Hello les amies,
C’est reparti pour la Plaie, avant une petite pause de deux semaines pour mon voyage en Guyane avec les Amazonies Spatiales.
Pour lire le début du roman, c’est par ici :
- Téléchargement de la première partie de la Plaie (fichiers avec les onze premiers épisodes): Le Flow #159.
- La Plaie - Épisode 12 – Le Flow #161
- La Plaie - Épisode 13 – Le Flow #162
- La Plaie - Épisode 14 – Le Flow #164
Bonne lecture !
La Plaie - Épisode 15
Attraction
— C’est la première fois que vous passiez près de la Plaie ? En voyant l’état de ce lieu, cet endroit que vous aviez bien connu, qu’est-ce que vous avez ressenti ?
— La gravité.
— La gravité ?
C’était le premier mot qui était venu à l’esprit d’Hector. Une sensation, une impression, la force de l’attraction. La gravité l’avait happé en descendant la rue de Belleville, une force irrésistible, puissante, qui l’avait entraîné à mesure qu’il dévalait la pente, une obsession qui avait pris le contrôle. Ça descendait, il n’avait rien eu à faire, juste à se laisser aller, en freinant de temps à autre, suffisamment pour éviter de voir son fauteuil déverser. Il avait pris le coup, c’était simple, mécanique, mais ses mains avaient fini par le brûler à force de retenir les roues de son fauteuil. Voilà pourquoi on lui avait dit de s’acheter des gants ! Il appréhendait la remontée, ses muscles ne pourraient pas le hisser en sens inverse. Qu’importe, il trouverait un bus ou un taxi.
— Je suis venu des Buttes-Chaumont, ça descend fort.
— D’accord. Et après, en arrivant sur le canal ? Qu’est-ce que ça vous a fait ?
Hector avait esquivé, il songea cette fois à mentir, mais à quoi bon ?
— Rien.
— Rien ?
La Plaie ne l’avait pas impressionné. Dans ses rêves, Hector avait imaginé le quartier entouré d’épais murs, une zone d’ultra-haute sécurité, un mur de Berlin, massif, en ciment, tagué sur toute la longueur, un endroit maudit et haï. S’il n’avait pas vu les panneaux d’avertissement, il aurait à peine remarqué la limite du No Man’s Land. La Plaie ressemblait à Paris, avec ses bâtiments haussmanniens, un espace entouré d’un simple grillage, protection dérisoire face à une mort certaine et impalpable qui attendait ceux qui s’aventuraient au-delà de la limite. Cette barrière symbolique était trop mince pour retenir une personne déterminée. Difficile de croire que cette frontière était un absolu infranchissable. Rien au-delà de la clôture ne permettait à l’Humain de survivre. Passer la grille, c’était comme se jeter du haut d’une falaise. Mais quel fou voudrait l’enjamber ? Est-ce que la vie était même possible de l’autre côté ? Est-ce des animaux avaient pu s’adapter pour y survivre ? Des insectes, peut-être ? Des blattes ultrarésistantes ? Des rats mutants ?
— Peut-être que j’ai ressenti de la déception ?
Hector avait tenté une réponse, mais le ton de sa voix s’était élevé pour poser une question. Il cherchait une attitude censée. Qu’aurait-il dû éprouver là-bas ? Faute de certitudes, il s’était senti écrasé de fatigue.
Il était resté en silence face à la rue du Faubourg du Temple, qui s’enfonçait dans la Plaie. Il s’était alors souvenu de la salle de spectacle, quelque part sur sa gauche, qu’on appelait autrefois le Bataclan. Il avait revécu son entrée dans ce long couloir plongé dans l’obscurité, à une autre époque, dans une autre vie. Est-ce qu’il était le même homme aujourd’hui ? Son regard longea le grillage et se fixa sur un mémorial improvisé. Des fleurs, des photos, des lettres manuscrites, des objets qui avaient appartenu aux victimes. Hector s’approcha. Certaines photos avaient été décolorées par le soleil et la pluie, malgré le plastique qui les recouvrait. Des fleurs étaient fanées, des roses un peu desséchées, d’autres encore fraîches, ce lieu ne serait pas seulement un endroit de mort tant que des proches le feraient vivre par leurs offrandes. Un calme apaisant l’avait envahi, Hector en eut presque honte. Il s’était senti bien, heureux de voir qu’il n’était pas le seul à penser aux victimes, rassuré de voir qu’il n’avait pas rêvé ce soir-là. Heureux de se sentir enfin parmi les siens.
Hector avait laissé son esprit errer entre les morts, cherchant du regard un visage familier parmi les photos des victimes, des portraits souriants, impossibles à associer aux corps qu’il avait croisés dans le Bataclan. Dans le feu de l’action, il n’avait pu fixer les corps, la face sur le pavé, les yeux vides, les visages livides et crispés de douleur. Face à la Plaie, il prit le temps, cette fois, comme pour s’excuser de ne l’avoir pas fait alors. Dans un tête-à-tête intense, il se connectait aux visages épanouis sur ces photos volées dans des instants de bonheur éphémères. Il espérait effacer les images de leur mort. Sous certains portraits, des amis, des partenaires, des enfants avaient déposé des mots célébrant leurs amours brisées, courrier des cœurs cabossés.
Une photo attira son attention, celle d’un jeune homme qui regardait droit l’objectif, épanoui, allègre, posant devant une œuvre d’art. Sous ce portrait, une note avait été laissée dont l’agressivité contrastait avec les autres témoignages. « Tu crois que je suis dupe, Alix ? Rend moi ce qui m’appartient puis fous-moi la paix ! » Hector se concentra, le visage lui paru presque familier. Un fourmillement lui parcourut le corps, ses jambes le démangèrent, un frisson lui glaça l’échine. Il se leva, il n’y tenait plus, son intuition de flic se réveillait, comme si quelque chose se jouait autour de cette victime qui l’observait.
Hector ne sut combien de temps avait duré le silence dans le cabinet de Lucie Delaunay. Il la fixa comme s’il la découvrait, puis observa autour de lui. Il se souvint où il se trouvait et détourna les yeux pour masquer son trouble. Il répondit à une question qu’il avait oublié.
— J’ai eu l’impression de connaître ces gens-là, même si ce sont maintenant des fantômes, presque de retrouver ma famille, de…
En prononçant ses mots, un gouffre sembla s’ouvrir sous les pieds d’Hector. Il ne pu terminer sa phrase. Lucie nota le mot sur lequel il avait buté, mais changea de sujet. Elle avait certainement déjà lu son dossier, Hector lui avait fait parvenir. Elle ne voulait pas parler de sa famille, pas encore. Elle naviguait avec aisance dans les méandres de l’inconscient d’Hector, habitué à réparer les policiers brisés par la soirée de l’attentat, et à recoller les morceaux des familles de victime.
Lorsqu’il était arrivé dans le cabinet, il avait patienté dans une salle d’attente étroite, un couloir plutôt, dans lequel était installé un vieux fauteuil Louis XVI au tissu élimé. La femme qui se présenta ne correspondait pas au style du mobilier. Jeune, frêle, le regard perçant, tranchant, deux billes d’abîme prêtes à sonder les profondeurs de son âme. Hector lui tendit la main – il s’en voulut d’être si moite –, Lucie Delaunay la serra d’une forte pression qui lui renvoya une image de confiance rassurante. La frêle main de la femme était pourtant tellement fine, légère, paraissant tellement minuscule dans sa propre pogne décharnée.
Son bureau était meublé, de manière étonnamment surchargée. Des livres, des bibelots, des objets en tout genre saturaient les sens. Dans cette masse d’objets, le regard d’Hector se posa sur une pendule, discrète, égarée sur un coin d’étagère. Les épaules d’Hector tressaillirent, il résista à la tentation de jeter un œil sur l’une de ses deux montres à ses poignets. Lucie Delaunay sembla noter mentalement où s’était échoué le regard d’Hector. Mal à l’aise, il s’assit sur un fauteuil face à elle, attendait qu’elle guide la discussion.
Elle savait où elle voulait l’entraîner. Lucie Delaunay revint sur le sujet de Plaie sans ce laisser distraire par les associations d’idées d’Hector.
— Et après, vous êtes venu directement ici ?
Hector s’était perdu dans ses pensées en continuant le chemin sur son fauteuil roulant. Pendant un moment, il s’était senti accompagné, comme on marche en silence au côté d’une amie dont on rêve d’attraper la main, on n’ose briser la magie de l’instant, on profite du moment, de sa présence, de la chaleur du rayonnement de son aura.
— Oui… Enfin, j’ai longé la Plaie, comme si j’avais besoin de dompter mon obsession.
Dompter, le mot avait fait réagir la psy, évidemment. Elle s’était emballée, elle avait réagi du tac au tac.
— Vous pensez qu’il y a une bête sauvage à dompter ? En vous ? Ou plutôt là-bas ?
Hector n’avait pas compris la question. Lucie Delaunay insista.
— Vous auriez aimé mourir, ce soir-là ? C’est pour cela que vous avez été attiré vers la Plaie ? Vous espérez que la bête ait pitié et vienne vous emporter pour de bon ?
Hector n’y avait jamais pensé en ces termes. Il n’avait pas répondu. Est-ce qu’il y avait vraiment une bête planquée au fond de la Plaie, un monstre qui vivait désormais dans les entrailles de Paris, peut-être tapie dans l’ombre entre les bâtiments désaffectés ? Peut-être s’était-elle repliée dans les couloirs abandonnés du métro, à la station République, là où la ligne avait été coupée parce qu’elle traversait la zone contaminée ? Il en était convaincu, au-delà de toute rationalité. C’est vrai qu’il s’était senti observé en longeant la Plaie, comme si le lieu était vivant, autonome, comme si une connexion s’était établie durant cette rencontre presque animale. Voulait-il que la bête terrée en son cœur l’emporte ? Pas encore. Cette bête et lui étaient liés par un destin commun, un destin unique. Une force irrésistible, une vague de détermination émergea des profondeurs de son âme pour le persuader qu’il avait encore un rôle à jouer ici même.
Mais quel rôle ? Il s’était donné trop souvent mal au crâne à y penser sans relâche, à heurter les murs de son inconscient sans parvenir à trouver un sens à ses ruminations. Pourquoi était-il encore là ? Il avait décidé d’attendre, d’ouvrir les yeux et de guetter un signe. Lorsqu’il devrait intervenir, il le saurait. Il le verrait.
La séance terminée. Hector se retrouva sur le pavé parisien. Seul, assis dans son fauteuil, il se trouvait démuni, impuissant. La situation lui rappela cruellement que pour retourner sur le terrain, il devrait retrouver une partie de sa force et de sa mobilité, alors il décida d’explorer les alentours, de continuer à faire de l’exercice. C’est ce qu’il avait cru à ce moment, qu’il avait choisi de poursuivre sa ballade dans Paris pour prendre des forces, qu’il était maître de son destin. Il répondait à l’appel de la ville, de sa vie précédente. Lorsque son attention revint sur l’environnement autour de lui, lorsqu’il leva les yeux, face au kebab au néon rouge, il comprit que cette histoire le dépassait. Des mois auparavant, il s’était retrouvé avec Vitale, devant ce même kebab. De l’autre côté du boulevard Magenta, la ruelle dans laquelle le meurtre avait eu lieu était là, elle aussi, dans son jus, à l’identique. Le chantier était à l’abandon. L’effondrement du cours de l’immobilier autour de la Plaie avait eu raison de son promoteur. Hector n’hésita pas, si ses roues l’avaient mené ici, c’était pour remonter à la source de son malaise, pour tenter de comprendre ce qui s’y était joué. La gorge serrée, il s’avança sous le porche marquant l’entrée de la ruelle.
À suivre…
La dose de flow
Musique
Avant de partir pour l’espace, je voulais vous partager un morceau de Florent Marchet, tiré de l’album-concept Bambi Galaxy. Dans le morceau Apollo 21, Florent Marchet partage le journal de bord bien documenté de la vie d’un père de famille dans un vaisseau intergénérationnel ayant quitté la Terre. Un petit goût d’espace pour m’immerger avant mon départ pour le Centre Spatial Guyanais.
À suivre
Je vous écris depuis la baie du Mont-Michel, en week-end de célébration de nos 50 ans communs avec un groupe d’amis de près de 40 ans.
Tout ça, avant de partir pour la Guyane dans la semaine qui vient. Je vais faire une pause de deux semaines pour le Flow, car je ne maîtrise pas suffisamment mon emploi du temps et ne pourrais probablement pas travailler sur autre chose que sur mon projet de résidence d’écriture spatiale.
En attendant de vous retrouver dans trois semaines, je vous souhaite un merveilleux week-end !
— mikl 🙏