La Plaie - Épisode 7 – Le Flow #154

Où je vous présente l’épisode 7 de la Plaie, « Souffle chaud », et vous parle d’Imany.


Newsletter   •   11 mars 2023

Hello les amies,

Est-ce que je suis secoué de doutes en m’enfonçant plus avant dans le roman ?

Parfois. À chaque pas, je franchis un point de non-retour, pour les protagonistes, mais aussi pour mon histoire. J’ai pris un chemin tortueux, sinueux, délicat… et difficile à traiter pour ce début de roman. Alors, oui, cela va demander un saut de la foi de votre part pour accepter de me suivre dans les pas d’Hector. Pourtant, lorsque le brouillard du doute se dissipe, je suis confiant. Ce chemin est celui que je dois prendre, c’est l’histoire qui m’appelle. Je ne suis pas devenu fou, alors accrochez-vous et faites-moi confiance 😊

Pour rattraper votre lecture, ou vous remettre dans l’ambiance, voici les liens vers les épisodes précédents :

Bonne lecture !


La Plaie - Épisode 7

Souffle chaud

Deux ou trois minutes perdues. Un moment dérisoire. Quelques respirations, des battements de cœur, les yeux qui clignent un instant, et qui se rouvrent sur un monde transfiguré. Dans cette réalité nouvelle, Paris avait basculé dans le chaos. La peur avait réveillé les réflexes primitifs tapis dans les profondeurs de l’inconscient, des mécanismes incontrôlables qui secouent les Hommes comme des pantins désarticulés dans leur fuite désordonnée. La rumeur se répandait à la vitesse des électrons sur les réseaux sociaux. Des Parisiens couraient, s’engouffraient dans la première bouche de métro venue ou tentaient de franchir les portes cochères des bâtiments haussmanniens. D’autres, surpris dans leur déambulations nocturnes, regardaient comme des déments ceux qui cherchaient à les avertir.

Hector et son coéquipier remontaient le boulevard Voltaire à pleine vitesse, tandis que les ombres bleues projetées par leur gyrophare semblaient transformer leur perception du monde. Ou peut-être était-ce l’adrénaline qui décuplait les sens d’Hector ? Sa concentration était extrême pour ne pas heurter un piéton ou un cycliste traversant au mauvais moment. Dans sa crispation, il passa la mauvaise vitesse. Le moteur en surrégime hurla dans un cri strident, étouffé par la sirène qui lui vrillait les tympans. Vitale ne dit pas un mot, obsédé par l’épreuve qui les attendait

Dans la tempête, les Hommes cherchent refuge, Hector et Vitale, eux, fonçaient vers le danger. Ils étaient des gardiens, ils ne pouvaient fuir, on leur demandait de dompter le chaos. Parfois, cela consistait juste à être là, à se tenir droit et fier. Gardiens de la Paix sur la Terre. Enfant, Hector voyait les policiers comme des chevaliers en armure. Alors, il s’imaginait comme eux, posté devant les portes d’une ville imaginaire, le visage serein, l’immobilité majestueuse, ses deux mains croisées sur une gigantesque épée, la pointe posée sur le sol. Son regard scrutait l’horizon, sa présence imposante était suffisante pour repousser les méchants et inspirer le respect. Il ne pouvait être plus loin de la réalité. Le plus souvent, le boulot imposait surtout de descendre dans l’arène, de risquer de prendre un mauvais coup dans une ruelle sombre pour un sac à main volé. Et puis, il y avait les interventions comme celle qui les happait ce soir, de celle qui définisse un héritage. L’héritage, c’est la mort, ne pense pas à la mort, tu vas l’invoquer, malheureux ! disait son père. La radio grésilla. Peut-être qu’une voix leur parlait, il ne l’entendit pas.

Ils n’étaient que deux simples policiers qui roulaient vers le centre du Nexus malgré la terreur qui leur tordait les boyaux. Qu’allaient-ils trouver là-bas ? Vitale vérifiait son arme une nouvelle fois, pour s’occuper les mains et masquer ses tremblements. Hector cherchait son souffle.

Il ralentit le rythme de leur chevauchée en arrivant à proximité du Bataclan. Une autre voiture de Police leur barrait la route. Le vertige saisit Hector, déforma sa perception du monde. La ville lui était devenue étrangère, son corps n’était plus le sien, comme s’il l’avait quitté pour voir la scène depuis les toits des bâtiments alentour. Hector eut la sensation de s’arrêter près d’une voiture miniature, stationnée en travers, comme jetée au milieu du bordel d’une chambre d’enfant en désordre.

La lumière du second gyrophare tournait comme un sémaphore hypnotisant. Son éclat lumineux se mélangeait à la lueur qu’ils projetaient en retour. Instinctivement, Hector s’était garé en plaçant la voiture de ses collègues entre eux et le Bataclan, l’utilisant comme un bouclier de protection. Hector chercha les autres policiers du regard, mais leur véhicule déserté lui bouchait la vue.

Il s’extirpa de son siège, sortit, puis s’approcha de l’autre voiture en marchant en canard pour rester à couvert. Vitale éteignit la sirène. Ce fut d’abord le silence qui frappa Hector. Il l’accueillit d’abord comme un soulagement, mais fut ensuite gêné par le bourdonnement de ses oreilles. Il crut d’abord que le vrombissement de son moteur et les hurlements de la sirène avaient saturé son audition, puis il comprit que ses sens étaient accaparés par l’adrénaline battant dans ses tempes. Il respira pour ramener son attention à l’intervention.

Les coups de feu d’une arme automatique figèrent le temps. Il y eut un bruit continu, qui reprit plusieurs fois, comme une toux rauque. Hector se recroquevilla, puis comprit que les tirs ne leur étaient pas destiné, ils venaient des tréfonds de la salle de spectacle. Enfin, le cri du fusil d’assaut s’étouffa comme dans la gorge d’un cochon saigné à l’abattoir, pour laisser résonner l’effroi. Hector se figea. Plus loin sur le boulevard, il remarqua quelques passants réfugiés dans l’abri précaire d’une ruelle. Le nez sur leur téléphone, ils rassuraient leurs proches. Ou peut-être propageaient-ils la rumeur sur les réseaux sociaux. Il se passait quelque chose boulevard Voltaire. Ailleurs, aussi. Châtelet, Saint-Michel, le Stade de France. Il était difficile de trier le vrai du faux. La panique se répandait aussi dans le monde virtuel.

Hector, lui, devait affronter le monde physique, coincé entre deux voitures de police dans une réalité impossible à saisir, à la merci d’un danger qu’il ne pouvait évaluer. Il gesticula, intima aux badauds de l’autre côté de la rue de déguerpir. Cassez-vous ! Une balle perdue était si vite arrivée !

Après les coups de feu, le silence qui suivit devint plus oppressant encore, la menace toujours invisible. Hector sursauta lorsqu’il entendit Vitale sortir du véhicule. Il le vit ensuite s’accroupir pour le rejoindre derrière la première voiture. Respirer, réfléchir, se reprendre. Les deux hommes s’interrogèrent du regard. Où étaient les deux collègues qui étaient intervenus avant eux ?

Hector se redressa pour passer la tête au-dessus du capot et observer la salle de spectacle. Et il les vit. Devant la porte du Bataclan, les corps des deux « BACeux » gisaient, inertes. Ils étaient tombés chacun de leur côté, les bras en croix. Leur position symétrique évoquait les deux ailes d’un macabre papillon. La nuit, la lumière orangée de l’éclairage public, le clignotement bleu des gyrophares, tout rendait irréelle la mare de sang qui s’écoulait sous les cadavres, dissolvant son rouge sombre dans le noir du bitume. Les terroristes avaient dû les cueillir dès la sortie du véhicule. L’idée le fit frémir. À quelques minutes près, s’il n’avait pas secouru cette femme dans la ruelle, ç’aurait été son corps là-bas, souillant le boulevard d’une tâche répugnante. Savard et Cormier étaient tombés pour lui. Un soir de pot d’anniversaire, il avait rencontré la famille de l’un deux. La femme de Cormier les avait rejoints un moment. Elle était partie avec leur jeune fils qui n’y tenait plus. Hector voyait leurs visages, il ne parvenait plus à se rappeler de leurs noms, mais articula des excuses silencieuses.

Il se roula en boule derrière la protection dérisoire de la voiture de leurs collègues, cherchant à reprendre ses esprits, le dos posé contre la portière. Une bile acide remonta des tréfonds de son estomac pour lui brûler le gosier. Ses mains tremblaient. Il était vivant. À quoi ça tenait ? À un retard, une question de temps, de moment, l’histoire de sa vie. Alors, encore en retard ? On se défile toujours, chez les Mahi, hein ? Il n’avait pas entendu ces mots, il les avait devinés, ressentis comme un héritage familial caché et honteux, une malédiction qui lui collait à la peau. Il gratta ses poignets, ses deux lourdes montres le démangeaient soudainement. Il planta deux ongles dans sa chair pour sentir la douleur. Est-ce qu’il avait rêvé cette scène dans la ruelle ? Est-ce qu’il avait triché et laissé ses deux collègues morts se prendre les balles. Il ferma les yeux. Un autre cadavre, le corps du jeune homme mort dans la ruelle, avant-goût de cette soirée morbide, lui confirma la triste réalité. Il avait juste fait son boulot. La culpabilité ne disparut pas, elle lui transperçait le cœur, enserrait son cerveau dans un étau d’acier. Est-ce que c’était ça, la vie de flic, se sentir responsable de toute la merde du monde ? Est-ce qu’il était coincé dans cette vie, condamné à regretter, à s’excuser, à demander pardon à tous les dieux de la terre pour tous les fantômes qui l’accompagnaient ? Pourquoi ? Pour avoir le droit d’être humain, pour mériter le droit fragile de vivre ?

Lorsqu’il rouvrit les yeux, il fut ébloui, et surpris d’être encore là, sur ce boulevard qu’il souhaitait tant voir disparaitre. Vitale était à sa gauche, il respirait bruyamment, sans un mot. Il interrogea Hector du regard. Malgré sous souffle irrégulier, Hector ne perçut aucun doute dans son attitude. Vitale attendait un soutien, une simple confirmation. On se défile toujours, chez les Mahi, hein ? Pas de soir. Plus jamais. Hector hocha la tête, Vitale répondit d’un battement de paupières.

Hector se retourna pour obtenir une vue d’ensemble de la situation. Rien ne bougeait plus, la situation était figée. Le Bataclan les toisait d’un calme menaçant. Le côté bar sur la gauche était plongé dans le noir, mais une lueur émergeait au fond du long couloir sur la droite, avant l’accès à la salle de concert. Au-dessus de l’entrée, des lettres en plastique noir glissées sur un fond blanc indiquaient le nom du groupe de ce soir. Queen of the Stone Age. Hector les connaissait. Il aurait aimé les voir en concert. L’ironie se secoua d’un rire nerveux. Il se reprit, chuchotant pour Vitale, comme s’ils pouvaient être écoutés.

— Tu connais la salle, la configuration des lieux ? C’est quoi la jauge ?

— Je ne suis jamais venu, mais c’est grand. Mille personnes, peut-être plus.

— Bordel…

Hector repéra le parcours qu’il comptait emprunter et avisa un pilier qui pourrait servir de première étape. Il y avait quoi, trente, quarante mètres à parcourir ? La distance lui parut énorme. Et après ? Il faudrait franchir la porte battante de l’enfer et entrer dans la salle.

Hector se réinstalla près de son collègue. Il extirpa son téléphone portable de sa poche. De sa main tremblante, il composa le numéro de Dîna. Messagerie. Merde ! Elle avait coupé son téléphone. Elle voulait lui faire payer son absence. Il laissa un bref enregistrement de quelques secondes, luttant pour garder une voix ferme et posée.

— Dîna, je suis sur une intervention délicate, tu vas en entendre parler. On se reverra. Peut-être. Peut-être pas en fait. Je suis désolé pour cette soirée. J’aurais dû être avec toi. Je t’aime.

Hector raccrocha et éteignit son mobile. C’était la première fois qu’il éprouvait le besoin de parler à sa femme sur une opération d’envergure. Les collègues morts sur le bitume n’en avaient sûrement pas eu l’occasion.

Vitale l’imita, laissant un bref message à ses proches. Ses lèvres bougeaient. Aucun son ne parvenait aux oreilles d’Hector. Il n’entendait que le silence, la peur, son souffle court et son sang qui martelait douloureusement ses tempes, comme un démon cherchant à s’échapper. Lorsque Vitale raccrocha, ses épaules voûtées portaient le poids du monde, mais il se redressa lentement pour reprendre le contrôle de son corps, et ne pas laisser sa détermination s’effriter.

Il n’y avait aucun souffle, aucun mouvement, ni dehors sur le boulevard, ni dans la salle de spectacle. Au loin les bruits de sirène se rapprochaient, avec une lenteur qui rendait Hector fou. Derrière lui, la radio crépitait d’instructions données en désordre. Chaos dans le chaos. Dans cet instant suspendu, tous deux comprirent qu’ils étaient seuls au monde.

Hector se rapprocha de son binôme et s’installa à genou en face de lui. Il posa ses deux mains sur ses épaules. Hector, Vitale, ils n’étaient plus que deux regards, deux yeux plantés les uns dans les autres. Pouvaient-ils fuir ? À aucun moment, cette idée ne leur effleura l’esprit. Leur collègues étaient tombés face à un ennemi invisible. Ils leur devaient bien ça.

Des cris émergèrent de la salle de spectacle. Ce fut le déclencheur. Hector retira son blouson et le jeta à l’intérieur du véhicule. Il avait besoin de sa liberté de mouvement. Il dépassa Vitale par la droite, dégaina son arme et prit place à l’extrémité du véhicule. Le regard pointé vers la salle, il sentit le vent lui balayer le visage, une brise presque chaude qui charriait une odeur de poudre et de sang. Dans ce souffle il entendit comme un murmure, les incantations d’une bête monstrueuse qui l’appelait.

— Je vais m’approcher, tu me couvres, dit-il simplement.

Vitale hocha de la tête, lentement pour affermir sa résolution. Il se positionna au-dessus du capot de la voiture, les mains tendues vers l’avant, crispées sur son arme. Il luttait pour calmer ses tremblements. Hector lui laissa quelques secondes pour se recouvrer ses esprits, puis s’élança à l’assaut de la salle de spectacle.

À suivre…


Fromaginaire

Le financement de l’anthologie Fromaginaire continue, avec près de 150 (!) préventes du recueil de nouvelles fromagères. C’est quand même fou, non ? Et bientôt les autocollants pourront donc être ajoutés dans votre commande.

Merci à vous, votre soutien me fait, nous fait, chaud au cœur !

Pour suivre le projet Fromaginaire, c’est par ici :  Fromaginaire, l’anthologie - Ulule

La dose de flow

Musique

J’utilise quelques playlists durant mes sessions d’écriture. Je choisis les morceaux avec quelques contraintes : les titres doivent être en anglais ou sans paroles (pour ne pas entre en collision avec mes propres mots) et les morceaux doivent être fluides, familiers et apaisants pour canaliser le flux d’écriture.

En général, je prends la playlist d’un artiste pour rester dans un style homogène et ne pas sortir de ma transe d’écriture.

Parmi les artistes qui m’accompagnent en ce moment : Yodelice, Tracy Chapman, Rodrigo y Gabriela, et, celle qui domine mon temps d’écoute en session d’écriture en ce moment, Imany. Son flow est incroyable pour écrire.

Je vous partage ce morceau, Believer, reprise d’Imagine Dragons tirée de son fabuleux album Voodoo Cello.

Imany - Believer (Imagine Dragons Cover)

Si vous avez l’occasion de la voir sur scène, n’hésitez pas une seconde. Le spectacle est fabuleux et les vidéos ne peuvent pas vraiment retranscrire l’émotion, jusqu’à la chair de poule, qui traverse ses représentations. Expérience inoubliable garantie !

À suivre

Je serai peut-être encore à Valenciennes quand vous lirez ses lignes, et la semaine prochaine je vous écrirai de Biarritz. Et oui, le Flow va être un peu itérant dans les semaines à venir.

D’ici là, je vous souhaite un week-end merveilleux !

— mikl 🙏