Hello les amies,
Ça y est, nous arrivons à l’épisode 6. La tension monte pour Hector, mais aussi pour moi à mesure que je m’approche de l’inconnu et de la peur des « contrées » moins balisées de mon texte.
Pour rattraper votre lecture, ou vous remettre dans l’ambiance, voici les liens vers les épisodes précédents :
- La Plaie - Épisode 1 – Le Flow #148
- La Plaie - Épisode 2 – Le Flow #149
- La Plaie - Épisode 3 – Le Flow #150
- La Plaie - Épisode 4 – Le Flow #151
- La Plaie - Épisode 5 – Le Flow #152
Bonne lecture !
La Plaie - Épisode 6
Sommations
Coups de feu signalés. À la radio, l’opérateur répéta son message. Sa voix tendue résonna sur le boulevard par la fenêtre ouverte, côté passager. Vitale réclama sa commande d’un moulinet de la main. Le patron s’activa d’un air grave, il avait entendu l’appel et ne plaisantait plus. Vitale jeta un billet sur le comptoir, puis sans attendre sa monnaie, attrapa son kebab et sa portion de frites brûlantes. Il trotta jusqu’à la voiture, stoppé dans son élan par un jeune chiot fou amusé par sa démarche. Son propriétaire était guilleret.
— Spock ! Il n’est pas méchant, il veut jouer !
Vitale maugréa en enjambant le cocker fougueux de ses longues jambes. Arrivé à la voiture, il se contorsionna pour tirer la porte avec son talon et se replia pour faire entrer son corps imposant dans le véhicule de service. Il paraissait insensible au ridicule de la situation, soulagé de n’avoir rien renversé.
— C’est bon, démarre !
Hector n’entendit pas l’injonction de son collègue. Les deux mains crispées sur le volant, il était paralysé. Tenez-vous prêt. Une phrase qu’ils avaient entendue des dizaines de fois, trop souvent une fausse alerte. Une partie du cerveau d’Hector tentait de s’extirper de la scène qui se déroulait au ralenti autour de lui, d’obtempérer à l’ordre donné à la radio, l’autre était happée par son environnement, persuadée que l’urgence se trouvait devant ses yeux.
Désorienté, étourdi par un ensorcelant ballet qui lui surchargeait les sens, il concentra son attention sur le boulevard. Sur le trottoir d’en face, la femme s’engouffra entre deux portes cochères. Elle franchit une arche sous un bâtiment, marquant l’entrée d’une sombre ruelle. Elle semblait perdue, cherchant son chemin, concentrée sur sa destination, ignorant le danger que représentait le raccourci qu’elle avait déniché. L’homme qui la suivait accéléra le pas pour s’engager derrière elle. L’autre type, celui en noir, observait la scène. Lorsque la femme et son poursuivant eurent disparu dans le passage, il se leva, délaissant son banc pour suivre le groupe.
Le cœur d’Hector se serra tant la tension était palpable. Il avait l’impression de vivre un accident au ralenti, à l’issue inéluctable. Le temps semblait arrêté, au point que le monde en était devenu irréel. Hector regarda d’abord sa montre, celle au poignet droit, pour vérifier que la trotteuse continuait d’avancer. Par un vieux réflexe, il vérifia celle à son poignet gauche. Le tic-tac satisfaisant de la trotteuse le rassura, puis le claquement lourd de la portière agit comme une décharge qui ranima son corps figé. La voix de Vitale le cingla avec violence.
— Hector, allez, go !
Hector sortit de sa torpeur, avalant une grande bouffée d’air chargé d’une odeur d’huile rance. Il démarra la voiture en trombe. Les pneus crissèrent, ses mains étaient serrées sur le volant, ses phalanges douloureuses. Le véhicule bondit dans un bruit sourd en touchant le trottoir. Hector se crispa, Vitale rattrapa son kebab au vol, et laissa s’échapper quelques frites sur le sol.
La radio grésilla à nouveau :
— Altercation boulevard Voltaire, près du Bataclan. Coups de feu confirmés par plusieurs témoins, peut-être un règlement de compte. Toute patrouille à proximité, intervention urgente demandée.
Vitale alluma le gyrophare avant de le coller sur le toit du véhicule par sa vitre ouverte. Hector avait pris de la vitesse, en direction de la République, mais fit sèchement demi-tour au feu rouge. Les frites quittèrent les genoux du policier affamé pour se répandre sur le sol. Vitale n’y prêta pas attention et rappela Hector à l’ordre.
— Hé, qu’est-ce que tu fous ? Où tu vas, Hector ? Ce n’est pas par là.
— Une minute. Il y a une agression en face.
Le boulevard désormais désert semblait le contredire.
Hector manœuvra sur la rue Beaurepaire pour jeter un œil dans la ruelle duquel devait déboucher la femme. Il avait vu juste, l’homme qui la suivait avait coincé sa victime dans l’angle de la ruelle. Tous les deux se faisaient face. Une lumière éblouissante s’alluma derrière eux dans la cage d’escalier, découpant leurs silhouettes sur un fond jaunâtre. Dans cette confrontation en ombre chinoise, Hector devinait la crispation des corps prêts à se battre.
La radio crépita à nouveau. Dans le centre de contrôle, la tension était également montée d’un cran.
— Coups de feu confirmés au Bataclan, Voiture 27, vous pouvez y être dans combien de temps ?
Hector arrêta son véhicule en travers de la ruelle pour couper toute possibilité de fuite. Il sortit du véhicule, le moteur toujours allumé et se précipita vers la jeune femme pour lui porter secours.
— Bordel, Hector !
Il entendit la rage du cri de Vitale pour le rappeler à l’ordre. Derrière lui, son collègue saisit le micro de la radio et écrasa le bouton d’appel avant de parler.
— Voiture 27, on est sur le coup, on arrive dans 5 à 7 minutes.
Hector dégagea son arme à feu du holster caché sous son blouson. Une détonation résonna dans la ruelle, le tir d’un revolver qui n’était pas le sien. Il reconnut le son d’une arme de poing de petit calibre. Au fond de la ruelle, l’homme qui s’opposait à la femme s’écroula comme un pantin dont on aurait coupé les fils. Les réflexes d’Hector prirent le relais, il ne réfléchissait plus, mais enchaînait des gestes qu’il avait répétés des centaines de fois. Il trouva un espace dans le renfoncement d’une porte cochère qui lui servit de couverture. Il se risqua à pencher la tête pour jeter un œil et tenter d’échafauder un plan. Il se concentra pour ignorer la voix de Vitale.
La femme était penchée sur l’homme à ses pieds. Victime, agresseur, Hector ne savait plus qui était qui. L’homme au bonnet noir apparut alors et se rua vers elle pour lui arracher sa sacoche. La femme résista avec une détermination surprenante. Hector profita de l’altercation pour sortir de sa planque. Il courut revolver au poing vers le fond de la ruelle. Le bruit lourd de ses pas attira l’attention de la femme et de son nouvel agresseur, qui se figèrent, le regard pointé sur Hector. La lutte reprit.
— Halte ! Police !
En pilote automatique, Hector avait crié sa première sommation. Il était trop exposé, mais il était prêt à faire feu au moindre mouvement suspect.
L’agresseur ne capitula pas. Il tira d’un coup sec sur la lanière de la sacoche. La femme, surprise par l’intervention d’Hector, lâcha prise.
Hector se planta bien campé sur ses deux jambes, et ajusta son tir à deux mains. Il hurla son deuxième avertissement d’une voix qui s’étouffa à moitié dans sa gorge.
— Halte ou je fais feu !
L’agresseur ignora la menace. Il prit la fuite en rebroussant chemin dans l’autre tronçon de la ruelle, hors de vue et de ligne de tir d’Hector. Le policier jura et renonça à faire feu, il était trop tard. Le sang de l’homme abattu s’étalait déjà dans une mare noirâtre et gluante au pied de la femme qui s’était relevée d’un bon, en alerte. Hector rangea son arme, puis s’approcha, mains en avant dans un geste d’apaisement. La femme fixa le corps à ses pieds. Le choc se lisait dans ses yeux, elle semblait sonnée, mais sa peur déclencha soudain une pulsion incontrôlable. Elle s’enfuit en courant, contre toute logique, dans la direction prise par son agresseur.
Le calme était revenu dans la ruelle. L’adrénaline battait encore dans les tempes d’Hector, ses mains tremblaient. Il s’approcha prudemment de l’homme baignant dans son sang. L’odeur écœurante de la mort flottait déjà dans la ruelle autour du jeune homme blond. Hector s’accroupit pour mieux l’observer. La trentaine, aucune arme à proximité du corps, pas de signe distinctif. L’état de sa blessure qui lui avait traversé le thorax au niveau du cœur ne laissait aucun doute sur son état de santé. Il n’y avait plus rien à faire pour le sauver. Par le trou de sa chemise blanche, noircie par la sang, l’épais liquide s’écoulait désormais lentement, la pression était retombée. L’homme ne bougeait plus, son visage était détendu. Hector se pencha pour placer son oreille près de ses lèvres, pour tenter de capter le moindre souffle de vie. Rien. Pas même une révélation fracassante, le nom du meurtrier prononcé dans un dernier soupir. Au cinéma, les agonies sont spectaculaires, cette victime bien réelle était morte sur le coup.
Vitale était sorti de la voiture de patrouille. Il rappela Hector à l’ordre.
— Hector ! Y a plus rien à faire. Magne-toi, faut qu’on bouge sur l’autre inter’ !
Hector se releva, toujours perturbé par l’agression qu’il n’avait pu arrêter à temps. En contournant le corps inerte, il buta sur un objet brillant, un petit tube qui roula sous sa semelle. Hector leva le pied pour éviter de l’écraser, puis se pencha pour le ramasser. C’était un tube de rouge à lèvres, le rouge à lèvre d’une femme qui n’en portait jamais. Hector le glissa machinalement dans la poche de son blouson.
Il s’élança ensuite vers le véhicule de patrouille au pas de course, sans jeter un regard derrière lui. Il s’installa au volant et claqua la portière bruyamment.
La radio balança son ultime instruction, tranchante comme un couperet de boucher.
— Attentat près du canal. Prise d’otages au Bataclan. Toutes les voitures quartier Nord-Est appelées sur zone. Vite ! Bougez-vous !
Hector accéléra en faisant demi-tour vers la Place de la République. Un vertige saisit soudain Hector amplifié par le hurlement assourdissant de la sirène que Vitale venait d’enclencher.
— C’était quoi ce bordel, Hector ?
Une question rhétorique qu’Hector n’entendit pas.
— Il faut signaler le type mort dans la ruelle, répondit-il simplement.
— Plus tard, t’entends pas autour ? On descend vers le chaos, là.
D’autres sirènes résonnaient, comme des cris lancinants brisant à l’unison le silence de la nuit. Des jeunes débouchaient en courant de la rue du Faubourg du Temple, puis remontaient le long des casernes de gendarmerie.
Hector prit seulement conscience des conséquences du détour qu’il avait choisi d’emprunter. Son intervention les avait retardés. Il ressentit le besoin de prendre des risques pour gagner de précieuses secondes, remontant le flux de circulation à contresens. Hors de l’habitacle, Paris défilait à une vitesse folle.
Vitale restait fébrile, mais silencieux. Il avala ses reproches et se concentra sur ce qui les attendait. Il vérifia son arme à feu, puis répéta les mêmes gestes une seconde fois pour apaiser sa nervosité.
L’esprit d’Hector était troublé. Il se frotta les poignets. Ses montres le démangeaient, symbole d’un temps qui jouait inévitablement contre lui. Toujours. Il hurla en frappant le volant.
— Et merde !
Lentement, il inspira pour retrouver son calme avant l’intervention qui les attendait. Il essaya de se remémorer. Avait-il fait usage de son arme ? Combien lui restait-il de balles ? Toujours confus, il écrasa sa pédale d’accélérateur, furieux contre lui-même d’avoir perdu quelques précieuses minutes.
À suivre…
Fromaginaire
Ça y est, le financement participatif de l’anthologie Fromaginaire est lancé. Ce sera un livre qui parle de fromages, de science-fiction et de fantasy. C’est un projet associatif, monté par treize autrices et auteurs et une illustratrice.
Si le livre vous intéresse, vous pouvez aider le projet à naître en précommandant le bouquin ici :
Pour le plaisir, je vous remets la couverture magnifique d’Ashaton :
Le premier objectif, celui des cent exemplaires, approche. Est-ce que nous allons le franchir ce week-end ? Personnellement, j’y crois 😊
Podcast
Cette semaine, le podcast Double Vie reçoit Jean-Laurent Del Socorro.
Jean-Laurent est auteur de fantasy historique et son sixième roman pour adulte Morgane Pendragon vient de sortir. Il y revisite la légende arthurienne en partant d’un point de départ simple : et si c’était Morgane qui retirait l’épée de la tombe d’Uther Pendragon et devenait Reine de Logres à la place d’Arthur ?
🎧 À écouter sur la chaîne YouTube Double Vie.
À retrouver également sur Apple Podcast, Spotify et le site Double Vie.
La dose de flow
Musique
Vous parlez norvégien ? C’est bien dommage (oui, je présage de votre réponse, c’est mal, je devrais faire confiance aux lectrices…), car le groupe que je vous propose d’écouter nous vient de Norvège et chante dans sa langue natale. Voici Kaizers Orchestra avec un de leur titre live : Knekker deg til sist, Te briser à la fin, me souffle mon traducteur…
À suivre
Je suis conscient que suivre un texte sur autant d’épisodes va être un challenge. Pour moi, pour l’écrire, mais pour vous pour le suivre également. Il est possible que d’ici deux semaines je vous propose un numéro « intermède » pour vous parler d’un projet surprise. Mais chut, d’ici là, profitez bien de la lecture de la Plaie.
Je vous souhaite un merveilleux week-end !
— mikl 🙏