Hello les amies,
J’adore cette partie du roman. J’adore cette plongée dans un Paris imaginaire, différent, mais finalement si proche, comme un miroir déformant qui nous est tendu pour réfléchir à la manière dont nous voyons la ville.
Je continue l’exploration de ce Paris que je visite par l’esprit et vous emmène rencontrer le Président de la République.
Pour lire le début du roman, c’est par ici :
- Téléchargement de la première partie de la Plaie (fichiers avec les onze premiers épisodes) : Le Flow #159.
- La Plaie - Épisode 12 – Le Flow #161
- La Plaie - Épisode 13 – Le Flow #162
- La Plaie - Épisode 14 – Le Flow #164
- La Plaie - Épisode 15 – Le Flow #166
- La Plaie - Épisode 16 – Le Flow #168
- La Plaie - Épisode 17 (1/2) – Le Flow #170
- La Plaie - Épisode 17 (2/2) – Le Flow #171
- La Plaie - Épisode 18 – Le Flow #173
- La Plaie - Épisode 19 – Le Flow #174
- La Plaie - Épisode 20 – Le Flow #175
- La Plaie - Épisode 21 – Le Flow #176
- La Plaie - Épisode 22 – Le Flow #178
- La Plaie - Épisode 23 – Le Flow #179
Bonne lecture !
La Plaie - Épisode 24 (1/2)
Nouvel Élysée
Recevoir la Légion d’honneur ? Des mains du Président de la République ? Lui ? Ça n’avait aucun sens. Il était vivant, beaucoup étaient morts, c’était eux qui méritaient les honneurs. Il s’était réveillé avec un sale goût dans la bouche, ses cauchemars l’avaient poursuivi. Il se voyait déambuler dans la salle de réception, au milieu de fantômes, il sentait le poids de leur frustration, leurs médailles tombaient de leurs torses vaporeux, les conseillers du Président ramassaient chacune des médailles tombées sur le sol. Face à Hector, le Président lui épinglait alors ces décorations orphelines, une à une dans un lent rituel. Chaque nouvelle médaille l’écorchait un peu sous sa chemise, lui arrachait un lambeau de poitrine. À la place du cœur, il ne sentait plus que la brûlure des piqûres. Sa chemise se tintait d’éclats rouge vif, sous les décorations qui s’amassaient, son cœur saignait du sang des morts.
Ce matin, les morts avaient disparu, mais, seul face à son café noir, l’angoisse était toujours présente. Il allait devoir supporter les regards lourds de ses collègues, des femmes ou maris, des enfants et parents, tutoyer la tristesse infinie de ceux qui avaient perdu un proche. Est-ce qu’il supporterait le poids de cette culpabilité ? Je ne suis pas un héros, pensa-t-il. Cela suffit pour que la chanson de Balavoine lui hante l’esprit, qu’un fantôme en remplace d’autres. Il se laissa envahir par une voix d’outre-tombe et une mélodie entêtante qui lui permit d’évacuer la pression avant la cérémonie. Le cerveau est bien fait, une obsession en évince une autre.
Hector aurait aimé pouvoir se réveiller le lendemain, effacer cette journée. Il détestait ce genre d’événement, jouer un rôle dont il ne comprenait pas le sens, accepter l’attention de chaque instant. Il envisagea de trouver une excuse bidon pour y échapper. Vitale s’en doutait et l’avait harcelé de messages pour ne pas qu’il flanche. Tu viens, Hector, tu ne me laisses pas seul. Te suivre dans une intervention pourrie, je veux bien, mais ne me lâche pas dans ce pince-fesse ! L’expression l’avait amusé. Il s’était convaincu de venir lorsqu’il avait repensé à la commissaire Gagnon. Renoncer c’était se soumettre un peu trop facilement, se ranger, se cacher pour ne pas faire de vagues. Hector décida d’y aller, mais hors de question qu’il mette un costard. Il enfila une chemise blanche et un blouson de cuir marron qui lui donnait un air de Belmondo, la caricature du flic à l’ancienne. Ça lui allait comme un gant.
Rapprocher le Président du peuple. Après l’attentat cela avait été le mot d’ordre. Paris était devenu dangereux, un centre de pouvoir concentré sur une surface minuscule, une cible trop facile. Le Président avait considéré qu’il fallait répartir les administrations autour de Paris, casser la portée symbolique d’une attaque sur la capitale. Un choix lui parut évident, installer l’Élysée à Versailles, ç’aurait été l’idéal. Le Château de Versailles, lieu de prestige connu dans le monde entier, Avouez que cela aurait de la classe, avait tenté le président auprès de son entourage proche. Ses conseillers s’étaient étouffés. Le symbole monarchique était trop présent, imaginer les courtisans de la République intriguer dans les couloirs du palais royal était insupportable. Il faut rassembler ! criait les députés de la majorité à l’Assemblée, un peu pour forcer la main du chef de l’État. Il dut reculer, à regret, trouver une nouvelle narration pour satisfaire ses rêves de grandeur. Son chef de cabinet était venu avec cette idée de génie, construire un palais présidentiel purement républicain, un bâtiment qui deviendrait le symbole de la modernité de la France et, surtout, de son Président. Le nouveau palais de l’Élysée lui permettrait de laisser une marque indélébile dans l’Histoire, comme le roi Soleil avait été associé à Versailles. Et pour couronner le tout, avait-il vendu l’idée avec un sourire satisfait, la construction créerait de l’emploi dans une zone défavorisée, ce Nouvel Élysée serait construit au cœur de la Seine–Saint-Denis, à portée de l’aéroport du Bourget et de Charles-de-Gaules, connecté au reste du monde. Un projet à la portée politique démesurée. Il avait été un moment envisagé d’établir le palais à Drancy, mais le site fut rapidement écarté, la ville colportait toujours un panache sinistre dans son sillage. Le Nouvel Élysée s’installa alors un peu plus au nord-est, à Aulnay-sous-Bois, dans un parc réquisitionné pour l’occasion.
Hector arriva sur place en taxi, après des heures de bouchons. Il montra patte blanche à l’entrée du parc du Sausset, théâtre régulier de sinistres faits divers, maintenant un des endroits les plus sécurisés de France. Tout autour, la ville semblait en reconstruction, les prix de l’immobilier avaient flambé, les promoteurs s’en donnaient à cœur joie.
Dans le parc, il emprunta un sentier qui longeait un étang dans lequel se reflétait le Nouvel Élysée, moderne, fleur de métal et de verre. Il faut toujours du verre, pour perpétuer l’illusion de transparence du pouvoir, pensa-t-il. Le soleil faisait briller le bâtiment comme un diamant.
Il était déjà presque en retard et voulut accélérer le pas, mais un coup de fil l’arrêta sur sa route. C’était Laurent, le pote de Vitale, le gars de de la Police scientifique. Il devait avoir des infos sur le drone. Tant pis pour la ponctualité, il prit le temps de répondre.
— Hector, je te rappelle à propos du drone.
— J’imagine, alors vas-y, qu’est-ce que tu as trouvé ?
— Rien justement.
— Comment ça, rien ? Tu n’as pas pu rentrer dans le système ?
— Houla, je n’en suis pas là. Le drone s’est envolé. Je veux dire, il n’est pas dans les scellés. J’ai cherché partout, on m’a donné un coup de main pour explorer les étagères alentour. Rien. Le drone n’y est pas. Il a bien été enregistré, mais il a disparu.
Abasourdi. Hector avait déjà vu des preuves disparaître, mais comment était-ce possible sur une affaire de cette envergure ? Une perte, pure et simple, un mauvais classement ? Son téléphone vibra, un message de Vitale, qu’est-ce que tu fous ? Il franchit les portes monumentales du Nouvel Élysée. On le pressa en l’accompagnant jusqu’à la salle de conférence. Il s’y glissa, sans même tenter de camoufler son retard. Le Président avait commencé son discours. Hector chercha Vitale et le repéra à l’avant de la salle, il se retournait régulièrement en espérant voir son collègue apparaître. Il lui avait gardé une place à ses côtés au second rang. Le premier rang était resté libre, un geste symbolique pour souligner le vide laissé par ceux qui étaient morts ce soir-là. Il se courba pour le rejoindre, mais cela ne suffit pas à le rendre invisible. Le Président remarqua son retard, mais il était pris dans une envolée lyrique sur le sacrifice et ne s’interrompit pas. Vitale se décala pour lui laisser une place, sourcils froncés pour marquer son agacement.
— J’ai eu des nouvelles du drone, souffla Hector à l’oreille de Vitale en s’asseyant.
Cela ne suffit pas à calmer sa tension, il le tança d’un regard noir et posa l’index sur ses lèvres. Chut ! Son souffle n’émit pas le moindre son, discret jusqu’au bout, Vitale.
Le discours passa au-dessus de la tête d’Hector,
…et je salue les héros qui ont payé de leur vie leur dévouement pour la France…
qu’avait bien pu devenir le drone ? Est-ce que cela pouvait être une erreur ? Est-ce qu’un autre service analysait le drone ?
…montrer une unité sans faille, alors qu’approche le deuxième anniversaire de l’attentat…
Si c’était le cas, le drone avait été retiré des preuves en contournant la traçabilité informatique. Il était toujours censé être dans les scellés. Qui pouvait avoir fait ça ?
…j’en appelle à toutes les bonnes volontés, je réitère mon offre et mon appel à la responsabilité politique…
À part, la DGSI, qui pouvait vouloir limiter l’accès à la technologie intégrée dans ce matériel ? Ce n’était même pas pour cacher son existence, Hector avait fait la couverture des magazines avec ce drone à la main en sortant du Bataclan.
…propose à ceux qui le veulent de rejoindre un gouvernement d’union nationale…
Ce drone disparu devenait subitement un élément critique de l’enquête. Qui ne te concerne pas, Hector, arrête le délire, ce n’est pas ton enquête !
Une vague d’applaudissement le tira de sa réflexion, il s’y joint par réflexe, même s’il n’avait rien écouté. Hector sentit un malaise à sa gauche, Vitale applaudissait mollement. Ses mains claquaient comme deux pancakes chauds qui s’entrechoquent.
— Quel connard !, murmura-t-il sans bouger les lèvres, d’un souffle presque inaudible.
Cet emportement n’était pas trop dans le style de Vitale. Hector lui posa la main sur son bras pour le calmer.
— Tu as vu ça ? Évidemment, c’est l’heure de la récupération politique, il est presque déjà en campagne.
— Laisse tomber, c’est le jeu, Vitale. La politique c’est surfer sur des vagues. Sauf qu’on n’est pas Bali, et que l’eau n’est pas toujours bien claire.
Il continua de maugréer, mais baissa le ton. Les applaudissements se tarissaient, et il ne voulait malgré tout pas prendre le risque d’être entendu depuis l’estrade.
— Ouais, ben ça me fout hors de moi. On a élu un gars. On pensait qu’il était libre parce qu’il venait de nulle part, qu’il n’avait pas de compte à rendre, qu’à ses électeurs, qu’il ne devait rien à personne, qu’il n’avait rien à perdre parce qu’il avait gagné seul. On a pas vu qu’il avait déjà perdu parce qu’il était trop seul.
Hector ne répondit pas pour laisser le débat s'épuiser. Le silence était revenu et Vitale se tut, mais il garda ce front plissé qui faisait des vagues quand il était soucieux.
Ce fut l’heure des décorations. Un conseiller du président déroula une longue liste de noms. Il commença par les morts, un proche montait sur scène, souvent un conjoint, parfois avec ses enfants. Le Président leur remettait une petite boîte rouge avec la médaille, leur donnait une longue accolade et passait au suivant. C’était court, mais ils étaient émus. Malgré l’absence insoutenable, ils ressentaient de la fierté. Ils avaient attendu longtemps ce geste, une reconnaissance symbolique qui donnait un peu de sens au sacrifice indicible de l’être aimé. Puis, ce fut au tour des vivants de venir chercher leur médaille. Cette fois, le Président l’agrafait sur le torse avant de donner l’accolade. Il côtoyait ces héros du Bataclan, des hommes, quelques femmes, dont il présumait de la solidité. Il avait changé de posture, il avait dans cette façon d’envelopper les corps une virilité dont il n’avait pas fait montre auparavant. Enfin, ce fut au tour de Vitale de monter sur l’estrade, il avait oublié son coup de gueule et reçu sa Légion d’honneur avec le sourire en bombant légèrement le torse. Il regarda au fond de la salle, pour la photo. Hector devina qu’Élise et Massimo devaient être là. À présent, il planait dans la salle comme un soulagement d’être du bon côté de la liste, du côté des vivants. Et puis, ce fut le tour d’Hector, les applaudissements qui duraient depuis la fin du discours se prolongeaient, mais la fatigue commençait à se faire sentir et ils ralentissaient. Lorsqu’Hector Mahi fut appelé, la salle eut comme un regain d’énergie, comme s’ils se réveillaient d’un court assoupissement, d’un petit engourdissement. Hector se leva en prenant son temps, saisi par l’écœurement. Il n’avait personne dans la salle pour partager sa fierté. Il se dit alors qu’il aurait pu demander à Dîna ou à son père. Pourquoi n’y avait-il pas pensé avant ? Lui aussi était du bon côté de la liste, du côté de ceux qui continuaient à vivre avec des questions sans réponse. Le Président pris son temps pour attacher la médaille, il fit mine d’être un peu maladroit, excusez-moi, je suis impressionné, mais Hector l’avait vu tourner la tête vers les photographes. Ce devait être l’image qui resterait de cette cérémonie, le Président et le symbole de l’héroïsme face à la barbarie. Il laissa durer l’accolade, le temps de lui glisser quelques mots à l’oreille, n’hésitez pas si je peux vous aider, vous avez mon écoute, si vous vous lancez en politique, vous avez des chances d’être élu, vous savez, les Français vous apprécient… Hector laissa filer, il n’avait rien à ajouter. Déjà, le nom suivant était appelé pour prendre sa place, Hector croisa son sourire béat en allant regagner son siège. Il se rassit près de Vitale en attendant la fin du défilé.
Enfin, les applaudissements cessèrent. Tout le monde avait reçu sa récompense républicaine. La salle se leva dans un bruit de chaises insupportable. Vitale se dressa d’un bond et tapa l’épaule d’Hector et se fraya un chemin vers sa famille au fond de la salle. Hector resta figé avant de se décider à bouger. Autour de lui, tout le monde se congratulait, il y avait les familles, celle avec les vivants qui souriaient et celles avec les morts qui pleuraient. Le conseiller du Président, celui qui avait déroulé la liste de noms, s’approcha du micro pour inviter tout le monde à rejoindre la salle de cocktail pour conclure la cérémonie. Les photos étaient dans la boîte, le Président s’éclipsa suivi de deux conseillers qui lui débitaient certainement à l’oreille les infos pour aborder la suite de son planning.
Hector eut envie d’un whisky. Il se fraya un chemin au milieu des inconnus qui savouraient l’instant. Il traversa le couloir, et trouva la gigantesque salle de bal, au parquet brillant qui accueillait le cocktail. Il était l’un des premiers, le personnel était au garde-à-vous. Au buffet, ils ne servaient que du champagne et de l'eau. Va pour le champagne. Il avala trois petits fours et déambula les yeux vides dans la salle qui se remplissait. Une femme l’avait suivi jusqu'ici et s’approcha de lui, d'un regard implorant, comme si elle demandait l'autorisation de l'aborder. Hector fit le premier pas.
À suivre…
La dose de flow
Musique
Cette semaine, je vous emmène au concert d’Asaf Avidan à l’Acropole, pour (re)découvrir sa texture de voix si particulière et sa présence scénique incroyable. J’ai choisi le titre Reckoning Song, qu’il transforme en concert en un partage méditatif. Quel charisme !
À suivre
La semaine prochaine, je serai le jeudi et le vendredi au festival des Utopiales à Nantes. Si vous y allez, j’espère vous y croiser.
En attendant, je vous souhaite un merveilleux week-end !
— mikl 🙏