Hello les amies,
Ne vous inquiétez pas, mon roman avance toujours, mais j’ai besoin de la journée de demain pour terminer l’épisode 34, qui sera encore conséquent.
En attendant, je ne sais pas si c’est mon passage en caisson d’isolation sensorielle qui m’a inspiré, mais j’ai beaucoup pensé à mon écriture, à l’art de l’ellipse, à l’art tout court et au vide quantique. Je vous en parle aujourd’hui.
Bonne lecture !
L’art se niche dans le vide quantique
Rassurez-vous, derrière ce titre qui sonne comme une contrepèterie, je ne vais pas vous assommer avec de complexes théories de physique quantique. J’en serai d’ailleurs bien incapable. Je vais surtout vous parler d’intuition, l’outil qui permet aux artistes d’explorer la face quantique de notre univers.
Ma réflexion a démarré simplement même, presque trop, comme un simple constat sur ma propre écriture. J’ai progressé, vous l’avez remarqué j’en suis certain, mais comment le mesurer et surtout comment trouver des pistes d’amélioration ? Je me suis trouvé à mesurer mes progrès sur la maîtrise du rythme de mes textes et sur les variations que je me sens désormais capable d’opérer. Je parviens beaucoup mieux, je pense, à m’immerger dans une scène et en même temps emmener le lecteur dans la peau des personnages. Pour ce que je peux en juger, bien sûr, car j’attends me lancer dans ma première relecture du roman pour valider cette hypothèse.
Parce que les détails parviennent désormais à se déplier dans ma tête et à se déployer plus harmonieusement sur la page, je pense qu’il me maintenant affûter mon « art de l’ellipse ». L’ellipse en narration consiste à trier et choisir ce que l’on montre ou raconte. On ne peut couvrir la vie d’un personnage dans ses moindres détails, bien sûr, parce que l’espace est contraint et le temps de l’audience restreint. Un exemple ? Il est rare de voir quelqu’un ouvrir une porte au cinéma, parce que cela a fort peu d’intérêt. Si c’est le cas, c’est que son franchissement fait l’objet d’un enjeu pour le personnage. Que se cache-t-il derrière cette porte ? Que masque cette normalité ? C’est en général souvent un moment où quelque chose tombe sur la tête du protagoniste. Ou bien on découvre avec lui la nouvelle maison dans laquelle il emménage.
Plus j’avance dans l’écriture, plus je suis persuadé que la fiction repose sur deux piliers : l’immersion et l’ellipse. Écrire, c’est faire des choix de points de vue. En tant qu’auteur, la maîtrise se mesure par la radicalité des choix que nous sommes capables d’opérer, dans l’ampleur du contraste entre les détails des parties immersives et les omissions des ellipses. Le roman « Celle qui chevauche les tempêtes », de Lisa Tuttle et George R. R. Martin, par exemple, se concentre sur trois phases de la vie de son personnage principal, les extrêmes de sa vie, sans s’embarrasser des détails intermédiaires.
La maîtrise des dialogues illustre également l’importance des ellipses. Un bon dialogue se caractérise par ce qui n’est pas dit, plus que par ce qui est dit, il se joue dans les nuances, les silences, les phrases suffisamment ambiguës pour porter de multiples sens ou laisser émerger des doutes, des intentions camouflées, des avis tranchés ou des omissions sur des faits que le lecteur connaît. Les dialogues ne racontent pas l’histoire, ils racontent les personnages, leurs tensions, leurs objectifs, leurs peurs, leur finesse ou leur maladresse. Ce qui n’est pas écrit, ce qui n’est pas dit, pas prononcé est plus important que les mots qui sont articulés ou couchés sur la page.
Faites l’exercice, prêtez attention aux dialogues qui vous semblent crispants ou superficiels dans les films, les séries ou les romans. Vous verrez, c’est souvent parce qu’ils sont trop bavards, qu’ils racontent l’histoire que l’auteur veut mettre en scène, et place ses mots dans la bouche de ses personnages. Parfois, ces dialogues reviennent sur des événements que le public a déjà compris depuis bien longtemps. C’est un des travers des séries françaises, à trop vouloir rendre chaque élément narratif explicite pour que tout le monde suive, l’histoire est fléchée à l’extrême, avec des protagonistes qui insistent sur des évidences. Et ça sonne faux !
La maîtrise du rythme narratif et des dialogues reposent un principe commun, l’art de l’ellipse. L’ellipse est puissante, car elle laisse le lecteur ou le spectateur compléter l’histoire. La maîtrise du non-dit repose sur la confiance de l’auteur dans l’intelligence de son audience. Cet art de l’ellipse est la marque des grandes autrices et grands auteurs. Et c’est un exercice difficile que même les plus aguerris ont parfois du mal à mettre en œuvre, car il est difficile de trouver la limite intuitive entre le trop et le pas assez.
Cette maîtrise de l’ellipse, du vide, du non-dit, me semble généralisable à la majorité des disciplines artistiques. Il vaut par exemple en musique, en théâtre, en danse ou en peinture et montre l’importance du silence ou du choix des traits qui sont nécessaires et suffisants pour que l’on reconnaisse le sujet. Vous aussi, vous pensez au minimalisme de Picasso ?
J’aurais tant aimé vous épargner la fameuse citation de Saint-Exupéry, « La perfection est atteinte, non pas lorsqu’il n’y a plus rien à ajouter, mais lorsqu’il n’y a plus rien à retirer. » Ces mots sont hélas devenus des poncifs récupérés par le monde de l’entreprise pour appeler à une forme de minimalisme (surtout pour paraître brillant, mais c’est une autre histoire). La fulgurance de Saint-Exupéry a été tellement reprise qu’elle en a perdu son sens. Saint-Exupéry ne prononce pas le mot « art », mais derrière la perfection, il parle bien d’activité artistique.
On retrouve cette même fulgurance dans la toile de Magritte, dans cette image d’une pipe, accompagnée de la légende « Ceci n’est pas une pipe. » Qu’est-ce que c’est alors ? C’est de l’art et il se définit par le négatif, par ce qu’il ignore, évince, plus que par ce qu’il explicite.
L’art se définit par ce qu’il n’est pas, ce qu’il n’est plus, ce que jamais il ne sera.
Ellipse. Choix. Intention.
Maun du groupe Demago m’avait dit lors de son interview : « sans intention, il n’y a pas d’art ». C’est juste, mais cette phrase était restée abstraite pour moi. Mais, j’ai compris, j’ai ressenti. L’art se niche dans l’invisible. Il existe par et pour ce qu’on ne voit pas, pour ce qu’il omet, pour ce qu’il ignore.
L’art est insaisissable, il doit échapper aux tentatives de définitions pour pouvoir se renouveler sans cesse.
L’art n’est jamais mieux défini que par ce qu’il n’est pas. Il n’est pas une pipe. Il est ce que la vie nous cache, cette compréhension de la marche du monde qui nous échappe, mais que la rend à la fois évidente et indicible. Il est impalpable, instinctif, intuitif. Il est primal et humain.
Les machines ne peuvent être plus que des outils à la disposition des artistes. Elles sont incapables de produire de l’art, seules, en autonomie, car, par essence, l’art se terre dans tout ce qui échappe à leur cadre. Les modèles d’intelligence artificielle travaillent sur des données, sur une image positive et quantifiable du monde. L’art se trouve partout ailleurs, dans tous les interstices, dans le vide de la matière et de l’univers. Pour une machine, ce vide est vertigineux, il tutoie l’infini et reste une matière que les ordinateurs ne peuvent parcourir dans un temps fini et humain. Pour produire de l’art, une machine devrait pouvoir dénicher des trésors dans la gigantesque bibliothèque de Babel imaginée par Borges, celle qui contient tous les livres possibles de l’univers, celle ou rares sont les ouvrages qui ont du sens dans une masse écrasante de textes illisibles.
C’est donc le vide qui fait l’art. Plus précisément le vide quantique, qu’Étienne Klein décrit comme un état dense d’une matière invisible, faite de particules fantômes dont l’énergie est trop basse pour qu’elles se matérialisent. Dans ce vide quantique, une décharge d’énergie peut transformer ce potentiel en matière, tout comme l’énergie de l’artiste fait émerger l’art, là où il n’y avait rien à voir. Le public, les lecteurs, les spectateurs font de même. Leur propre énergie interagit avec les espaces de vide de l’œuvre, ses ambiguïtés et ses non-dits. L’art quand il est reçu crée une représentation de l’œuvre dans l’esprit du public, unique et grandiose. Grâce à ce vide quantique, l’art dépasse le statut de produit, il réagit différemment à l’énergie de chaque artiste, il devient miroir aux multiples facettes, il expose le potentiel caché de l’infini. L’art puise son universalité dans ce vide quantique.
Peut-être qu’un jour des algorithmes quantiques seront capables de s’affranchir des certitudes et du déterminisme des machines pour explorer le domaine de l’art en autonomie, comme on explorerait l’univers lointain. En attendant, ne demandez pas à une machine de créer des œuvres d’art en pleine autonomie, elle en est bien incapable. L’ellipse reste le royaume des Hommes.
La dose de flow
Musique
Qu’est-ce qu’on veut tous ? Mais si réfléchissez ?
On veut avoir une patate d’enfer ce week-end.
Alors je vous partage Wild Child, le titre qui ouvre l’album Dropout Boogie des Black Keys, pour un blues rock qui arrache, au goût de seventies.
À suivre
Demain, c’est promis, je termine le prochain chapitre de la Plaie, pour attaquer dès lundi le chapitre suivant. Et après-demain j’arrête. Enfin, quand j’aurai fini le roman bien sûr ! C’est le moment du sprint avec la ligne d’arrivée en vue !
Comme toujours, je vous remercie de me lire et je vous souhaite un merveilleux week-end !
— mikl 🙏