La Plaie - Épisode 13 – Le Flow #162

Où je vous présente l’épisode 13 de la Plaie, « D’entre les morts », et vous parle de Måneskin.


Newsletter   •   06 mai 2023

Hello les amies,

Avec cet épisode 13, le moment est venue de retrouver Hector.

Pour lire le début de mon roman La Plaie, c’est par ici :

Bonne lecture !


La Plaie - Épisode 13

D’entre les morts

Paris, Jour J - 9 mois.

Hector accueillit la douleur comme une libération. Dans la salle de rééducation, les aisselles soutenues par les deux barres parallèles, il marchait lentement, un pas après l’autre. Il transpirait, enchaînait les allers-retours. Il cherchait ce moment où ses muscles décharnés commençaient à brûler. Se laisser dévorer par le feu, pensa-t-il, renaître de ses cendres, recommencer au début, l’oubli en ligne de mire.

— Ne faites pas cette tête, Hector. Je n’ai jamais vu quelqu’un progresser aussi vite. Vous avez la rage, vous savez.

Malgré la frustration de son patient, l’infirmier paraissait content de ses progrès. Hector tenait désormais debout, il pouvait enchaîner les mouvements. Son enthousiasme n’était pas feint et cela amplifiait le malaise d’Hector. D’où lui venait cette rage qui menaçait de le consumer ? Il ne le savait que trop.

Hector répondit d’un simple grognement de désapprobation, alors qu’il l’aidait à s’installer dans son fauteuil roulant.

— Et je ne vous baratine pas, vous pourrez bientôt laisser votre fauteuil !

Retournant à sa chambre, Hector croisa le patient suivant, un homme qui avait deux fois son âge. Il encaissa cette humiliation que lui infligeait son corps en gratifiant le vieil homme d’un sourire forcé.

La vérité ? Il se sentait mieux. Il pouvait se mouvoir seul dans sa chambre, le fauteuil était là pour l’assurer, compenser une fatigue excessive. Sa tête, elle, était à la traîne. Par défi, pour se prouver qu’il pouvait le faire, il décida de patienter debout un moment, face à la fenêtre, en s’agrippant au mur. Il ferma les yeux pour tester son équilibre. Pas longtemps, car ses paupières closes lui renvoyaient des images venues des tréfonds de son âme. Il voyait encore et encore les corps déchirés du Bataclan, les morts, il entendait gémir les blessés. Les détails ne s’effaçaient pas avec le temps. Pas encore. Un soudain vertige menaça de l’envoyer au sol. Il raffermit sa prise, pour ne pas tomber. Les images s’effacèrent, alors qu’un tableau lui revenait en mémoire, comme une obsession. L’enfer de Dante. Il regarda l’une de ses montres, celle à son poignet droit. Il sourit de la coïncidence. Vitale Dante, son collègue, son pote n’allaient plus tarder. Il remballa ses vieilles affaires dans un sac en plastique et enfila les habits neufs qu’on lui avait apportés. Il flottait dedans, plus maigre qu’avant.

Hector était toujours dans un cauchemar, même si objectivement, tout aurait pu être tellement pire. Il était en vie, mais il se réveillait dans un monde auquel il ne semblait plus appartenir. Il était comme ce spectateur à qui le magicien demande de monter sur scène, qui grimpe seul sous les feux de la rampe. Le reste de la salle remercie Dieu de ne pas être celui-là, de ne pas être l’Élu, tout en se rencognant dans son fauteuil pour profiter du spectacle, le sourire aux lèvres. Hector était celui sur scène vers qui tous les projecteurs se braquent, une victime perdue, désorienté, un animal pris dans les phares d’une voiture, maladroit et désespéré, seul sous le regard mi-amusé mi-compatissant du public. Il était une curiosité, un vestige, une anachronie dans un monde d’après qui ne l’avait pas attendu.

Hector ne s’était jamais senti aussi seul. Vitale était son seul compagnon pour affronter l’inconnu de ce nouveau départ. De tous ceux qui étaient passés le voir, beaucoup s’étaient lassés, avaient oublié. Son réveil ne fut qu’un lendemain de fête, une grosse gueule de bois qui anesthésie les sens. Dîna s’était barrée à Tizi Ouzou. Elle était venue le voir peu après la sortie du coma, sincèrement heureuse de le retrouver en vie. Elle s’était maquillée avec soin, avait enfilé une jolie robe, un peu trop légère pour la saison, elle voulait qu’il la voie sous son meilleur jour, le séduire pour le ramener d’entre les morts. Elle pensait trouver un homme trop heureux d’être en vie, pour continuer la lutte. Elle avait cru qu’il raccrocherait, que la Police, s’en était fini pour lui. Même couché, affaibli, sonné, il restait habité par une colère sourde, tapie au fond de lui, qui attendait le bon moment pour se déchainer. Elle avait vu dans son regard qu’elle s’était trompée, elle avait réalisé que jamais il n’arrêterait. Pas après ce qu’il avait vécu. Il ne voulait pas déserter, pas lâcher les potes qui venaient le voir régulièrement, ceux qui restaient. Surtout Vitale pour être honnête. Lui seul savait finalement, il avait douté, voulu tout arrêter. Mais quand leurs regards s’étaient croisés, chacun avait en silence promis  à l’autre d’aller jusqu’au bout. Au bout de quoi ? Il n’en savait rien, il ne voulait pas avoir le sentiment de fuir. Il se disait juste que ce n’était pas le moment de se retirer. Ce ne le serait peut-être jamais, et il s’en fichait.

— Tu ne crois pas que tu en as assez fait, Hector ? Tu es un héros, tu es un symbole du cataclysme. Le héros de la Plaie ! Regarde les journaux, Hector. Tu peux passer à autre chose !

Dîna lui avait désigné la pile de magazines people. Sur une des couvertures, on voyait Hector boiter aux bras de Vitale, tenant le drone d’une main. Son regard était absent. Il était encore là bas, dans la salle. Le ciel rougeoyait.

— C’est un photomontage, Dîna. Le ciel n’était pas comme ça. C’était la nuit, simplement.

C’est tout ce qu’il avait trouvé à dire. Elle s’était fermée, puis s’était prise d’intérêt pour ce projet à Tizi Ouzou, un retour aux sources, avait-elle dit.

— Vraiment, Dîna ? Tu sais qu’on a grandi à Paris ? Ce n’est pas chez nous. Chez nous, chez moi c’est ici.

Il avait fait un geste qui embrassait la pièce, son univers, son « ici » se résumait à cette chambre d’hôpital exiguë. Il réalisa l’absurde de sa situation et laissa retomber ses bras le long de son corps avec dépit. Évidemment Dîna s’était engouffré dans la brèche.

— Tu as vu Paris, Hector ? Tu es sorti ? Tu es allé voir la Plaie ? La ville qu’on a aimé… rien n’existe plus.

Les mots étaient sortis trop vite de sa bouche, mais cette phrase résonna longtemps dans la tête d’Hector. Rien n’existe plus ? Non, Hector n’avait pas revu Paris, il n’était même pas encore sorti. C’était trop tôt, il n’était pas prêt, c’est ce que lui avait dit Vitale. Dîna avait détourné les yeux. Elle savait qu’Hector ne changerait pas, qu’il ne partirait pas, attaché aux fragments de son âme qu’il avait laissés dans le Bataclan. Sa vie était ici, plus la sienne. Plus tard, elle mit toute son énergie dans son projet, trouver une maison pour tous les deux, pour faire comme si elle n’avait pas compris qu’elle partirait seule, pour jouer une dernière fois un rôle.

Il reconnut le motif de celui qui frappait à la porte de sa chambre. Un coup, puis quatre rapprochés et enfin deux. C’était le même code qu’il utilisait avec son frère Yacine, le signe de reconnaissance qui les liait quand ils étaient gamins. Vitale avait la même énergie de gosse dans la façon de cogner, la même joie. Hector se retourna, son ami passa la tête par la porte entrebâillée.

— Salut Mamie. Tu t’es fait belle pour ta sortie, je vois.

Hector sourit et répondit avec le même humour de maison de retraite.

— Toujours tes blagues de Papy, Vitale. Ça ne te fatigue pas ?

Vitale leva ses mains, pour montrer qu’il rendait les armes.

— Allez, go. On ne va pas traîner ici, je te fais visiter Paris, avant de te déposer chez toi.

Chez lui ? Ce n’était plus chez lui. L’appartement qu’il partageait avec Dîna, cinquième sans ascenseur, n’était pas du tout adapté à sa condition. Vitale l’avait aidé à trouver un meublé, dans un quartier qu’il adorait, près des Buttes Chaumont. Un appart minuscule, mais avec un ascenseur et une baie vitrée qui dominait Paris. Vitale lui avait montré les photos. Il avait accepté d’un hochement de tête. L’assurance paierait pendant quelques mois, ça leur coûterait moins cher qu’une chambre médicalisée.

Vitale le conduisit vers sa minuscule voiture, installa Hector sur le siège passager et baissa la banquette arrière pour réussir à faire rentrer le fauteuil roulant replié d’Hector. Il jeta le sac de sport qui contenait les quelques affaires d’Hector par-dessus, puis il s’installa à la place conducteur, ses genoux touchaient le volant. Le visage grave, les sourcils froncés, il se tourna vers Hector.

— Prêt l’ami ? Ça va aller ?

Hector acquiesça, Vitale démarra et conduisit un moment en silence. Hector connaissait Paris, il ne reconnaissait plus cette ville, tout lui semblait étranger. Des magasins fermés, des quartiers désertés, des panneaux, à vendre, à louer fleurissaient aux fenêtres des appartements autrefois hors de prix. Un repère le rassura, alors qu’ils patientaient cul à cul sur les quais de Seine près de Bercy. Il brisa enfin le silence qui le pesait.

— Ha ! Y a toujours des bouchons, ça va, je ne suis pas perdu.

— Si c’est ton trip, alors tu vas être content, il y en a plus que jamais, à cause des contrôles.

Hector ne comprit pas. Les voitures avançaient au compte goutte.

— Allez, ne reste pas bloqué là, tourne à droite, ça me ferait plaisir de passer par Daumesnil, de voir mon ancien quartier.

Vitale se crispa sur le volant.

— C’est impossible, Hector. Il faut passer le checkpoint devant nous. Pas le choix.

— Le checkpoint ? Qu’est-ce que tu racontes ?

— Pour le moment, ça marche comme ça. Il y a sept secteurs dans Paris. Tu habites dans le secteur 5. Il faut passer le checkpoint, pour que je te dépose. Pas le choix. J’espère que ça ne vas pas durer, c’est chiant, même pour le boulot, pour les patrouilles, mais pour le moment il faut faire avec.

Hector détourna son regard dans celui de la conductrice à leur droite. Elle prenait son mal en patience en passant un appel dans sa voiture, elle s’animait, faisait de grands gestes avec les mains. Elle riait. Tout lui semblait normal.

Hector changea de sujet.

— Comment t’as fait pour reprendre le boulot ? Tu ne sues pas à chaque appel radio ?

Vitale réfléchit un long moment. Est-ce qu’il envisageait d’embellir le tableau ?

— Comment je fais pour supporter ? La peur, je l’oublie quand je bosse, je crois. C’est là que j’angoisse, quand je vois que le monde d’avant a cramé, qu’il s’est envolé et que tout le monde s’en fout. Il n’y a pas que la Plaie qui est radioactive. Tout le monde se méfie de tout le monde. Alors, sourire en attendant le checkpoint, comme elle ? Je ne peux pas. Mais bosser, ça va.

Hector regarda la voiture devant eux passer les contrôles. Deux gars en faisaient le tour avec de petits appareils. Un des plantons fit ouvrir le coffre, nouvelles mesures, petits moulinets de bras, c’est bon monsieur. Vitale ouvrit sa vitre. Le plus gradé des deux le reconnut immédiatement et s’avança détendu.

— Alors, repos aujourd’hui ?

— Nope. Je ramène un copain chez lui.

Le type plia les genoux et se tordit pour tenter d’apercevoir qui partageait l’espace de cette voiture minuscule avec Vitale. Il plissa les yeux, sembla réfléchir un moment, la gêne de Vitale était palpable, les gens devaient s’impatienter derrière. Son visage s’illumina lorsqu’il reconnut Hector.

— Mahi ! Ça y est ? T’es de retour ? Revenu d’entre les morts.

L’expression dérangea Hector. Il avait l’impression que les morts étaient toujours là avec lui. Était-il réellement revenu ? L’enthousiasme du type était malaisant. Hector fouilla dans sa mémoire. Il ne se rappelait pas de ce visage poupon à l’accent du sud. Il sourit sans répondre. Vitale s’en chargea.

— Laisse-le respirer ! Tu vas lui faire peur, là.

La conversation s’étira en banalités insipides. Le gars fit le tour de la voiture avec son appareil et tapa sur le toit, pour valider le passage.

Lorsque Vitale se fut éloigné, Hector l’interrogea :

— C’était quoi, l’appareil ?

— Compteur Geyger. La radioactivité les rend tous paranos.

— Et le gars, je le connais ?

— Non, il fait partie des recrues embauchées pour les nouvelles mesures de sécurité. Mais toi, toi, ouais, tout le monde te connaît. Va falloir t’habituer.

À suivre…


La dose de flow

Musique

Aujourd’hui, je vous partage un morceau de Måneskin. Vous en avez peut-être entendu parler. C’est le groupe italien qui avait gagné l’Eurovision en 2021.

Je n’aime pas du tout l’Eurovision, mais il se trouve que ce groupe est intéressant, bien au-delà des polémiques qui ont entouré leur victoire. C’est un groupe sûrement un peu trop rock et provocant pour l’Eurovision.

Voici Coraline, un morceau qu’ils chantent en italien, avec une magnifique présence scénique, et qu’ils transforment sans cesse de manière fascinante :

Måneskin - CORALINE (live Virgin Radio France)

Le plus impressionnant ? Måneskin est un des rares groupes rock italiens qui a réussi a conquérir le monde, en quelques années. Sceptiques ? Regardez cette vidéo live à Paris, dans un Bercy survolté :

Måneskin - BABY SAID (Live in Paris)

Rock & Roll, Baby ! C’est ma meilleure découverte de ces derniers mois !

À suivre

J’ai un pied dans l’espace, avec le projet Amazonies Spatiales, et un autre dans le Paris de la Plaie. Le grand écart des idées et des mots.

J’avoue que je suis encore en train de tracer les lignes et de construire le chemin qui nous emmènera jusqu’à la fin de l’aventure. Je vous ai partagé pour le moment tous les épisodes que j’avais de prêt ? Ensuite ? Je suis en flux tendu. La semaine prochaine, il y a aura peut être un prochain épisode de la Plaie… Ou bien un texte écrit pour les Amazonies Spatiales. Qui sait ?

En attendant, je vous souhaite un merveilleux week-end, tout aussi prolongé que le précédent !

— mikl 🙏