Hello les amies,
Je suis de retour, après une résidence d’écriture itinérante incroyable !
J’ai passé dix jours en Guyane avec mes compagnons des Amazonies Spatiales. Et le voyage et le programme ont tenu toutes leurs promesses (ou presque).
Échanges, découvertes, rencontres, ce fut un tsunami d’expériences et d’émotions : Visite VIP du Centre Spatial Guyanais (oui, nous avons même vu Ariane 6), visite de Mana et du bagne de Saint-Laurent-du-Maroni, rencontre de Guyane Développement Innovation, rencontre de jeunes Guyanais écrivant sur l’espace dans un centre de Capoeira, discussion avec la brillante microbiologiste Stéphanie Raffestin, visite et rencontre à l’Institut Pasteur de Guyane, rencontres à l’université de Guyane, visite des îles du Salut, remontée en pirogue et visite d’un village Amérindien et Bushinengue, nuit en carbet et randonnée dans la forêt amazonienne… et j’en oublie. Tout ça avec la présence régulière et solaire de Christiane Taubira. Pas vraiment de tout repos, mais intense et enrichissant.
Et le groupe ? Wow, quel groupe ! J’ai pris un grand plaisir à discuter avec les autres autrices et auteurs de la résidence. J’ai énormément appris dans la confrontation de nos approches littéraires. Le mot est faible. Je ne sais pas comment le dire, sans employer le mot kiffer, mais j’ai découvert de vrai•es ami•es de plume et je suis déjà impatient de les retrouver.
Notre groupe a été interviewé dans le journal du soir de Guyane Première (France TV, équivalent de France 3 Région). Le reportage présente le projet Amazonies Spatiales. Le sujet commence à partir de 14:34 : Guyane Soir - Émission du mercredi 14 juin 2023 | France tv
Un seul petit regret ? Nous avons raté le dernier lancement d’Ariane 5 qui a été reporté au 4 juillet. Ça fait partie des aléas du spatial et cela n’entache en rien la beauté de ce périple en Guyane. Alors, pour prolonger le rêve, voici une vidéo qui résume la mission VA 260 d’Ariane 5 pour le lancement de la sonde Juice.
Attendez-vous à ce que cette formidable expérience transparaisse dans mes futurs récits. Et d’ici là, vous pourrez me lire dans l’anthologie Amazonies Spatiales, en cours de préparation avec les Éditions Bragelonne et dont la publication est prévue pour 2024.
Je vous partage ici un texte que j’ai écrit le deuxième jour, pour le journal de bord de notre voyage. Chaque auteurice y partage sa vision personnelle d’une journée de notre périple.
Bonne lecture !
Journée des morts
Au soir du jour deuxième jour, je me sens comme ces anthropologues explorateurs qui capturaient la vie avec leur enregistreur sonore. Sans image, ils nous faisaient découvrir le monde, juste avec des mots, avec des voix, des musiques, avec le bruit de la nature, la vraie, luxuriante et débordante. J’ai aimé leurs récits, ils m’ont porté ailleurs. Pourtant, jamais je n’aurais pensé voyager à l’oreille, surtout pas ici, dans ce territoire lumineux dont la terre rouge contraste avec les nuances verdoyantes de la forêt. Jamais je n’aurais cru m’abandonner aux sons comme je l’ai fait jusqu’à présent sur la terre guyanaise.
Ici, je l’ai appris, la vie vous rattrape toujours, souvent sous la forme d’une vibration, de l’air, de l’âme. La nature vous happe dès l’aube dans le gazouillement entêtant des oiseaux. La nuit, le coassement des grenouilles refuse de laisser place au silence, comme si la nature voulait nous rappeler qu’elle était là, partout. Hier soir, les Hommes s’y sont manifestés, voix dans la nuit, envoûtantes, soutenues par le rythme régulier et cardiaque des tambours. Ils m’ont attiré comme le chant des sirènes. Avec mes compagnons, nous avons suivi leurs vibrations au détour d’une rue sur le chemin de notre hôtel. Nous y avons trouvé des Amérindiens en transe, qui dansaient, chantaient, mangeaient, buvaient aussi un peu, pour célébrer leurs morts.
Cérémonie de levée du deuil, dans la tradition amérindienne, les personnes décédées ne peuvent rejoindre le pays de leurs ancêtres qu’après quelques années. À l’issue de cette période, une grande fête est organisée pour permettre aux morts d’effectuer ce passage, de trouver la paix et de libérer les vivants. Les invités se relaient pendant une célébration de quatre jours.
Je suis allé me coucher avec une fatigue hypnotique, bercé par le rythme lancinant des chants se répétant à l’infini, je les ai entendus dans la nuit, ils ont fait partie de mes rêves. Comment réconcilier la modernité du Centre Spatial, visité le même jour, et les rites funéraires amérindiens ? Même mes songes ne parviennent à rassembler mon expérience dans une mythologie aux panthéons si insolites.
Au matin, il est déjà temps de quitter Kourou. Nous partons vers le nord, vers Saint-Laurent-du-Maroni, à la frontière du Suriname. Première étape, petit déjeuner au centre-ville de Kourou. Le marché est un lieu qui nous dit combien cette région est multiculturelle. On y trouve des produits locaux, créoles, amérindiens, bushinengues, mais on y mange aussi de la cuisine asiatique, héritage de l’immigration Hmong. Direction, la boulangerie. Entre café et croissants, nous goûtons aux fruits du dragon, aux mangues et aux maracudjas.
Sur notre parcours, la nature nous envoie un clin d’œil. Des capucins traversent la route en utilisant un câble téléphonique.
Notre chemin vers Saint-Laurent nous conduit à Mana, une commune rurale et pauvre qui a accueilli dans le passé un bagne pour femme. De ce bagne, l’État français espérait bâtir un « réservoir » d’épouses et les conduire à fonder une famille avec les autres bagnards à leur libération. L’État voulait faire de la Guyane une colonie de peuplement. Le poids du cynisme colonialiste est parfois suffocant, même – et peut-être surtout – lorsqu’il déploie sa logique planificatrice ridicule et oppressante.
La pauvreté que l’on ressent à Mana contraste avec l’industrie spatiale qu’on trouve sur le territoire. Elle est masquée dans les films touristiques vantant la région côtière des « Savanes », comme dans ce film qu’on nous a présenté au CSG[1] à Kourou. Golf, pêche, sports de riches, le tourisme est destiné à dynamiser une économie sinistrée, qui peine à exister en dehors du secteur spatial.
Le lieu est vivant malgré la pauvreté (Le PIB par habitant en Guyane représente 55 % de la moyenne de l’Europe à 27). Les commerçants sont accueillants, les bâtiments colorés sont jolis.
La peinture n’y est pas uniquement décorative. À Mana, l’histoire s’écrit sur les murs.
Soudain, j’ai une hallucination, mes repères se brouillent. Un symbole m’accroche l’œil, je ne sais plus donner sens à ce que je vois. La tradition, la technologie semble se superposer en un point du continuum de l’espace-temps. Je crois voir un engin spatial prêt à décoller, là, en plein cœur de Mana, mais peut-être est-ce finalement un hommage aux morts ? Peut-être que mon esprit est enfin parvenu à donner un sens à mes expériences ?
Nous reprenons la route pour Saint-Laurent-du-Maroni. Comme beaucoup d’endroits en Guyane, la ville est connue pour son bagne. Le bagne incarne partout une logique coloniale qui tourne à vide, pour peupler un territoire, même par la contrainte. Des villes entières, comme Saint-Laurent-du-Maroni, ont été construites par des travailleurs forcés, exilés condamnés à la vie précaire et à l’existence détruite, sans quasiment aucune possibilité de rédemption, sans espoir de réellement purger leur peine.
Nous visitons le camp de la Transportation, ce bagne qui a vu passer entre ses murs Seznec et Henri Charrière, le prisonnier surnommé « Papillon » dont a été tiré le film du même nom avec Steve McQueen. Dreyfus y a séjourné brièvement avant d’être envoyé aux îles du Salut.
Le guide nous raconte les exécutions à la guillotine – une quarantaine de têtes tranchées, certaines gardées pour en tirer des enseignements anthropométriques, pour reconnaître les criminels par leurs caractéristiques physiques. Il nous montre les cellules, la barbarie des conditions de vie des prisonniers à l’isolement, allongés sur une couche de bois, les chevilles entravées la nuit dans leurs cellules, la contrainte sur les corps, à l’extrême, la revanche malsaine et mesquine d’une société intolérante. Il nous raconte la promiscuité indécente, les petits arrangements avec les règles. L’écœurement monte. C’en est trop pour moi aujourd’hui. Hier, j’avais la tête dans les étoiles avec la visite du Centre Spatial Guyanais, aujourd’hui je vois la face sombre de cette terre d’exil, de maltraitance, de coercition. Je finissais la journée d’hier en côtoyant les morts que l’on chérit, je termine celle-ci avec les âmes des damnés.
Dehors, devant l’office du tourisme, une épave rouillée m’émerveille. Comme dans le bagne, la nature s’y réinstalle. Ce vieux bateau me rappelle que rien de ce que l’Humain crée n’est éternel. Le temps efface ses infamies et c’est sûrement une bonne chose. Dans sa course vers l’espace qui commence à Kourou, malgré la passion, malgré le génie qu’il déploie, l’Humain ne peut se soustraire à la question du pourquoi. L’exploration spatiale ne peut pas se résumer à une volonté de puissance.
Je m’éloigne du bagne et regagne l’hôtel. La journée des morts se termine par une autre célébration. Saint-Laurent-du-Maroni fête en ce jour l’abolition de l’esclavage. Au loin, j’entends des voix, d’autres chants, pour d’autres morts. Apaisement, réconciliation, espoir.
Les sons ont triomphé, ils m’enveloppent à nouveau, le bruit de la pluie qui s’abat en trombe, averses éphémères et violentes au bruit assourdissant, le bruit de la vie, le chant des insectes, des grenouilles et des oiseaux. Une vague m’emporte dans le sommeil. La journée des morts se termine. J’aurai toujours une pensée pour eux.
- Centre Spatial Guyanais ↩︎
La dose de flow
Musique
Ça y est, le dernier album de Shaka Ponk est sorti. C’est le dernier dernier, car ils arrêtent le groupe pour se consacrer à leur travail associatif pour l’environnement. Et ils finissent en beauté, car l’album est puissant, énergique, énervé et donne envie de lever le poing (final) ✊
Je pense que c’est leur meilleur album, tout est bon dans ce dernier Shaka Ponk, mais j’ai choisi de vous partager le morceau Resign, hymne rock qui sert de passerelle vers leurs nouveaux engagements et nous invite à rejoindre le combat pour nous réapproprier notre destin :
Sincèrement, écoutez tout l’album, plusieurs fois. De rien !
À suivre
Voilà, je suis de retour, je me réacclimate petit à petit. Pour la suite ? J’ai un texte de 30 k signes à écrire pour fin juillet, ma nouvelle pour les Amazonies Spatiales. Alors, bien sûr je vais essayer de continuer à avancer dans la Plaie en parallèle. J’affine régulièrement mon scénario. Je ne promets pas cependant de régularité dans la publication. Chaque nouveau chapitre viendra à point nommé, peut être la semaine prochaine… ou pas.
Merci de me lire, merci de me suivre, je vous souhaite un merveilleux week-end !
— mikl 🙏