucre.
— Et puis, tu n’imagines pas la puissance de calcul auquel je pourrais avoir accès. Moi non plus d’ailleurs, je crois.
Son exaltation explosa en un rire franc. L’excitation avait chassé les larmes sur ses joues.
Apolline vida son sac de voyage pour choisir son vêtement le plus adapté pour un entretien. Elle en exhuma une robe froissée qu’Alix ne l’avait jamais vu porter et des escarpins presque neufs.
— Tu as un fer à repasser ?
— Donne-moi ça, je m’en occupe.
Alix avait bien un fer, mais il dut bricoler une table à repasser de fortune avec une serviette éponge, posée sur sa table en Formica. Il était plus habile avec un fer à souder. Le résultat ne fut pas parfait, mais acceptable. Il lui tendit la robe sombre et ajustée. Elle s’éclipsa pour l’enfiler dans la salle de bain, elle en ressortit angoissée.
— Ça ne fait pas trop habillé ?
— Un peu, mais c’est le but, non ?
Elle jeta un œil sur sa montre. Elle allait être en retard. Elle bourra le reste de ses vêtements dans son sac, fourra son ordinateur portable dans la sacoche qu’on lui avait remise la nuit dernière et parti dans un martèlement rapide et sec de ses talons sur le parquet, la démarche mal assurée. Elle agita la main en l’air en guise de remerciement, murmura quelque chose qu’Alix ne comprit pas, et claqua la porte. Alix lança un « bonne chance » tonitruant et poli, mais elle s’était déjà envolée.
Le calme revenu dans la pièce, il se resservit une tasse de café tiède. Près du sac de voyage, le cadenas qu’Apolline utilisait en permanence le verrouiller, protéger ses affaires et sa vie privée était resté sur le sol, ouvert, encore attaché à son trousseau de clés. Elle avait pour la première fois oublié de le remettre en place.
Alix avait jusqu’ici réussi à repousser la tentation, il refusait de fouiller dans les affaires de sa colocataire. Il s’était alors mis à travailler sur ses toiles pour occuper son esprit et détourner son attention du comportement mystérieux qu’avait eu Apolline dans la nuit. Il fut rattrapé par le doute. La suspicion et la curiosité le rongeaient malgré tous ses efforts. Lorsque Maxime se pointa en fin de matinée, il trouva Alix assis sur le canapé, hypnotisé par le sac ouvert. Il le regardait intensément comme s’il espérait en découvrir le contenu par sa simple concentration, tétanisé comme si l’objet était une bête sauvage menaçant de lui sauter au visage. Il n’avait pas osé fouiller à l’intérieur comme s’il craignait une ruse sophistiquée. S’il le touchait, nécessairement, elle le saurait. Et si c’était une façon de le tester, d’éprouver sa confiance ?
— Eh oh, Alix, réveille-toi. Qu’est-ce qui t’arrive ? Reviens sur Terre, tu n’héberges pas un démon, quand même ?
— FIFA ou Gran Tourismo ?
C’était leur code d’urgence. Pour Maxime, cela signifiait que l’heure était grave. Dès qu’ils avaient quelque chose d’important à discuter, ils utilisaient la console et les manettes de jeu comme médiateur et distillaient leurs confidences au cours d’une partie.
— FIFA, répondit Maxime, d’un air excessivement sinistre pour montrer qu’il prenait au sérieux les inquiétudes de son ami.
Tout ce qui se passe dans FIFA, reste dans FIFA, c’était la règle, aucun secret ne sortirait de la pièce. Alix lança le jeu sur la console, les stars de foot du moment apparurent sur l’écran de télé fixé au mur, corps aux proportions surréalistes, peaux lisses, et postures avantageuses comme une affiche de propagande des années 1940. Il sélectionna son équipe fétiche, l’Espagne, lança la partie, puis raconta en détail les mystères de la nuit passée. Il encaissa trois buts rapides. Décidément, ce n’était pas sa journée.
Maxime jouait avec précision, mais il restait attentif aux réflexions d’Alix.
— Rappelle-moi, pourquoi tu l’héberges ? Tu la connais d’où déjà ?
Évidemment, Alix ne pouvait pas mentionner le changement d’identité d’Apolline. Il se prit un quatrième but sans sourciller, alors qu’il cherchait ses mots.
— C’est une amie d’un pote de fac. Il m’a dit qu’elle était en galère, mais je ne m’attendais pas à un truc trop grave, juste des soucis financiers, un passage à vide.
Ils concentrèrent un moment sur le match en cours à l’écran. Alix réduisit la marque en dernière minute. 4-1. Probablement que Maxime l’avait laissé sauver l’honneur. Il n’attendit pas qu’Alix relance un nouveau match et s’extirpa du canapé pour s’approcher du sac, devenu un éléphant invisible au milieu de la pièce. Alix tenta de le retenir.
— Arrête ! Je suis sûr qu’elle range son sac d’une certaine façon, pour savoir s’il a été ouvert.
— Et alors ? T’es chez toi, mon gars !
Maxime commença à déballer les affaires d’Apolline, avec méthode, afin de le ranger d’une manière similaire. Au milieu des vêtements et des disques durs, vraisemblablement cryptés, se trouvaient un objet insolite, un vieux manuel de programmation en langage C, la deuxième édition anglaise du bouquin de Kernighan et Ritchie, une vieille référence qu’on étudiait encore aujourd’hui. Maxime le feuilleta, une photo jaunie s’échappa du livre. Elle s’échoua au pied d’Alix, qui la ramassa du bout des doigts, comme s’il voulait éviter d’y laisser ses empreintes. C’était une vieille photo en noir et blanc. Deux hommes en blouse blanche posaient devant un gigantesque ordinateur.
— Ça date comme machine, commenta Maxime. C’est quoi, du matos des années 1960 ? Peut-être 1970 ?
— Je dirais 1970.
L’un des hommes, beaucoup plus jeune, peut-être l’élève de l’autre, affichait une fierté débordante. Le plus âgé, celui qui semble être le professeur, ne souriait pas. Derrière eux, le nom de la machine était écrit en cyrillique. Au fond de la salle, sur un panneau, Maxime reconnu un mot familier, Москва, « Moscou » d’après un vague reste des cours de son prof de géographie, un dinosaure, communiste et un peu nostalgique de l’URSS. Qu’est-ce que c’était que cette histoire ? Alix retourna la photo. Derrière, une dédicace, en cyrillique également, inscrite au stylo plume. Il ne put ni lire ni comprendre le moindre mot. Le vertige le saisit. Il verbalisa ses pensées pour Apolline.
— T’es qui, toi, en réalité, murmura Alix.
La peur, la vraie, celle qui paralyse les garennes dans les phares des voitures, lui tordit les tripes. Il agitait la photo comme un éventail pour canaliser ses pensées. Ce vieux cliché venait de Moscou. Que faisait-il dans les affaires d’Apolline ? Est-ce qu’il était déjà dans le livre de programmation quand elle l’avait récupéré ? Pourquoi l’avait-elle conservé ?
Avec son téléphone, il scanna les deux faces du document, il les analyserait plus tard. Le flash paru distordre le temps, claquer comme une vieille lampe au magnésium. Cette vision donna un ton morbide à l’affaire, Alix s’imaginait légiste prenant en photo un cadavre mutilé. Il replaça le cliché dans le manuel, sans être certain d’être à la bonne page, puis Maxime rangea minutieusement les affaires dans le sac, en s’efforçant de respecter l’ordonnancement d’origine.
— Et maintenant ? hasarda Alix.
Maxime avait une idée en tête. Il désigna l’ordinateur.
— Tu dis qu’elle utilise parfois ta machine ? On va placer y un mouchard.
— Elle prend trop de précautions. Elle démarre l’ordinateur avec son propre système d’exploitation. Il n’y a plus de trace ensuite. En gros, elle n’utilise que le processeur et l’écran. Et le clavier, bien sûr.
— Et bien, justement, c’est suffisant. On va prendre le contrôle du clavier. Avec toute l’électronique que tu as là, on a largement de quoi bricoler un truc. Je vais te montrer, c’est facile. On va faire un keylogger, un enregistreur de frappe. Trivial et totalement discret.
Alix se tapa sur le front, se sentant stupide de ne pas y avoir pensé seul. Un keylogger permettait de stocker et de rejouer toutes les séquences de touche saisies au clavier. C’était parfait pour récupérer les sites consultés, les mots de passe, ou bien les messages tapés sur la machine, quel que soit le logiciel, encrypté ou pas.
Dans l’heure qui suivit, le studio d’Alix se transforma en atelier d’électronique. L’odeur de soudure envahit la pièce, alors que les fils souples se dissolvaient en un liquide en fusion étincelant. Maxime maniait le fer à souder avec une précision chirurgicale. Il retourna ensuite le clavier d’Alix pour le dévisser.
— Si elle est parano, elle verra le boîtier branché sur l’ordinateur. Il faut qu’on arrive à le faire rentrer directement dans la carcasse du clavier.
Un espace vide était largement suffisant pour cacher le montage, près du câble de connexion. À croire que cela avait été prévu pour. Une fois refermé, l’installation était indétectable. Maxime eut l’air satisfait. Il expliqua à Alix le fonctionnement de l’appareil.
— Quand tu appuies sur Ctrl-Alt et Backspace, tu vides la mémoire. Avec Ctrl-Alt et Print Screen, tu demandes à la puce de rejouer tout ce qu’elle a en mémoire. Si tu fais ça avec un fichier ouvert, cela va saisir tous les caractères tapés depuis la précédente vidange. Tu peux récupérer l’historique complet.
Le mouchard était en place. Tout paraissait trop clean. Alix rajouta un peu de bordel autour de son clavier, chutes et déchets, comme s’il avait travaillé sur son œuvre mécanique toute la journée. Il restait désormais à patienter et attendre que le piège se déclenche sur Apolline.
Maxime était sur le point de partir.
— Tiens-moi au jus. De toute façon, on se voit ce soir.
Alix lui adressa un regard vide.
— Tu n’as pas oublié le concert ? Queen of the Stone Age, man ! Je te retrouve là-bas. Et si je ne te vois pas, je préviens les flics.
Il ponctua sa phrase d’une bourrade sur l’épaule. La blague ne fit pas rire Alix.
Après ? Tout est parti en vrille, Alix a perdu le contrôle des événements. Sur une de ses vidéos de témoignage, on le voit hésiter, il cherche ses mots, peine à s’exprimer sur la soirée qui a fait basculer sa vie. Il était encore dans le flou alors. Il ne savait pas, bien sûr, il ne pouvait pas savoir, car il lui manquait des informations essentielles. Ce soir-là, il a plongé de l’autre côté du miroir. Et on a tous sombré avec lui.
Alix sursauta au premier coup sur la porte de sa piaule. Il se plaça en état d’alerte. Sans bruit, il s’approcha de l’entrée pour écouter. Il savait exactement où marcher pour éviter les lattes du parquet qui grinçaient. Il entendit une respiration haletante derrière la fragile porte en bois qui le protégeait du palier. Il pensa d’abord aux trois individus qu’Apolline avait retrouvés au pied de l’immeuble dans la nuit. Il regarda le sac à dos, toujours ouvert, en se demandant s’ils venaient chercher les disques durs.
La peur ne le saisit vraiment qu’au deuxième coup, qui marqua le début de la crise d’hystérie. Apolline se tenait sur le pallier, elle hurlait, tambourinait sur la porte, qui menaçait de s’écrouler. Dans son petit studio sous les toits, les cloisons étaient minces, le chambranle un peu pourri, et de l’autre côté d’une protection illusoire, un ouragan se déchaînait, prêt à tout défoncer.
Apolline n’avait pas ses clés, elles étaient toujours attachées au cadenas posé près du sac. Est-ce qu’elle savait qu’il l’avait fouillé ? Alix se concentra pour capter ne serait-ce qu’un mot distinct dans les hurlements suraigus qui envahissaient l’étage. C’était de l’allemand, et pour ce qu’il en comprenait, elle l’insultait. Alix se figea, en espérant que la porte résiste. Après un moment qui dura une éternité, le silence revint enfin. Alix entendit des pas, Apolline se déplaçait. Il se relâcha, en espérant qu’elle reparte pour se calmer. Il patienta sans bouger, puis il comprit en entendant le bruit du moteur de sa webcam. L’objectif pivotait sur lui-même pour faire le tour de la pièce. Du pur Apolline ! Le moteur s’arrêta lorsqu’Alix entra dans le champ de vision de l’appareil.
— Tu sais que je te vois ? lança Apo de l’autre côté de la porte
Alix hocha la tête, hésitant à se tourner vers l’entrée ou vers sa caméra.
— Alors, viens m’ouvrir.
Alix déverrouilla la porte. Apolline était assise par terre, à même le parquet, le dos posé contre la cloison. Elle contrôlait la webcam avec son téléphone, le replaça dans sa poche, se leva d’un bond et entra. Il crut que la femme était calmée, mais le regard qu’il croisa lui envoya un message différent. Il y vit briller une folie qu’il ne lui avait jamais connue. Elle avait les yeux rougis, autour de ses pupilles noires. Il ne sut dire si elle avait pleuré ou si c’était juste la rage qui lui donnait cet air dément. Il réalisa plus tard que c’était la peur.
Une fois à l’intérieur, elle se jeta sur le canapé sur lequel elle avait dormi pendant les derniers mois. Elle ignora le sac ouvert, cela rassura Alix.
— Putain, Alix. Tu m’avais dit que mon identité était intraçable, que personne ne pourrait me retrouver. Tu m’avais dit, « la couverture la plus solide du monde ». Alors ? Qu’est-ce qui a merdé ? Dis-moi, j’aimerais comprendre.
Alix chercha d’abord dans ses souvenirs s’il avait vraiment dit ça. Probablement pas, mais il ne chercha pas à contester ses propres dires.
— Explique-moi ce qui t’arrive. Qu’est-ce qu’il se passe ? demanda-t-il.
— Ils m’ont retrouvée. Les hackers allemands. Ils savent que je suis à Paris. Ils veulent me voir. L’un d’eux veut me parler, là, ce soir. Il veut que j’amène mon code. Tout ce que j’ai. Il dit qu’il a des trucs à m’annoncer. Tu n’imagines pas combien c’est la merde, alors, tu vas m’expliquer et me trouver une solution, sinon…
Apolline laissa planer la menace en suspens. Elle essayait de paraître inquiétante, mais les derniers mots finirent en trémolos ridicules dans sa gorge. Alix n’entendait désormais que de la détresse dans sa voix éraillée. Son assurance semblait s’être fissurée, dissoute dans une forme de panique, de celle qui vous rend capable de tout. Il sentait sa rage de vivre prendre le dessus, de celle qui explose quand on se sent acculé, qui décuple les forces, qui rend l’impensable possible. Lorsque ses yeux se plantèrent dans les siens, il y vit aussi de l’espoir, et à ce moment-là, l’espoir, c’était lui, Alix. Alix fut tenté de dire qu’elle était très forte. Il y voyait pourtant une sincérité qui le fit hésiter. Il posa ses mains sur les siennes, glacées.
— Je suis sûr de mon dossier, Apolline. Raconte-moi. Tout, depuis le début. Tu n’es pas allée à l’entretien avec Karpathi ?
— Si. Ça s’est mal passé. Dans les couloirs, j’ai croisé son bras droit, Léande. C’est la femme qui m’avait aidée pour avoir le rendez-vous. Elle m’a dit : « Je te préviens, il est d’humeur exécrable. » Elle n’avait pas tort. Ça a été plié en trente minutes.
— Pourquoi il t’a fait venir, alors ?
Apolline se calmait à mesure que la discussion avançait. Elle ne tremblait plus et avait cessé de faire tressauter ses genoux nerveusement. Elle fuyait toujours le regard d’Alix.
— Je ne sais plus trop. Son ton a changé par rapport à son coup de fil. Il était différent. Mon téléphone a sonné, pendant l’entretien, j’avais oublié de le couper. C’était un des hackers qui me laissait un message. Karpathi, ça l’a rendu fou, mais il n’était déjà pas net au début. Il n’a pas arrêté de me cuisiner, de douter de mes réponses, d’insister pour savoir si c’était vraiment moi qui avait écrit le papier de recherche. Quelqu’un a dû lui mettre ça dans la tête. Sûrement les hackers, je parie.
— Attends, attends. Quel papier de recherche ?
Apolline attrapa la sacoche jetée à ses pieds. Elle en extirpa un document imprimé qu’elle tendit à Alix. Le titre était en anglais, « Le rôle de la photonique et des ordinateurs quantiques dans l’accélération de l’apprentissage par renforcement », par Apolline Planck. Alix explosa.
— Tu déconnes ? Ne me dis pas que ce papier a été publié ?
— Si, je l’ai envoyé à Karpathi pour montrer que l’approche avait été validée par un comité d’experts. C’est le seul moyen que j’ai trouvé pour attirer son attention et me faire convoquer.
— Tu voulais attirer l’attention ? C’est une réussite totale alors, c’est fait. Et tu t’étonnes que tes amis hackers t’aient retrouvée ? C’est ton domaine d’expertise, non ? C’est évident pour eux que tu es derrière ce papier. Ça ne peut être que toi.
Apolline avait repris des couleurs, elle riposta.
— C’est pour ça que je t’ai payé, à prix d’or, pour une couverture en béton que je peux utiliser, pas pour passer ma vie planquée. Ahah, t’es content de ton jeu de mots pourri ? Alors, tu vas essayer de me démerder cette situation.
— Qu’est-ce que tu veux que je fasse ? Tu peux garder ce nom ?
— Je vais aller leur parler et voir s’ils sont prêts à me laisser vivre ma nouvelle vie.
— Je t’accompagne.
— Dans tes rêves ! Non, toi tu vas chercher un plan B, au cas où je doive à nouveau disparaître. Je peux utiliser ton ordi ? J’ai besoin de chercher l’adresse du rendez-vous.
— Tu n’as plus de téléphone ?
Cette fois, ce fut Apolline qui roula les yeux ronds comme des billes. Cela lui donnait un air d’épouvantail robotique, comme les installations en papier mâché d’Alix.
— À ton avis ? J’ai détruit la carte SIM et le téléphone, mon vieux. Trop risqué, ils peuvent me tracer avec ça.
Elle réveilla l’ordinateur en agitant la souris, puis se connecta sur un site de cartographie et repéra pendant plusieurs longues minutes la configuration du lieu de rendez-vous. Alix tournait en rond, effrayé qu’elle découvre la présence du mouchard dans le clavier. Perdue dans ses ruminations, la voix d’Apolline le fit sursauter.
— Tiens, au lieu d’angoisser que je découvre ce que tu as fait cet après-midi, passe-moi les disques durs qui sont dans mon sac.
— Quoi ?
Elle fit pivoter le fauteuil pour lui faire face.
— Tu joues très mal le rôle de l’innocent. Je me doute bien que tu as fouillé dans mon sac, qu’est-ce que tu crois. C’est de ma faute, j’ai laissé traîner les clés. Je n’ai plus rien à cacher ou à perdre. Maintenant, passe-moi les disques.
Alix s’exécuta. Apolline effectua une sauvegarde complète de son propre ordinateur portable.
— Tourne-toi ! J’ai une passphrase à taper pour l’encryption des disques. Je ne veux pas que tu puisses la mémoriser.
Alix s’exécuta docilement. Il l’entendit ensuite trifouiller dans sa sacoche, mais n’osa jeter un œil pour savoir ce qu’elle trafiquait. Apolline se leva quand elle en eut terminé. Alix se retourna, impatient de mettre fin à la gêne qu’il ressentait d’être ainsi traité comme un enfant pris en faute. Apolline souleva une latte cassée du parquet le long du mur et y glissa ses disques durs. La cache d’Alix, son « coffre-fort » était maintenant entièrement rempli.
— Tu connais ma planque ? lui demanda-t-il, sans une once d’étonnement dans sa voix.
— C’est un peu mon boulot, aussi, de remarquer ces choses-là.
Apolline se rapprocha d’Alix, debout, au centre de la pièce. La gêne s’amplifia. Ils se fixèrent un moment sans rien dire. Ce fut la chercheuse qui brisa le silence.
— Garde mes sauvegardes, je compte sur toi. J’en aurai besoin si je dois leur donner mon ordinateur.
Sans penser aux adieux, chacun se résolut au moins au temps des aux-revoirs. Alix voulut serrer Apolline dans ses bras. Il agita ses bras maladroitement puis les laissa retomber le long de son corps, jugeant cette marque de familiarité peu appropriée à la situation. Apolline s’éloigna, la détermination brûlait désormais dans ses yeux.
— À tout à l’heure, termina-t-elle en franchissant le seuil
Alix se dit qu’elle n’y croyait alors pas vraiment. C’était de la superstition. Elle cherchait une formule pour conjurer le mauvais sort.
Dès que la porte fut refermée, Alix se précipita sur son ordinateur. Il n’avait pas de temps à perdre. Il ouvrit un bloc-notes, pressa la combinaison de touches que lui avait programmée Maxime. Le mouchard recracha dans le document l’ensemble des touches saisies par Apolline. Alix repéra les blocs de texte qui l’intéressaient. Il y avait d’abord l’adresse du rendez-vous, cité du Wauxhall. C’était une petite ruelle du Xeme arrondissement situé près de la place de la République, pas très loin du Bataclan. Alix pouvait y passer avant de rejoindre Maxime au concert. Il n’avait pas l’intention de lui poser un lapin, mais surtout, il voulait son opinion sur la situation. Le deuxième bloc de données intriguant était constitué d’une suite de caractères aléatoires, qui devait composer le code d’encryption – et de décryption – des disques durs. Il enregistra l’ensemble dans un fichier puis se hâta de rassembler ses effets pour partir. Avec un peu de chance, il arriverait même avant Apolline sur le lieu de rendez-vous, si elle faisait des détours.
En quittant son appartement, Alix pianota sur son téléphone un message pour Maxime.
« Je vais arriver en retard au concert. Prends une bière à ma santé en m’attendant. »
Alix marqua un temps d’arrêt en verrouillant la porte de son appartement. Son cœur se serra. En y repensant plus tard, il se demanda s’il avait inventé ce moment de doute ou s’il avait eu un flash, une brève vision des événements qui devaient secouer Paris.
À suivre…
C’est la famille !
Je profite de cette lettre pour partager le deuxième court métrage de mon fils Julien, soumis au festival Nikon. Comme l’année dernière, le format est toujours ultra-court, 2 min 20 s, donc la concision est le maître mot.
C’est à regarder sur le site du Festival :
Et si ça vous a plu ? Alors, n’hésitez pas à encourager Julien avec un petit vote !
La dose de flow
Musique
Cette semaine, je vous partage un morceau de jazz iconique dont tout le monde connaît le thème, mais que tout le monde a rangé dans un tiroir de son inconscient collectif. C’est bien dommage, car je m’émerveille d’en redécouvrir l’efficacité.
À écouter fort ou au casque pour entendre les subtiles nuances de l’orchestration de ce chef-d’œuvre d’Henri Mancini, la Panthère Rose. Même l’accord qui résonne à la fin du morceau est iconique et constitue une signature parfaitement reconnaissable. Incroyable…
À suivre
Cela ne fait que quatre semaines, mais je suis content que le roman prenne forme. À chaque session d’écriture, je n’ai qu’un seul objectif, préparer le meilleur épisode possible et rien que cela, ça diminue beaucoup la pression face à la montagne qu’il reste encore à gravir.
J’espère que le texte vous plaît et je vous dis simplement à la semaine prochaine, pour découvrir un nouveau personnage.
En attendant, je vous souhaite un merveilleux week-end !
— mikl 🙏