Radioactif, La Plaie 38 – Le Flow #199

Où je vous présente Radioactif, nouvel épisode de mon roman La Plaie, et vous parle de Giuliano Gabriele.


Newsletter   •   16 mars 2024

Hello les amies,

Un livre de Murakami me heurte durement comme un pavé sur le coin du visage, Autoportrait de l’Auteur en Coureur de fond, c’est un petit livre pourtant. Et oui, la dernière ligne droite est vraiment le moment où il faut aller puiser dans ses réserves pour parvenir au bout sans s’écrouler comme une carpette.

Heureusement, c’est le moment où l’adrénaline nous porte aussi, et plein d’autres trucs en endo- et en -ine.

Alors voilà, je suis toujours debout, Still standing comme disait Elton John (oui Renaud aussi, les apparences sont trompeuses).

C’est parti pour un nouvel épisode, Radioactif, chapitre 38.

Pour rattraper votre lecture, c'est par ici :

Bonne lecture !


La Plaie - Épisode 38

Radioactif

Radioactif

La nuit apaisait la ville. Hector la regardait sourire, assis sur son canapé dans le noir. Instinctivement, son souffle se calait sur les pulsations qu’il devinait, des battements lents et réguliers. Inspiration. Hector baignait dans la quiétude contagieuse d’une ville ensommeillée. Certains transpiraient peut-être, drapés dans les sueurs froides de leurs cauchemars. Ils pouvaient se réveiller, hurlant dans le silence étouffant de leurs appartements, Hector ne les entendrait pas. Paris était belle de là-haut, droite et fière, symbole toujours, elle dégageait une pureté qui s’évanouissait lorsqu’on y regardait de trop près, lorsqu’on était flic et qu’on ne voyait plus que ses recoins sombres. Un flic savait ce qui s’y tapissait dans l’ombre.

Et le bilan de l’opération avec Karpathi ? Même sans penser au tueur de la ruelle qui les avaient coursés, le résultat n’était pas brillant. Ils s’étaient grillés, Hector avait abattu ses cartes trop tôt, après qu’Apolline ait fait son coup d’éclat. Marie-Claire Renard devait déjà être au courant, il pouvait dire au revoir à son job avec les requins de la DGSI. Ce n’était pas plus mal. Petit plaisir de sale gosse, il préféra rejeter sa proposition avant qu’elle ne le fasse. Il était tard, mais il lui envoya un message texte. « Marie-Claire, j’ai bien réfléchi, je ne me sens pas prêt à abandonner le terrain pour le moment. Je continue à la Crim. Je viens tout juste d’arriver et je m’y sens chez moi. Merci infiniment pour ta proposition. Reparlons-nous. Cdlt, Mahi. » Il éteignit son téléphone et le jeta à l’autre bout du canapé.

Plus bas, près de lui, un gyrophare bleu remontait la rue de Belleville. Hector se crispa, la tension lui enveloppa le crâne. La lumière hypnotique peignait les bâtiments aux couleurs de la peur, de ce bleu aux reflets rouge qui mettait ses sens en alerte. L’odeur du sang battait dans ces tempes, comme cette nuit-là, celle qui lui avait volé trop de nuits paisibles. Le gyrophare disparut derrière les Buttes Chaumont, mais une menace sourde et indistincte s’incrusta dans son inconscient. Hector se recentra sur sa respiration pour tenter d’oublier le reste, oublier les dragons, les morts, les tombes et les monstres sans visage qui se cachait dans l’ombre.

Il repensa à Brochard. Avec le recul, l’avocat n’était pas si monstrueux, c’était un homme calculateur, à la vision étriquée, mais il restait humain, il l’avait lu dans son regard paniqué en pointant son arme sur lui. Le mal qui se terrait dans la ville était d’une autre nature, et il pouvait sortir à tout moment, choisir n’importe qui pour en faire son instrument. Un voisin qui craque, un livreur à vélo qui prend les armes pour défendre une cause qu’il ne comprend pas. Lui aussi Hector avait failli lâcher prise. Tant qu’existe le hasard, le mal pouvait éclore partout, stochastique des âmes. Éric Frey avait gratté trop profond, il avait regardé sous la surface et découvert une réalité qui l’avait rendu fou.

Hector lui était toujours là, résigné, mais pas fataliste. C’était le deuxième soir qu’il échappait à la mort. Il mesurait sa chance, à chaque fois, Apolline était intervenue. Tous les deux s’étaient séparés ce soir sur le chemin de retour, elle s’était envolée pour se terrer dans son repaire, hôtel, squat, chambre de bonne, location à la journée – est-ce qu’elle changeait de planque chaque jour ? Chaque semaine ? Elle construisait son mythe, apparition, disparition, elle planait avec son mystère.

Hector ne pensait pas aux hommes qui les avaient traqués. Est-ce qu'ils continueraient de les pister ? Prévisible, il avait rejoint son appartement. Il était las, il ne voulait pas fuir, juste dormir d’un sommeil sans rêve, sans dragons, sans monstres cachés dans les placards. Enfant, la nuit lui faisait peur, maintenant, c’était le jour qui le terrorisait.


Hector se leva l’esprit clair. Sa cuite n’était qu’un mauvais souvenir, une énergie nouvelle l’animait. L’hiver approchait, mais le rayon de soleil rasant qui éclairait Paris au travers de sa baie vitrée le réchauffait comme un printemps précoce. Karpathi sentait la menace se préciser , il avait décidé de faire le vide, pourtant Hector ne tremblait pas, il soufflait au contraire. Les masques étaient tombés, et ce matin il se trouvait là où il devait être, comme si lui seul pouvait finir le job commencé au Bataclan, deux ans plus tôt. J-1, veille de la commémoration. En pensant au dessin d’Éric Frey, au dragon et à sa propre tombe, il frissonna en sortant nu de la douche, comme si le battement des ailes de la bête avait fait courir un souffle d’air sur son corps toujours trop maigre. Quelque chose allait se produire. Il n’avait plus peur.

Il s’attabla face à sa tasse de café brûlant pour établir le plan de sa journée. Lorsqu’il s’était réveillé, les visions de la nuit dernière avaient pris sens. Il n’avait pas rêvé, quelque chose clochait avec Apolline, elle avait fouillé sa chambre. Et puis, il y avait trop de coïncidences. Hector n'aimait pas trop les coïncidences, une manie de flic. Il décida de crever l’abcès qui commençait à sentir et de confronter Apolline pour lui faire cracher le morceau dès qu’il la verrait.

Il était détendu, cela ne lui ressemblait pas. Il se surprit à sourire en avalant le reste de café tiède au fond de sa tasse. Il avait toujours trouvé irréalistes ces films dans lesquels les protagonistes agissent trop calmement après avoir échappé à la mort. La vie reprenait comme avant, ils mangeaient tranquillement, discutaient, sans panique. Malgré tout. Aujourd’hui, ils les comprenaient. Dans la tourmente, ces faux semblants permettaient de tenir, d’oublier un temps que la mort rôde. La mort aux trousses. On ne peut pas toujours courir, il faut apprendre à l’accueillir lorsqu’elle frappe. Hector sursauta lorsque trois coups martelèrent sa porte. Il ne pensa ni à la mort ni à la douleur et se leva pour ouvrir sans hésitation et sans arme.

Dans l’embrasure de la porte se détacha la silhouette de la commissaire Gagnon. Il réagit comme si plus rien ne pouvait le surprendre, il lui claqua même une bise – ils n’étaient pas au boulot, elle ne recula pas –, puis il l’invita à entrer. Il sortit une deuxième tasse d’un placard et s’installa avec elle pour partager un café. Il y eut peu de mots, personne n’osait lancer la discussion qu’ils devaient avoir. La commissaire se jeta à l’eau, c’était elle qui s’était pointée chez lui.

— Hector, je ne suis pas là pour te mettre la pression. Prends tout ce que je vais dire comme un conseil, un service que je te demande même. Fais un break, un mois, ou moins, une semaine, si tu veux, mais, s’il te plaît, prends du recul. Donne-moi un bol d’air.

Dans son appartement, les distances semblaient abolies, elle le tutoyait, pour lui dire que ce n’était pas sa supérieure qui lui parlait. Elle allait droit au but, il apprécia l’effort et ne tourna pas autour du pot.

— C’est une mise à pied ?

— Tu as écouté ce que j’ai dit ? Oui, Brochard m’a appelé, il m’a dit que tu avais un peu dérapé chez lui, mais il l’a joué sans brutalité, ça m’a étonné venant de lui. Figure-toi qu’il s’inquiétait. Il a dit que bien sûr tout cela resterait entre lui et moi.

— C’est des conneries.

— Bien sûr que c’est des conneries, un coup de semonce, sa façon de me dire qu’il préfère garder cette carte dans sa manche. Tu joues aux échecs ?

— Non.

— Tu devrais, c’est un bon révélateur de personnalité. Bref, quel est le principe le plus important, à ton avis ?

— Que la meilleure défense, c’est l’attaque ?

— Bien plus subtil que ça. Beaucoup plus puissant ! « La menace est toujours plus forte que son exécution. » Il me menace de manière indirecte, mais c’est surtout à toi qu’il s’adresse. Il te tient, Hector, et un beau jour, lorsque tu auras tout oublié, il sonnera comme le diable à ta porte, il te demandera un retour d’ascenseur. Bien sûr, ça te fera mal, tu voudras protester, mais tu n’auras pas le choix, il aura choisi son moment, le bougre, et vous serez quitte. Tu vois, Brochard, je m’en fous. C’est ta dette, pas la mienne.

— Et Marie-Claire Renard ?

— Quoi, Marie-Claire Renard ?, lui répondit-elle avec une pointe d’agacement.

— Vous n’allez pas tout lui balancer pour m’empêcher d’aller bosser pour elle ? C’est une bonne monnaie d’échange, non ? Vous vous feriez bien voir.

Avant de répondre, Gagnon pesa longuement ses mots, mais répondit sans pincettes.

— Tu veux mon opinion ? Si je peux la faire chier, je le ferai. Je parle de toi, là surtout. Tu te vois finir ta carrière derrière un bureau dans un ministère ? Alors, non, Hector, je ne dirais rien. Pour cette fois, si je ferme les yeux quoiqu’il m’en coûte, c’est bien parce que j’espère que tu restes. Elle marqua une pause. Et que tu n’aies pas à avaler les couleuvres que les politiques me font gober, ajouta-t-elle enfin.

Hector nota l’avertissement qu’elle enveloppait dans ses mots. Il y avait autre chose qu’un petit conflit entre elles. Elles se détestaient. Elle voulait lui savonner la planche. Il y a toujours un peu de politique dans les actes de ceux qui veulent s’en affranchir.

— Franchement, tu te vois la suivre comme un toutou pour redorer son blason, toi, le gars sanguin qui dégaine son flingue chez Brochard ? Tu penses que c’est toi, ça ? Ces gens-là, ils sont comme lui, ils savent se jouer de tes faiblesses, et tu les détesteras. Tu seras leur jouet, un pantin, ils te videront, t’arracheront la tête et les bras et te jetteront quand tu ne leur seras plus utile. T’es un flic, Hector, pas un politique. Ta force, c’est le terrain, pas les parquets lambrissés.

Hector fit un geste ouvrant ses deux bras, le geste auguste de celui qui regrette ce qu’il est devenu. Il était décharné, avait perdu ses muscles et il crachait ses poumons après un sprint.

— Oublie ton corps, Hector, tu es un flic, dit-elle en posant l’index sur son front. C’est là que ça se passe. Tu n’es pas fait pour la diplomatie, tu es flic, tu es tenace. J’ai besoin que tu restes, j’ai besoin de quelqu’un qui sait donner des coups de tête quand il le faut.

Hector sentit son téléphone vibrer. Il rejeta rapidement l’appel, mais il eut le temps de voir le nom qui s’affichait. Marie Claire Renard avait reçu son message.

— Alors, reprit-il, pourquoi cette pause ?

— Parce que la commémoration des attentats à lieu demain, qu’on sait qu’il se trame des choses autour de la Plaie, qu’on est sur les dents pour assurer la protection des officiels qui sont venus de partout. Soixante-dix-sept chefs d’État, Hector. Et toi, tu es un symbole, je n’ai pas envie d’avoir à gérer tes éclats, pas maintenant. Et j’ai encore moins envie de m’occuper de ta mort. Tu es une cible, Hector, et les oraisons funèbres, ce n’est pas mon truc.

Hector sursauta en entendant ces mots qu’elle avait ponctués d’un petit claquement involontaire de sa langue.

— Les RH m’ont appelée. Ils ont été victimes d’une intrusion informatique cette nuit. Un seul dossier a été consulté. Oui, le tien, Hector. Ça fait quelques semaines qu’on a commencé à recevoir des menaces. Certains te verraient bien mort. Oh rien de personnel, juste des types un peu cinglés qui ne supportent pas que tu sois devenu un symbole de résistance au terrorisme.

La légèreté d’Hector avait disparu. Une chape s’était abattue sur ses épaules. La mort rôdait. Gagnon se leva. Elle avait à peine touché à son café.

— Fais-moi plaisir, bordel. Dégage le terrain, va respirer autre chose que le parfum d’air vicié qui va se dégager demain.

Acceptation, remerciement, Hector acquiesça, puis se rendit dans l’entrée. Il extirpa sa carte de police de son blouson et ramassa son holster accroché au porte-manteau. Il lui tendit ses marques d’appartenance à la Police. Elle éclata d’un rire sincère, en lui tapant l’épaule de son poing serré.

— Je t’adore, Hector et je crois que tu as vraiment besoin de repos. Tu te crois où, Capitaine Mahi ? Aux États-Unis ? T’es le héros d’un film noir ? Un flic torturé par les remords ? On est en France, ici, alors ravale ton air dramatique. Tu n’es pas mis à pied, je n’ai même pas ce pouvoir. Je te demande juste un service, tu dégages de mes pattes pour une semaine. Tu as de la chance, c’était ton ancienne adresse dans le dossier, c’est Vitale qui m’a dit de venir ici, mais ne tente pas le destin, ouste, va voir ailleurs si j’y suis, passe du temps en famille, avec ta femme, avec qui tu veux, mais quitte Paris. Ça me fera des vacances ! Je ne veux pas entendre parler de toi. C’est compris ?

Il acquiesça à nouveau la tête. Il avait la mine que Yacine et lui adoptaient quand ils étaient pris en faute. Courber l’échine pour mieux préparer le coup suivant.

— Tu as raison, dit-il. Il faut que je voie mon père. Dîna aussi, depuis le temps qu’elle s’éclate sans moi en Algérie. Tizi Ouzou me manque, je crois, ça faisait longtemps.

Et Gagnon s’en fut, presque rassurée. Une fois la porte refermée, Hector se redressa, il n’avait pas l’intention de fuir. Il écouta le message de Marie-Claire Renard, une dizaine de mots, pas plus, la patronne de la DGSI savait s’économiser. « Karpathi m’a appelé hier soir. Ne fais pas de connerie, Hector. »

Hector était devenu radioactif. Comme la Plaie, comme si son passage dans le Bataclan l’avait marqué de ses isotopes, que partout où il débarquait les compteurs Geiger s’affolaient. Il était une matière dangereuse, un explosif à manier avec des pincettes. Tout le monde avait peur de ce qu’il allait faire ensuite. Il n’y avait pas trop réfléchi, mais il était bien décidé à tout faire sauter. Ensuite ? Peut-être, retrouver Dîna à Tizi Ouzou ?

À suivre…


La dose de Flow

Musique

Cette semaine, je vous fais partager une découverte, le morceau Basta! tiré du nouvel album de l’artiste franco-italien Giuliano Gabriele. Accordéon, violons et énergie en ébullition !

Giuliano Gabriele - Basta! "Live Session"

À suivre

Je vais vous faire une petite confession, j’ai coupé le chapitre du jour, il était déjà suffisamment long comme ça. La bonne nouvelle, pour moi, c’est que le prochain chapitre est donc déjà bien avancé. Je vais travailler dessus dès demain.

En attendant, je vous souhaite un merveilleux week-end !

— mikl 🙏