Hello les amies,
Après un an à travailler sur la Plaie, j’en vois enfin le bout, et vous aussi. Quelques mois encore et la première version du projet sera bouclée.
En attendant, c’est reparti pour la suite du témoignage d’Alix Klineman.
Pour lire le début du roman (encore en chantier !!), c’est par ici :
Bonne lecture !
La Plaie - Épisode 30
Vidéo 3 de 4 - Alix K.mp4 - Éric
La terreur se lisait dans ses yeux, comme s’il faisait face à un fantôme. C’est ce j’étais bien sûr, un visage du passé caché derrière une identité empruntée. Je m’étais dit d’abord que la situation ne durerait pas, que les choses se normaliseraient, que je me lasserais de faire vivre le nom de Maxime, que j’accepterais un jour la réalité. Maxime n’était plus là, quoi que je fasse. Je me suis retrouvé pris à mon propre piège. J’avais oublié qui j’étais. Le rictus torturé d’Éric Frey en était le douloureux rappel. J’étais censé être mort, il le croyait profondément, à la fois fasciné et tétanisé. Et pourtant, je me tenais là, face à lui. Il n’a pas fui, je n’ai pas couru. Il m’a bloqué le passage quand nous nous sommes croisés. J’ai tenté de jouer l’incompréhension et de le contourner. Impossible, il se déplaçait en même temps que moi. Il ne me lâcherait pas.
— Alix Klineman ? a-t-il murmuré, une question qu’il s’adressait plus à lui-même qu’à moi.
J’ai levé les sourcils et secoué la tête. Ça l’a mis en rage. Il m’a attrapé par le col de mon blouson, m’a poussé, secoué, comme s’il voulait sentir le contact de mon corps pour s’assurer que j’étais réel. J’ai reculé sous le choc et la surprise.
— Tu n’es pas mort, pourquoi tu as menti, hein ? Pourquoi tu te caches ? Tu es avec eux ? Pourquoi Klineman, hein ? Ils t’ont offert une couverture après le Bataclan, histoire de te mettre au vert ?
Il désigna le bâtiment d’où je sortais. J’étais sans voix. À cet instant, j’avais la douloureuse impression d’avoir trahi Maxime. J’allais craquer, prêt à m’écrouler. Un collègue qui sortait derrière moi m’a tiré d’affaire. Il s’est interposé.
— Calmez-vous, monsieur Frey, je connais ce type, c’est un collègue, il ne s’appelle pas Alix, c’est Maxime. Maxime, vous entendez ? Vous faites erreur, ça peut arriver à tout le monde.
Éric Frey était sonné, il s’est senti déstabilisé. Il s’est arrêté net, les yeux vides, a reculé d’un pas, titubant comme un boxer avant le K.O. Il a ensuite semblé revenir sur Terre, son regard perdu, comme s’il sortait d’un rêve. Il a cherché à comprendre où il se trouvait, avant de tourner les talons et de partir sans demander son reste, comme s’il fuyait un démon. Le collègue m’a laissé le temps de reprendre mes esprits.
— Ça va aller, tu vas pouvoir rentrer chez toi ? Tu veux que je te raccompagne ?
— Je vais bien, vraiment, ne t’inquiète pas, je lui ai dis. Tu le connais ce gars ? Tu l’as appelé par son nom.
— Éric Frey ? Oui, bien sûr, j’ai lu ses romans. Il n’est pas mauvais, il avait du talent, mais ça fait un moment qu’il n’a rien publié. Et quand tu le vois, tu comprends pourquoi, il n’a pas l’air dans son assiette, le bougre.
J’espérais ne plus le revoir, mais ce jour-là, une diode s’est allumée dans mon cerveau, éclairant tout ce que je voyais d’une lumière rouge. Je suis resté en état d’alerte maximum. Defcon 5. Prêt à fuir ou à me battre jusqu’à la mort.
À partir de là, j’ai commencé à devenir parano, comme si Éric Frey m’avait inoculé son contagieux virus en croisant son chemin. Pourquoi Frey avait-il parlé de Karpathi ? Quel était le lien entre IAtus, la société qu’il dirigeait, et Nexus X, la boîte dans laquelle je travaillais ? Et pourquoi le fait que je ne sois pas vraiment mort au Bataclan avait déclenché cette connexion dans l’esprit dérangé d’Éric ? Même un fou ne fait pas de liens au hasard, il y a toujours un ordre dans la démence. J’ai tenté de creuser le sujet sur Internet. Mes recherches ont été infructueuses. Nexus X était une société indépendante, créée trois ans auparavant. Aucune filiation apparente avec IAtus. La boîte était dirigée par un américain installé à Paris, Ethan Reynolds. Est-ce que j’aurai tilté plus tôt si j’avais cherché à savoir qui était ce gars ? Je n’en sais rien, mais je ne l’ai pas fait.
Tu es avec eux ? Et il avait désigné l’entrepôt. Nexus X ? Mes sens étaient bloqués en mode panique et j’ai commencé à observer d’un autre œil ce qui se passait dans cette boîte. Il y avait d’abord les livraisons quotidiennes. Que contenaient les palettes énormes qui étaient déchargées chaque jour ? Elles étaient emportées vers les sous-sols par un énorme monte-charge bringuebalant dans sa cage métallique. Où stockaient-ils tout ça ? Ça paraissait tellement volumineux. J’ai essayé de m’approcher du monte-charge, tout au fond de notre espace de travail. On m’a vite rappelé à l’ordre. Dégages, tu n’as rien à faire là !
Un jour, pourtant une opportunité s’est présentée et je n’ai pas hésité. J’étais arrivé en avance et je tournais en rond devant l’entrepôt avant de prendre mon poste. Les livraisons merdaient plein pot, des palettes entières traînaient encore dans la cour. Un des chariots était en panne et les manutentionnaires avaient ralenti leurs allers-retours. J’ai évalué le temps dont je disposais et conclu que je pouvais m’approcher de la cargaison en souffrance. J’ai craqué le plastique noir qui entourait une palette, pas beaucoup, mais suffisamment pour voir de quoi il s’agissait. Une des caisses arborait le logo d’une marque de serveurs haut de gamme. Rien d’étonnant pour une boîte d’IA. L’échelle des livraisons m’a cependant fait tiquer. Nexus X était en train de construire un data center gigantesque. Il devait y avoir pour des millions, peut-être des dizaines de millions de matériels. Où est-ce que Nexus X trouvait de tels fonds ? Ce n’était encore qu’une petite boîte parmi les géants de l’IA, un outsider. D’où lui venait tout cet argent ? J’ai tiré un peu plus sur le plastique d’emballage, et découvert l’étiquette de transit. Et j’ai compris. Le destinataire était IAtus, Nexus X construisait dans ses sous-sols un immense data center pour la société d’Alexander Karpathi.
— Qu’est-ce que tu fouines là-dedans ?
J’ai sursauté. C’était un des gars de la sécurité. Devant mon air d’enfant prit la main dans un pot de confiture, il m’a désigné la caméra dans la cour.
— Rien, j’ai répondu. Je me demandais juste quelle marque de serveur ils utilisaient ici. Au niveau fiabilité, ça a l’air d’être le top.
— Te fous pas de ma gueule. Tu es un opérateur, tu t’y connais vraiment en informatique ? Tu veux me faire gober ça ?
Il fit une pause pour réfléchir, puis conclut.
— On va vérifier ça, suis-moi.
Le type n’avait pas l’air de plaisanter, alors je l’ai suivi sans discuter. J’ai pensé que j’étais grillé. C’était la deuxième fois qu’on me convoquait dans un bureau pour mon indiscipline et cette fois, je ne voyais pas comment j’allais m’en tirer. Le gars devait faire deux bonnes têtes de plus que moi et peser le double. Je l’ai suivi dans son poste de contrôle et je me suis dit que s’il devenait violent, j’allais passer un sale quart d’heure. L’endroit était protégé par une énorme porte blindée qu’il a ouverte avec son badge. La porte s’est déverrouillée dans un cliquetis de serrure électrique. Je cherchais du regard une option de fuite, l’agent a senti ma réticence et m’a poussé sans ménagement à l’intérieur. La salle était moderne, avec un mur de surveillance comme je n’en avais jamais vu, trente, cinquante, peut être quatre-vingt écrans alignés, chacun alternant régulièrement entre plusieurs caméras.
— C’est bon, détends-toi ! Et bienvenue dans mon antre, me dit-il en me tendant la main. Guillaume, mais on m’appelle Gui.
Je lui ai serré la main, incrédule.
— Tu vois l’ordinateur dans le coin ? Je crois que j’ai merdé, je me suis retrouvé bloqué sur ce message d’erreur en surfant sur Internet. Tu comprends ce que ça veut dire ? J’aimerais bien m’en dépatouiller avant la fin de mon service, histoire de faire un passage de relais propre, si tu vois ce que je veux dire.
Il n’avait pas trop l’air d’avoir envie que quelqu’un se penche sur ce qu’il était en train de faire quand la machine s’est bloquée. J’ai fait quelques manipulations et le message cryptique revenait toutes les deux minutes. Erreur inattendue. La fenêtre d’alerte venait du logiciel d’archivage des flux de vidéosurveillance. Le logiciel était dans les choux. J’ai ouvert quelques fenêtres sur le vieux Windows même pas patché pour vérifier deux, trois trucs de base. J’ai vu que MLDonkey tournait en tâche de fond.
— Tu télécharges des trucs ?
— Un peu. La bande passante est incroyable ici.
J’ai vérifié en deux clics. L’espace de stockage était saturé. J’ai supprimé quelques gros fichiers dans le dossier de téléchargement, des films au nom évocateurs, et patienté une minute. Le message n’est plus revenu.
— Voilà, Gui. Je te conseille de dégager rapidement le reste des fichiers. Le disque était plein. Tu vas te faire griller si tu continues.
— Oh. OK, merci, je crois que tu me sauves la vie. Tu veux un café ?
Il désigna du menton le pot de café filtre qui caramélisait sur sa plaque chauffante près de l’entrée du bunker. Il a rempli un mug et me l’a tendu, une odeur âcre de cramé s’en dégageait, mais je l’ai accepté. Une longue nuit de boulot m’attendait.
— Tu m’as sauvé la vie, mec. Reviens quand tu veux. Je suis là tous les jours à cette heure-ci, du jeudi au dimanche. Si tu veux un café avant d’embaucher, c’est avec plaisir !
Et je suis revenu, presque chaque jour, pour papoter autour d’un jus dans le poste de sécurité. On a sympathisé, c’était un type bien, Gui, c’est devenu un pote, un vrai. Je l’appréciais sans calcul, même s’il m’a rendu une fière chandelle plus tard.
En sortant du boulot après la rencontre avec Gui, j’ai repensé aux serveurs, à Karpathi et aux mots d’Éric Frey. IAtus et Nexus X étaient liés. Comment avait-il bien pu le savoir ? Ce n’était peut-être qu’une intuition, une parole de fou ou d’ivrogne, mais je trouvais cette rencontre troublante. Sans compter qu’il m’avait immédiatement reconnu. Dans sa folie Éric Frey connaissait des choses que j’ignorais. Pour en avoir le cœur net, je devais lui demander des explications. Sur Internet, ce ne fut pas bien compliqué de trouver le quartier dans lequel il vivait, puis son adresse en interrogeant des voisins. Le lendemain, je l’ai suivi alors qu’il sortait de chez lui et je l’ai abordé dans sa brasserie fétiche.
— Éric Frey ?
L’homme me reconnut immédiatement, mais il n’eut pas la même peur que lorsque nous nous étions croisés. Il m’a regardé dédaigneusement sans dire un mot.
— Vous avez raison, lui ai-je dit pour l’amadouer, même si j’étais toujours convaincu de sa folie. En tout cas, je ne suis pas un fantôme. Je n’étais pas au Bataclan ce soir-là, mais j’ai pris une autre identité, celle d’un ami qui lui y était. Maxime Bauer.
Je lui ai dit la vérité en pensant que personne ne croirait ce vieux fou, quoi qu’il raconte. Il n’a rien répondu. Il a seulement levé la main pour commander deux expressos et en a glissé un vers moi d’autorité.
— OK. Et tu me veux quoi ?
— Comment m’avez-vous reconnu ?
Éric Frey a grommelé et plongé son regard dans son café.
— Tu veux vraiment que je te raconte ma vie pourrie, là, maintenant ?
— Comme vous voulez, je ne force personne.
— C’est pour un livre, tout ça. Un roman. C’est parti de l’attentat, c’est devenu mon calvaire, une obsession, autour d’un type surtout. J’avais lu plusieurs articles sur lui, un gars mort dans la salle, un sacré destin. Une connexion s’est produite, il m’a hanté, j’ai cherché à comprendre pourquoi. J’ai interrogé ses amis, ses collègues, son père, je voulais tout savoir de sa vie. Un parcours étrange, fascinant, un destin comme on ne l’explique pas. Mais ça n’a pas suffi. J’avais besoin d’écrire ce livre, je le sentais grandir en moi, mais je n’y arrivais toujours pas, alors je me suis immergé dans la vie de chacune des victimes. Tu verrais mon mur, j’ai une photo de chacun. Je n’ai pas pu accrocher tout le monde, alors je fais des rotations. En ce moment, j’ai ta bobine en face de moi quand j’écris, figure-toi. Voilà pourquoi je te connais. Bref, ne me demande pas pourquoi je me suis plongé dans cette histoire, je sais juste que je dois l’écrire, elle ne me lâchera pas avant.
— Et Karpathi dans tout ça ? Qu’est-ce qu’il a avoir là-dedans ?
— Je vais être honnête, petit, je n’en sais rien. Dans mes recherches sur les drones, je suis tombé sur un document troublant qu’il a rédigé, un de ses premiers papiers de recherche qui est un peu tombé dans l’oubli. Depuis, j’ai le sentiment que IAtus pourrait nous en dire plus sur la technologie utilisée pendant l’attentat.
— C’est-à-dire ?
— On va attendre un peu avant que je te déballe tout, non ? Et toi, pourquoi tu viens me voir ?
— J’ai perdu un ami dans l’attentat, ce n’est pas suffisant ?
— Ne te fous pas de ma gueule. Tu ne savais pas que j’écrivais dessus, avant que je te le dise.
— Pourquoi je suis là ? je lui ai répondu après une longue pause ? Je n’en sais rien, moi non plus. Il y a trop de gens qui me tournent autour qui gravitent autour de ce soir-là. J’ai l’impression que je ne pourrais pas m’en défaire tant que je n’aurai pas trouvé pourquoi. Et puis, moi aussi, je bosse sur le sujet à ma manière. On a un point commun. On est comme des papillons de nuit attirés par la même lumière.
— Deux étoiles happées par la même force de gravité, plutôt.
— Si tu veux.
— Sauf qu’on fonce tous deux vers un gros trou noir et qu’il s’apprête à nous avaler.
Éric Frey s’est levé et est allé payer son café.
— Cette fois, c’est pour moi. La prochaine fois, je te laisse régler. Et tu me parleras de Maxime, il mérite sûrement d’être aussi dans mon roman.
J’ai revu plusieurs fois Éric Frey, toujours au même café, en continuant à travailler chez Nexus X, toujours en alerte. Un jour que je buvais un café avec Gui, j’ai vu passer un visage familier sur les écrans de surveillance. J’ai mis quelque temps avant de tilter, puis je l’ai reconnu, Léande, l’amie d’Apolline, le bras droit de Karpathi chez IAtus. Elle venait certainement inspecter le data center.
Je n’avais jamais rien dit à Éric sur les serveurs et le lien avec IAtus. Je ne voulais pas l’effrayer, qu’il pense que je travaillais vraiment avec eux. Au matin, après le boulot, j’ai foncé à la brasserie pour lui en parler.
— Éric, j’ai trouvé des choses sur Nexus X, la boîte dans lequel je bosse. Il y a bien un lien avec Karpathi. Ils construisent un gigantesque data center pour IAtus dans leur sous-sol. Et aujourd’hui, j’ai vu le bras droit de Karpathi en visite dans les locaux.
Éric s’est levé d’un bond, il a réglé son café et il m’a dit « Viens, je vais te montrer ma tanière, tu verras où j’écris. Enfin, où j’essaie d’écrire. » Je suis rentré dans son petit appartement du XIe arrondissement, au cinquième étage. Il travaillait dans un bordel sans nom, mais son bureau était propre. Il m’a montré le tableau sur lequel il y avait les photos des victimes. J’ai vu mon visage parmi eux, un intrus, un étranger, même pour moi. Je n’étais plus le même homme. J’avais tellement changé que je me suis demandé comment il avait pu me reconnaître. Sur le bureau, il y avait aussi cette photo du héros du Bataclan, celle sur laquelle le flic semblait sortir des flammes en tenant d’une main le drone qu’il avait abattu. Il y avait aussi cette image lugubre qu’Éric avait dessinée, ce dragon impressionnant qui planait au-dessus d’un alignement de tombes. Il ne m’a pas raconté grand-chose et quand il parlait, ses propos étaient incohérents. Chez lui, dans cet environnement macabre, Éric a repris ce regard hirsute et ce ton de voix exalté, le même que lors de notre première rencontre. J’ai tenté de l’apaiser. Il s’est énervé et m’a mis dehors, sans même oser me regarder.
— Tire toi, Alix. Je n’aurais pas dû te montrer ça.
Je n’ai pas insisté. Il ne m’avait toujours pas donné ses informations sur Karpathi, mais je ne l’ai pas brusqué. Je pensais que j’aurais d’autres occasions. Je l’ai revu ensuite quelques fois au café, mais rien n’a plus été pareil. Quelque chose s’était cassé lorsqu’il m’avait ouvert la porte de son monde. J’ai fini pas lui demander directement les documents sur Karpathi, je lui avais prouvé qu’il pouvait me faire confiance. Il s’est refermé, toujours plus, dans un délire dont la cohérence devenait ténue. Je ne croyais plus à l’existence de ces documents, je l’avoue.
Un jour, il n’est pas venu au café. J’ai appris sa mort dans le journal. Un suicide. J’aurais voulu ne pas croire à cet acte désespéré, mais je l’avais vu sombrer. J’avais vu son état se dégrader. Son corps était d’une maigreur effrayante, il se trimballait avec d’énormes cernes, il dormait peu. Sa parano était devenue son enfer. Il avait l’impression qu’on le suivait. Je m’en voulais de n’avoir pas su l’aider.
Je n’ai pas hésité. Je suis allé directement chez lui, pour en avoir le cœur net. Je me suis fait passer pour un proche, la gardienne m’a gentiment ouvert la porte de son appartement. Je n’ai pas trouvé le document dont il m’avait parlé, alors j’ai démonté le disque dur de son ordinateur portable. Je me suis dit que peut-être les documents sur Karpathi y seraient.
Je suis rentré au squat et on a mis les bouchées doubles. L’attentat avait fait une nouvelle victime. Ma détermination s’est trouvée décuplée. Il fallait aller au bout de notre opération. J’ai posé le disque dur d’Éric dans un coin et ne m’en suis pas occupé, le temps nous était compté. On était à la bourre sur notre plan de bataille, mais cela devait être encore jouable. J’ai travaillé sans dormir ce jour-là. J’avais un peu la même gueule qu’Éric avant sa mort.
Puis tout s’est enchaîné très vite. En passant devant un kiosque à journaux, je suis tombé sur la photo de Karpathi avec Hector Mahi, le héros du Bataclan, l’homme dont la photo trônait près du tableau d’Éric Frey. La photo illustrait un article sur une soirée de remise de médaille, qui s’était tenu la veille avec le Président. Cela ne pouvait pas être une coïncidence. J’ai acheté le journal, il ne m’a rien appris de plus, mais j’ai ajouté la coupure de presse dans mon carnet. Miss.Tic a vu que je ne me sentais pas bien, elle m’a proposé de faire une pause avant de commencer à transporter le matériel qu’on devait mettre en place pour notre opération. On avait une heure avant que le bateau n’arrive. Quand on est revenu, Hector Mahi était là, au cœur de notre planque. Ils nous avaient grillé. Cela a failli mettre tous nos plans par terre, mais on a réussi à emporter l’essentiel du matos. Ce n’est pas passé loin. Mahi nous a coursé mais il a pris une mauvaise voie dans les souterrains et il s’est retrouvé coincé derrière une grille. J’ai vu la haine dans son regard. Il a sorti son arme, a voulu me tirer dessus. Il m’a raté, mais la détonation qui a résonné dans le tunnel a glacé tout le monde. La plupart des membres du groupe ont voulu arrêter. Je n’ai rien lâché.
— Après tout ce qu’on a fait, vous rigolez ? On est prêt les gars, on a le matériel. Il nous reste cinq jours de préparation et c’est terminé. Cinq jours ! On ne va pas renoncer maintenant.
— Maxime, un type est à nos trousses. Il nous a tirés dessus, bordel !
— Il a visé le quai, il n’a voulu toucher personne. On ne peut pas abandonner pour ça. Ne vous en faites pas pour Hector Mahi. Je m’en occupe.
À suivre…
Le flow
Musique
J’aime toujours commencer l’année avec du Bashung. Il me donne comme une énergie créative et poétique unique. Pour vous surprendre un peu, je vous partage cette version en trio de Vertige de l’Amour, tiré de l’émission Taratata avec Gaëtan Roussel, Vanessa Paradis et -M-. Quel fun !
À suivre
Et nous voilà en 2024 ! Quatre ans d’écriture, cent quatre-vingt-dix lettres hebdo. Je n’aurai pas pensé réussir à avoir tant de constance. J’attaque la fin du roman et je crois que c’est la partie la plus difficile, parce qu’il faut conclure sans décevoir, mais aussi parce que c’est le moment où les doutes sont les plus tenaces. Il paraît que c’est normal d’osciller entre « C’est génial » et « C’est de la merde », que c’est même déjà bien de trouver le texte intéressant par moment. À suivre donc, pour voir où l’aiguille s’arrête lorsque la roue a fini de tourner et que les jeux sont faits.
Je vous souhaite à toutes et tous, le meilleur pour 2024. Que cette année vous soit douce et belle, que vos rêves puissent prendre vie !
— mikl 🙏