La Plaie - Épisode 20 – Le Flow #175

Où je vous présente l’épisode 20 de la Plaie, « Italie », et vous parle de Astonvilla.


Newsletter   •   23 septembre 2023

Hello les amies,

Le rythme de l’histoire est toujours une question existentielle. Pour garder l’attention et l’intérêt du lecteur, quand peut-on se permettre de ralentir ?

La facilité, c’est d’être tout le temps à fond. Actions, péripéties, rebondissements qui s’enchaînent. Mais il y a un risque, malgré tout d’être dans le trop, d’insensibiliser le lecteur et de dévaloriser ce qui pourrait finalement faire l’objet d’un climax mémorable.

Tout est dans le rythme, et je crois que c’est dans ces scènes intermédiaires qui posent l’ambiance et font redescendre la tension que l’on voit le talent de l’auteurice.

Voilà, c’était l’avertissement obligatoire sur les doutes de l’écrivain, avant que vous livrer un chapitre 20, qui peut marcher… ou pas.

Pour lire le début du roman, c’est par ici :

Bonne lecture !


La Plaie - Épisode 20

Italie

Hector se sentait un peu dégueulasse, parce qu’il allait mieux. Il revivait, il avait remisé son fauteuil roulant et il profitait de sa nouvelle vie. Bien sûr, il n’en avait qu’une en réalité, mais elle avait pris un tournant inattendu. Pas seulement sa vie, sa ville aussi. Et c’est ce qui le plongeait dans une profonde culpabilité. Malgré tout, malgré l’odeur de mort et de peur qui y rôdait encore, il aimait le nouveau Paris. Autour de la Plaie, une énergie irradiait. La ville était vivante, elle se recomposait, se réorganisait. Les riches, les bobos avaient pris peur et avaient quitté la capitale pour des environnements plus sécurisés, plus cléments. Les journaux couvraient le phénomène, cette renaissance. Le choc avait amené une prise de conscience, un appel « à revoir ses échelles de valeurs. » La nouvelle normalité avait gagné les esprits, le sien et ceux des Parisiens, ceux qui étaient restés ou qui avaient choisi d’y vivre. Les checkpoints, les boutiques qui fermaient, les ateliers et les classes populaires qui réinvestissait Paris, c’était ça la nouvelle réalité. Signe des temps, le Président avait décidé de quitter l’Élysée pour bâtir une résidence de prestige en Seine-Saint-Denis. Paris était pestiféré, mais Paris était optimiste.

Hector n’avait pas repris son travail au commissariat. Il avait compris qu’il n’y était pas le bienvenu. Alors qu’il sirotait un café à la terrasse d’un café, pris au piège de cette douceur de vivre qui l’amollissait. Il savait que cela ne durerait pas. Il voulut chasser son humeur maussade en se replongeant dans la lecture de son journal. Au cœur de l’été, les nouvelles étaient surtout composées de marronniers. « Les Français à la plage ». Son téléphone sonna. Numéro masqué. Il décrocha malgré tout, il savait qu’il allait rejouer une rengaine désormais habituelle.

— Mahi.

— Hector ! Bonjour, nous avions parlé de déjeuner ensemble, vous vous souvenez ?

— Non. Vous êtes journaliste ?

Toujours plongé dans sa lecture, il menait la conversation d’une oreille distraite.

— Oh, mon Dieu, non, je suis essayiste. J’écris un texte sur votre aventure et je voulais échanger…

Son regard s’arrêta sur un article dont la teneur lui souleva le cœur. Davy Brochard, avocat du futur procès de l’attentat, préparait la presse. Son client, le seul terroriste attrapé vivant, était un peu simplet, embarqué par hasard, meurtrier malgré lui. Il n’osait pas, pas encore, prononcer le mot victime, mais c’était l’idée. Il était pourtant soupçonné d’être le « cerveau » des attentats.

Clic. Hector raccrocha pour couper net à la conversation. Il activa le mode avion pour l’empêcher de rappeler. Il n’arrivait pas à s’habituer à ces sollicitations permanentes qui le renvoyait à ce soir-là, à ces chasseurs qui le traquaient, prêt à tout pour un bon mot, une larme ou un ragot. La remise des décorations allait remettre une pièce dans la machine. Et puis à l’automne, il y aurait les célébrations, le deuxième anniversaire de la Plaie, avant le procès. Il serait encore sous le feu des projecteurs. Quand est-ce qu’on lui foutrait la paix, qu’on arrêterait de le réduire à ce moment tragique de sa vie ?

Il saturait. Vitale l’avait senti. Hector avait même cessé de le harceler avec sa recherche sur les protagonistes de la ruelle. Commençait-il à admettre que jamais il ne les retrouverait ? Vitale en avait profité.

— Ça te dirait de te mettre au vert avant la remise de médaille ? Je pars en vacances en Italie, chez des cousins.

— Encore ? T’as combien de cousins, Vitale ?

— Arrête avec tes clichés, c’est les mêmes, ceux de Toscane.

Hector avait accepté. Il avait besoin d’horizons nouveaux et de chianti. Là-bas, ils avaient peu visité. Ils se l’étaient coulée douce surtout, entre apéros et longues marches le soir dans la campagne, au moment où le soleil décline entre les champs d’oliviers et les vignobles. Un jour, sur le chemin, Hector avec appris à Massimo, le fils de Vitale à faire une fronde. Plusieurs fois, l’enfant avait failli s’assommer avec un pierre et Vitale avait fusillé Hector du regard. À la fin du séjour, Massimo se débrouillait bien. Il était fier de lui.

En rentrant à la tombée de la nuit, ils poursuivaient leurs rituels. Ils se retrouvaient pour prendre un verre en préparant à manger. Vitale faisait mijoter la viande, souvent de simples ragoûts, de temps en temps un osso buco. Hector coupait tout ce qu’on lui mettait sous la main, les légumes et les oranges. Elise, la femme de Vitale orchestrait le tout, en préparant les sauces et parfois les desserts ou la chantilly pour les babalitos. Ils couchaient ensuite Massimo, qui se faisait prier et réclamait toujours une histoire. Quand il dormait enfin, la soirée se prolongeait en terrasse à refaire le monde au chant des grillons. Le temps s’étirait. Ils restaient un moment allongés sur la terrasse à prendre le frais en regardant passer les étoiles filantes.

— Tu l’as vu, Hector, tu as fait un vœu ? lui avait demandé Élise quand la première étoile avait zébré le ciel.

Hector avait répondu du tac au tac.

— Non, je n’ai pas fait de vœux. Je ne crois pas à ces conneries.

Élise n’avait pas bougé

— On croit à plein de conneries, avait-elle dit avec un grand calme, plus pour elle que pour Hector. Pourquoi pas celle-là, si ça nous fait du bien ?

Elle avait raison et Hector avait eu un peu honte. Il était blasé. Est-ce que ça datait de la Plaie ? Il repensa à Dîna et se dit que tout ça datait certainement d’avant. En venant ici, il avait besoin de changement et souris en se disant qu’il avait été servi. Il avait l’impression de vivre dans un rêve depuis l’attentat. Paris était si différent, sa vie était autre chose. Certains jours, il pensait qu’il allait se réveiller, mais c’était de rêve dont il avait besoin. Une autre étoile traversa le ciel. Cette fois il fit un vœu. Comme si elle avait lu dans ses pensées, Élise ajouta :

— J’aimais bien Dîna.

— Tu dis ça comme si elle était morte, souffla Vitale, gênée.

— Non, je dis ça comme si elle était vivante et qu’Hector l’était aussi. C’est la bonne nouvelle de cette année, non ? Il n’est pas passé loin, mais il est toujours là.

Hector n’eut pas le courage de remercier son ami ce soir-là. Pour l’Italie. Pour ce qu’il avait fait dans le Bataclan surtout.

Ils avaient peu parlé du boulot, durant le séjour, mais le dernier soir, la veille du départ, l’état d’esprit était différent, coincé entre la nostalgie et les regrets, presque déjà rentrés. Paris occupait déjà les pensées d’Hector, même s’il tentait de repousser l’échéance, de retenir ce qu’il pouvait de la Toscane. Allongé dans l’herbe, il respirait à fond pour emporter avec lui autant d’air et de souvenirs possible. Puis il prononça les mots qui lui brûlaient les lèvres.

— Est-ce que je t’ai remercié pour le Bataclan ? J’allais rentrer dans la salle, tu sais. J’étais devenu fou. Je ne pourrais jamais payer ma dette, maintenant qu’on ne va plus bosser ensemble. Ça me rend triste.

— T’es sérieux ? Quelle dette ? On va faire un truc, tiens, imagine que je suis ton ange gardien. On a pas de dette envers son ange gardien.

— Un ange, rien rien que ça ?

— Ouais. Ça me va comme un gant, ajouta Vitale après un long silence.

Amen. Hector leva son verre de grappa, en avala une grande lampée. Et se resservit un fond. Il n’avait pas fini. Les cigales chantaient comme si l’hiver ne devait plus jamais revenir.

— Tu savais pour la lettre anonyme. Tu savais que c’était Mascret ?

Vitale détourna d’abord le regard. Il avait certainement redouté cette question, il avait pu s’y préparer. Enfin, il planta son regard dans celui d’Hector, il savait qu’il avait besoin d’une réponse.

— Personne ne m’avait rien dit, non, mais, oui, il avait la rage. Je me doutais qu’il en était capable, que sa haine pouvait déborder.

— Pourquoi tu ne m’as rien dit ?

— Pourquoi ? Parce qu’il n’y a rien de nouveau. Des gars qui sont borderline, qui sont dans la Police pour le rapport de force, pour la domination, pour passer leurs frustrations, on en connaît plein, non ? Alors, je ne t’ai rien dit parce que je ne voulais pas remuer le couteau dans la plaie. Tu pars à la Crim. Mascret, tu ne le reverras plus, alors, à quoi bon ?

Hector resta silencieux, pour l’encourager à continuer. Il sentait qu’il n’en avait pas terminé.

— J’essaie de te protéger, je crois, à ma façon.

— L’ange gardien, toujours.

— Ouais, ça doit être ça.

— Me protéger de quoi ?

— Je ne sais pas. Du monde, du choc, de tes amis. De toi, surtout. De tes obsessions. Parfois, tu me fais peur, Hector. Qu’est-ce que tu veux prouver ? Cette histoire de ruelle, c’est une chimère. Qu’est-ce qui s’est passé dans cette rue ? Tu penses que c’est lié aux attentats ? C’est dément. Ne cherche pas la cohérence dans les hasards du monde, les coïncidences de la vie. Ça rend dingue, Hector. Tu penses réellement au fond de toi qu’il y a un complot ?

— Non, même pas. Mais tu as raison, tout ça m’obsède. C’est le dernier moment de ma vie avant que tout bascule. C’est ma façon de chercher du sens. Si cet événement ne s’était pas produit, on serait mort certainement, tous les deux. Je crois que j’ai besoin de dire merci.

— Hector, c’est juste un règlement de compte dans une ruelle de Paris. Ça arrive et ça ne va pas changer ta vie.

— Ça a changé ma vie, Vitale.

— Qu’est-ce que tu veux que je te dise, alors ? Tu chasses des ombres. Ça n’a jamais apporté la paix.

— Vraiment ? Et si c’était ça, la paix ? Chasser des ombres ?

— Tu te vois comme Hector Van Helsing, chasseur de vampire ?

— Pas vraiment. Mais, il y a des démons dont j’aimerais me débarrasser. J’essaie de grandir, de casser les parois de ma bulle de protection. Parfois les anges gardiens t’enferment avec des fantômes. Je t’ai déjà parlé de mon frère ?

— Jamais.

— Il s’appelait Yacine. Un grand frère, quatre ans de plus. Il a toujours pris son rôle à cœur. Mon premier ange gardien. On avait l’habitude de faire plein de conneries ensemble. Des trucs de mômes. Et puis, un soir, il s’est pris la foudre pour moi…

À suivre…


La dose de flow

Musique

Aujourd’hui, je vous partage un morceau d’Astonvilla, un groupe rock français qui a hélas un peu disparu de la scène. Ils ont annoncé qu’il préparait un album pour 2024, je croise les doigts. En attendant, voici Un million de lézards :

Astonvilla - Un million de lézards

À suivre

J’espère que cet épisode vous a plu. Demain, dimanche 24 septembre, je suis de sortie pour représenter avec Saïd les auteurices des Amazonies Spatiale, lors d’une table ronde au festival Star's up, le festival de l’espace à Meudon. Je serai sur scène à 11 h.

En attendant, je vous souhaite un merveilleux week-end !

— mikl 🙏