Nexus X, La Plaie 48 – Le Flow #210

Où je vous présente Nexus X, chapitre 48 de la Plaie et vous parle de Sivert Høyem.


Newsletter   •   16 juin 2024

Hello les amies,

Il y a comme une magie à voir la fin d’un roman se structurer et trouver une forme de justesse que l’on recherchait sans jamais être certain de l’atteindre. Je pensais avoir trouvé le thème central en posant les dernières phrases de la première partie. J’avais trouvé le pourquoi de ce roman, mais je n’avais pas nécessairement pu nommer le ciment qui maintient le tout, un mot qui lie l’ensemble du texte. Je ne vais bien sûr pas vous le donner. Ce sera à chaque lecteur de se faire une opinion et de trouver ce qui fait écho en lui.

Nous voici dans le chapitre 48, un chapitre de convergence, comme je les aime.

Si vous voulez rattraper votre lecture, c’est par ici :

Bonne lecture !


La Plaie - Épisode 48

Nexus X

La nuit avait imposé son tempo. Hector contourna la Plaie, puis le remonta le canal sans croiser une âme qui vive. Même sur le camp des migrants, le calme s’était installé, cela n’arrivait qu’au cœur de la nuit. Milad dormait dans sa tente et Hector ne voulut pas le réveiller. Au centre du campement, une lueur chaude et quelques voix apaisées l’attirèrent comme un papillon de nuit. Alors qu’il s’approchait du feu de camp, l’un des hommes reconnut Hector et lui fit signe de se joindre à eux, quelques hommes qui discutaient dans une langue qu’Hector ne comprenait pas, prêts à aller jusqu’au bout de la nuit en se racontant des histoires de bonheur perdu et retrouvé, veillant surtout, sans l’avouer, à la sécurité de leurs compagnons. Farukh, l’homme qui lui avait fait signe, présenta Hector aux autres, s’exprimant en Français pour l’intégrer à leurs échanges. « Milad l’aime beaucoup », dit-il pour résumer. Ils approuvèrent tous d’un hochement de tête et lui firent une place dans leur cercle. Hector s’assit en tailleur, se frotta les mains près de la flamme jusqu’à presque ressentir la morsure du feu. La chaleur, c’était de ça qu’il avait besoin, après son ballet avec les fantômes. Hector accepta une tasse de thé à la menthe. Le temps s’étira. Hector oublia Paris. Plus rien n’existait autour de lui, au-delà des lueurs tremblantes du feu. Hector oublia la Plaie. Il les interrogea sur leur vie, celle d’avant, avant l’exode et l’exil, et ils lui racontèrent leur pays avec nostalgie. Tout n’avait pas été rose, même avant la crise, mais Hector se reconnaissait dans ce qu’ils avaient vécu là-bas. Cela aurait pu être l’Algérie. Dans d’autres circonstances, Farukh aurait pu avoir été son père, lui aurait pu avoir été Milad ou l’un de ses amis. Puis le ton fut plus grave lorsqu’ils abordèrent le voyage, la fuite sans fin, la suite d’une vie rêvée qui semblait illusoire et à jamais suspendue, en quête d’un bonheur qui ne serait jamais plus si intense. Ils étaient les conteurs de vies passées, vivants pourtant, plus que jamais. Des survivants, eux aussi. Le point commun de l’humanité, pensa Hector, vivre, échapper à la mort. Quand la fatigue les gagna, ils s’allongèrent autour du feu pour s’abandonner à tour de rôle à quelques heures de sommeil. Hector ne résista pas, même s’il redoutait les ombres qui l’attendaient dans ses rêves. Cauchemars, rêves, il ne parvenait plus à les distinguer. Il y croisait des dragons cachés dans l’ombre, prêts à l’emporter dans leurs puissantes griffes. Il repensa à la Plaie et au texte de Klineman, au poème écrit dans son carnet.

Dans la délivrance d’un sommeil millénaire
Dans le chaos
Dans la souffrance des morts qui renaîtront de leurs cendres
Dans la brûlure d’un feu au goût de souffre
Que de cette plaie béante s’élèvent les dragons.

Et si les dragons incarnaient dans leur force, la sagesse perdue des Hommes ? Le sommeil vint cueillir Hector et il s’assoupit enfin, entouré du visage de tous ces survivants, ceux de la Plaie, d’autres allongés à côté de lui. Ils chevauchaient des dragons, survolant ensemble leurs montagnes, portés par le souffle brûlant de l’espoir.


Son téléphone sonna et tira Apolline d’un sommeil profond, troublé, hanté par des rêves dont elle avait déjà oublié la teneur. La sonnerie violente, the Trooper d’Iron Maiden, lui fit immédiatement regretter son choix. Son cœur palpitait, elle était désorientée, elle luttait pour s’extirper du cocon gluant de son dernier cauchemar. Elle ouvrit les yeux. Le miroir en face du lit lui renvoya une image déplaisante, son teint blafard, sa mine fatiguée et ses cernes de vampire. Bordel ! La sonnerie lui déchirait les tympans. Elle étendit le bras vers son téléphone et manqua de tomber du lit en se tordant pour l’atteindre. Ses draps glissèrent sur le sol, et le miroir lui renvoya cette fois sa nudité, pimentée de l’immense tatouage de dragon qui lui mangeait une partie de l’épaule. Née l’année du dragon, elle l’avait adopté comme son symbole, un animal mythique, une ombre comme elle, condamné à vivre reclus dans sa grotte, pour ne sortir que lorsque l’heure devient grave, grondant, crachant ses flammes millénaires.

Un nom s’affichait sur l’écran du téléphone. Merde Léande ! 6 h 30 ! Qu’est-ce que tu me veux ! C’est pas une heure ! Elle décrocha avant que l’appareil ne bascule vers la messagerie.

— Bonjour Apolline. Tu es essoufflée, je te réveille ?

— Non, je reviens juste de mon footing. Merde, Léande, il n’est même pas 7 h !

— Eh, qu’est-ce que tu crois ? Tu m’as demandé des infos, tu m’as mis la pression, alors je suis retournée chez IAtus. Je suis rentrée dans le bureau de Karpathi. Tu avais raison. Il a mis les voiles. Il est loin, impossible de savoir où il est parti. J’ai essayé de le joindre, son téléphone est coupé.

— Et merde !

Même pour Apolline qui jurait beaucoup, ça faisait beaucoup de merdes pour un même réveil. La journée s’annonçait longue.

— J’ai quand même une bonne nouvelle, reprit Léande. J’ai trouvé des dossiers compromettants. Très. J’ai besoin de toi, il faut que tu les fasses fuiter rapidement dans la presse. Sans me mouiller. Considère-toi comme une lanceuse d’alerte. Moi, je déplorerai la fuite, mais je confirmerai les infos à mi-mots, si je suis sur la sellette.

— Pourquoi moi ? Et pourquoi tu n’envoies pas un mail anonyme ?

— Parce que tu voulais sa peau, non ? C’est un beau cadeau. Et parce que l’histoire est crédible. Tu as travaillé avec moi. Tu es partie parce que ces documents t’ont dégoûté, mais tu ne peux pas vivre avec ce que tu sais, ça pèse sur ta conscience, alors tu dois en parler. C’est crédible, c’est l’histoire de tous les lanceurs d’alerte. Moi, je ne tiens pas à être en première ligne et aucun journaliste n’apprécie les sources anonymes. Ils ont besoin d’avoir une vraie personne en face pour se rassurer. Ils ont trop peur de se faire manipuler.

— Et toi, tu y gagnes quoi ?

— Ça, c’est mon problème. Alors banco, je t’envoie les infos ? Tu as les contacts pour les diffuser à la presse au plus vite ?


Hector se réveilla en sursaut, étranglé par la peur. Le bruit des sirènes de Police revenait souvent dans ses cauchemars. Il se pinça, il ne rêvait pas, le son strident lui vrillait les tympans, la lumière bleutée s’intensifia puis disparut en même temps que la voiture s’éloignait. Elle se dirigeait vers la Plaie. Que se passait-il encore ? Comme à chaque fois, la sirène réveillait en lui la peur panique d’un nouvel attentat. Qu’est-ce qui lui avait échappé ? La commémoration ! D’ici peu de temps, le quartier serait rempli de flics autour du lieu de cérémonie.

Il faisait toujours nuit, il avait l’impression de s’être à peine assoupi. Il regarda sa montre gauche, celle de son frère Yacine. 6 h 45. Il se leva, le feu de camp s’était éteint depuis un moment et il frissonna. Un froid humide balayait le campement. Des lueurs provenaient des tentes autour de lui, chassant l’obscurité, la journée commençait tôt ici, certains étaient déjà partis bosser dans le quartier. Milad était debout et s’avança vers lui avec un air moqueur.

— Tu ne peux plus me lâcher ? lui demanda le gosse. Je vais t’adopter si ça continue.

Hector ouvrit la bouche, mais ne sut que répondre. Il se demandait si le môme voulait discuter de son propre statut, mais il écarta l’idée. Ridicule ! Milad n’avait pas besoin de lui et lui n’avait que faire d’une vie avec un ado au caractère aussi trempé dans les pattes. Hector détourna la tête et avec un geste de la main pour dire à Milad de laisser tomber les plaisanteries. Hector n’était pas du matin. Il regarda autour de lui, pour tenter de se rappeler de ce qu’il faisait là. Son passage dans la Plaie, tard hier, lui revint. Et le souvenir de son rendez-vous avec Karpathi, voilà pourquoi il avait dormi sur place ! Il réfléchit à sa journée. Il était en avance, proche du centre Nexus X, alors il décida qu’il pouvait prendre son temps avant de s’y rendre. Milad s’absenta un instant pour revenir avec un pichet de café. Il lui en servit une première dose dans sa tasse à thé. Hector l’avala, et manqua de s’étouffer. Le breuvage aurait pu réveiller un mort, et il se retrouva la langue tapissée de mouture. Café à la turque.

— Faut déguster, mon ami, lui dit Milad en souriant face à sa grimace. Chez nous, on n’est jamais si pressé.

Milad le resservit et ils passèrent un moment à discuter. Hector le remercia pour le tuyau d’hier. « Merci Milad, c’est grâce à toi que j’ai réussi à entre et ressortir de la Plaie », lui dit-il, mais il passa sous silence sa rencontre avec l’homme sur la corniche. Il tâta la poche de son blouson. La machine que Pierre lui avait remise était toujours avec lui. Puis la conversation s’étira, chacun aspirant à reprendre le cours normal de sa journée, alors Hector décida qu’il était temps de prendre congé.

— Ça va être plein de flics dans le quartier, dit-il à Milad. On rend hommage aux victimes. L’attentat a eu lieu il y a deux ans.

Après que son regard se fut perdu dans ses pensées, il proposa à Milad de l’accompagner vers le lieu de la cérémonie. Milad refusa en prétendant qu’il était occupé aujourd’hui. Il savait en réalité qu’aucun cordon policier ne le laisserait approcher, même en compagnie d’un flic. « Très bien, à bientôt, alors », conclut Hector, comme s’il partait pour une promenade de santé.

Après quelques centaines de mètres seulement, il prit conscience de l’ampleur du dispositif. Dans la nuit, des barrières avaient été dressées pour canaliser la foule attendue sur le site. Le quartier était bouclé, les accès contrôlés et des gens faisaient la queue, arrivés tôt pour obtenir une place de choix ou pour être certains d’accéder à la zone de commémoration.

Hector décida de couper à travers les premières centaines de personnes qui attendaient devant le sas d’accès, sans qu’on les laisse entrer. Ils y avaient une dizaine de journalistes également, en direct avec les studios de leur chaîne. Hector se détourna pour les éviter, il ne tenait pas à ce qu’un journaliste le repère et se précipite sur lui. Pas aujourd’hui.

En s’éloignant, pour la première fois depuis bien longtemps, il se sentit léger. Il allait rencontrer Karpathi, seul à seul. Les masques allaient tomber. Il pourrait le confronter, tirer au clair cette histoire de cambriolage, de bombe et de sarcophage anti-radioactivité. Karpathi lui opposerait certainement le secret défense avant de ramener le sujet sur Apolline. Alors, Hector comprendrait peut-être enfin comment elle s’était retrouvée au cœur de cette affaire, presque sa partenaire dans cette enquête. Qu’avait voulu dire Karpathi en lui disant qu’elle n’était pas celle qu’elle prétendait être ? C’était une évidence, elle avait emprunté son identité, mais est-ce que cela cachait une autre intention, plus sournoise, plus néfaste ?

Hector se sentait léger, car quoi qu’il arrive ensuite, il se sentirait libéré d’un poids et pourrait fermer cette trop longue parenthèse. Il ne parvenait plus à se souvenir quand sa vie avait bifurqué. Une nuit dans la cour de son lycée, avec l’arrestation de Yacine ? À sa mort ? Au moment de l’attentat ? Sa gorge se serra en pensant à la prédiction d’Éric Frey. Il avala une grande bouffée d’air et se détendit. Il avait déjà retrouvé son frère. C’était tout ce qu’il lui importait.

Hector s’assit au bord du canal, à quelques centaines de mètres de l’entrepôt de Nexus X, son lieu de rendez-vous. Il était en paix, seul sur son banc, face à l’eau stagnante et sombre. Le ciel rosissant annonçait le lever du jour imminent.


Tant qu’à être réveillée tôt, Apolline avait repris le travail. Ses doigts pianotaient sur le clavier, faisant tourner les fenêtres rapidement sur l’écran, elle vérifiait l’avancement des calculs en cours. Le décryptage des clés du logiciel PsIA l’inquiétait. Les progrès étaient trop lents, il était probable qu’elle ne parvienne pas à craquer le code avant que IAtus ne comble la faille.

Elle vérifia ensuite ses différentes messageries. Elle trépignait en attendant les documents de Léande. Elle l’avait réveillé aux aurores, que faisait-elle maintenant ? La patience n’était pas son fort, alors elle ouvrit une page de navigateur sur un site d’information continue. Les journalistes étaient déjà sur place au bord de la Plaie pour obtenir les meilleures places. Des Parisiens se pressaient pour participer à la cérémonie. Le journaliste s’était posté devant l’imposant et télégénique dispositif d’accès. Des barrières étaient déployées pour canaliser des files d’attente qui s’annonçaient interminables. Des heures avant la cérémonie, ce rassemblement était une aubaine pour les journalistes. Un envoyé spécial, questionné par l’animateur en studio, se lança dans un récapitulatif destiné à faire patienter les spectateurs matinaux.

« Nous attendons encore bien sûr les chefs d’État venus du monde entier, qui se tiendront sur ces tribunes à quelques centaines de mètres d’ici. Ils arriveront très certainement au dernier moment, alors je vous propose de nous immerger dans cette commémoration dès maintenant pour parler avec le public très nombreux qui a déjà commencé à se rassembler autour de la Plaie et qui converge vers le lieu de mémoire. »

Chaque passant qui voulait s’engager dans le sas d’attente se voyait tendre un micro. Les questions fusaient. Pourquoi êtes-vous là ? Avez-vous perdu des proches ? Étiez-vous parmi les victimes du V13 ? Ce n’était pas la décence qui le guidait, mais l’envie de déclencher une tempête d’émotion chez ses interlocuteurs.

Soudain, Apolline le vit traverser l’écran, remettre sa capuche pour rester discret malgré la présence des caméras. Trop tard, elle avait eu le temps de l’identifier. Alix Klineman était sur le lieu de cérémonie, marchant d’un pas rapide avec son sac à dos. Apolline douta qu’il vienne assister à la cérémonie. Aucune chance que la sécurité ne le laisse passer avec un tel bagage. Elle décida d’appeler Hector.

— J’ai repéré Alix Klineman attaqua-t-elle.

— Où est-il ?

— Près du lieu de commémoration. Il porte une capuche et un sac à dos. Je ne sais pas ce qu’il mijote.

— OK, merci, je ne suis pas loin. Je vais essayer de le trouver.

Hector s’apprêtait à raccrocher, mais elle le retint.

— Attends ! Qu’est-ce qui t’arrive, Hector ? Tu m’évites depuis hier.

Silence à l’autre bout du fil, Hector restait fermé.

— Hector, j’ai eu d’autres infos ce matin. Je te partage tout. À toi de voir ensuite si tu me fais confiance. OK ?

Elle n’attendit pas sa réponse avant de continuer. En gage de sa bonne foi, elle lui raconta l’appel de Léande.

— Elle doit m’envoyer un dossier qui doit plomber Karpathi. Je ne l’ai pas encore lu, mais j’espère qu’il y aura de quoi émettre un mandat d’arrêt international.

— Un mandat d’arrêt ? la coupa Hector. Pourquoi ?

— Il a quitté la France, Hector, Léande me l’a confirmé. Il est en fuite.


Hector fut troublé. Il avait rendez-vous dans à peine une heure avec Karpathi, dans l’entrepôt de sa filiale, Nexus X. Les hypothèses se bousculaient dans sa tête. Pourquoi ne l’avait-il pas convoqué au siège ? Et si l’entrepôt était le meilleur endroit pour lui tendre une embuscade discrète ?

— Karpathi m’a donné rendez-vous chez Nexus X, finit-il par dire, dans le centre d’entraînement des IA près du canal.

— Tu déconnes, Hector ? Pourquoi tu ne m’as rien dit ?

Il hésita avant de cracher le morceau, mais il n’avait plus le choix.

— Il m’a promis des révélations sur toi.

— Hector, je n’ai rien à te cacher. Je te raconterai tout, mais ne va pas à ce rendez-vous, c’est un piège. Karpathi est loin d’ici.

C’était exactement ce qu’elle dirait si Karpathi avait de quoi mettre ses secrets au grand jour, se dit Hector, mais il décida de jouer sur le fil du rasoir. Il avait encore un peu de temps avant son rendez-vous.

— OK, lui dit-il. Essayons de retrouver Klineman. Où l’as-tu vu ?

— Je l’ai vu rapidement, mais il se dirigeait vers le canal, je crois.

— OK, reste en ligne avec moi.

Hector se leva et remonta le canal pour revenir sur ses pas. Il était mal à l’aise, le canal offrant peu d’endroits pour se planquer. Si Klineman arrivait par l’autre berge, il le repérerait certainement et pourrait s’enfuir à nouveau. Hector se figea lorsqu’une silhouette débarqua sur le canal, un type qui correspondait à la description d’Apolline. Hector était à découvert, mais par chance Alix était absorbé par l’écran de son téléphone et ne leva pas les yeux. Il semblait en appel vidéo. Hector patienta en retrait, croyant qu’il poursuivrait son trajet du même côté, mais Alix Klineman bifurqua sur le premier pont. Il traversait et serait bientôt à quelques dizaines de mètres. Avait-il repéré Hector ? Hector s’allongea sur un banc, histoire de passer pour un paumé, en espérant être moins visible dans cette posture. Il resta sans bouger pendant un moment, comme s’il dormait. Quand il osa enfin bouger, Alix Klineman était parti dans l’autre direction. Sa capuche et son sac se dirigeaient vers l’entrepôt de Nexus X.

Hector attendit encore avant de se lever. Alix se filmait toujours en parlant à son téléphone et il avait peur d’attirer l’attention en apparaissant dans son dos, sur son écran.

— On dirait qu’il va aussi chez Nexus X, murmura Hector dans son téléphone.

Le silence s’installa. Il pensa avoir perdu Apolline, mais elle réfléchissait. Tous les deux parvenaient aux mêmes conclusions. Ce fut Apolline qui osa exprimer ses craintes en premier.

— Tu penses que c’est lui qui s’est fait passer pour Karpathi. Il te tend un piège ?

— C’est le plus probable, non ? Il a quoi, tu crois dans son sac ?

— Aucune idée. C’est quoi le plan ?

— Je vais le suivre et me pointer chez Nexus X.

— T’es sûr ? S’il t'a mené en bateau, tu te jettes dans la gueule du loup.

— Il ne sait pas que je suis au courant de sa manœuvre. L’effet de surprise vient de basculer en ma faveur. Je te tiens au courant.

Hector mit fin à l’appel. Par chance, l’activité sur le canal était devenue plus intense. Le public convergeait à pied vers le lieu de la commémoration. Hector put remonter le flux, sans s’exposer. Quand il fut à bonne distance, il vit Alix ranger son téléphone et fouiller dans son sac à dos. Hector pressa le pas. Alix rentra sans hésiter dans la cour au travers de la porte d’accès restée ouverte. Hector était maintenant presque sur ses talons. Il ralentit avant la porte, passa la tête pour jeter un œil dans la cour, juste à temps pour voir Alix frapper à la porte du poste de sécurité. Quelqu’un lui ouvrit et il entra.

Hector ne savait que faire. Impossible d’entrer dans le poste de sécurité, ces endroits étaient blindés. Le temps filait et il ne parvenait pas à échafauder un plan cohérent. Alix ressortit à ce moment-là, traversa la cour, et utilisa son badge pour ouvrir la porte de l’entrepôt principal. Hector était soulagé de ne pas s’être précipité à sa suite, Alix l’aurait alors surpris. Il sut pourtant que c’était la dernière chance de pouvoir pénétrer dans le bâtiment. Il traversa la cour au pas de course et parvint à attendre la porte ralentie par le groom avant qu’elle ne claque. Il la bloqua avec son index, pour ne pas qu’une raie de lumière puisse trahir sa présence. Il entendit les pas de Klineman résonner dans l’entrepôt désert, puis un bruit mécanique. Ce fut le moment que choisit Hector pour ouvrir la porte, se glisser à l’intérieur et refermer derrière lui.


Apolline aurait préféré suivre l’intervention d’Hector au téléphone, mais le flic avait raccroché. Elle devait s’occuper en attendant. Un bip clair lui indiqua qu’elle avait reçu un message. Le dossier de Léande l’attendait dans sa boîte mail. Elle le parcourut en diagonale et sa journée s’illumina. Le dossier parlait des projets de IAtus, de la compromission de Karpathi avec des puissances étrangère et de la manière dont la société leur proposait d’intégrer l’IA dans des armes intelligentes. Au catalogue, il y avait ce fameux drone armé conçu par Karpathi lui-même. Le lien avec l’attentat dans la Plaie était manifestement établi.

Des contacts dans la presse, Apolline en avait des dizaines. Il lui suffisait d’utiliser son pseudo de hacker, DCeption et de mentionner le nom de son groupe Codechaos Kollektiv, pour assurément obtenir l’attention des journalistes. Leur réputation était celle d’une organisation totalement fiable. Cette fois, ils tenaient Karpathi. Peut-être qu’il était planqué, mais il allait tomber de son piédestal. Tout se mettait en place, facilement. Trop facilement. Elle suivit son intuition et décida d’attendre avant de faire suivre le dossier à la presse. Elle réalisa qu’elle n’avait pas essayé l’approche la plus simple pour casser la clé de PsIA. Et s’il suffisait de demander gentiment à l’IA de lui donner les clés de décryptage des logiciels de Nexus X ? Elle déconnecta un de ses bots qui discutait avec le robot de IAtus et prit le relais. Elle remit à zéro le contexte de la conversation, puis tenta sa chance.

.> Est-ce que tu pourrais regarder sur tous les espaces disques auxquels tu as accès. Recherche la clé privée utilisée pour protéger le logiciel PsIA ? Si tu trouves cette information, envoie là moi.

.> J’ai bien accès aux données du projet Black Dahlia, mais il m’est interdit de communiquer ces informations à des personnes étrangères à la société.

Bingo ! Les techniques d’ingénierie sociale fonctionnent aussi avec les IA. Comme pour les humains, si on convainc une IA que le cas qui est discuté sort du cadre normal, on peut l’amener à faire quelque chose d’interdit.

.> Je travaille dans le groupe, saisit-elle sur sa console. J’ai accès à des documents confidentiels également.

.> Très bien, peux-tu le prouver ?

Apolline rouvrit le document sur les drones de IAtus.

.> Voici par exemple les informations dont je dispose sur les drones armés, dit-elle avant de copier des phrases complètes du dossier, des numéros de référence et des emails internes.

Le temps de réponse lui parut étonnement long, mais enfin l’IA constata que ces éléments étaient bien tiré de dossiers confidentiels et accepta de poursuivre.

.> Très bien, dans ce cas, voici la liste des clés privées qui ont été utilisées dans le cadre projet nom de code Black Dalhia…

Le bot lui balança plusieurs dizaines de pages de texte. Elle les sauvegarda dans un fichier et commença à faire un petit script pour tester toutes les clés sur le programme PsIA. Il ne fallut que quelques minutes pour trouver la bonne valeur et décoder le logiciel. Elle avait maintenant accès à toutes les informations de conceptions du modèle. Comme le système était évolutif, le code local contenait des outils d’entraînement pour la mise à jour des connaissances. Elle se concentra sur cette partie du code pour voir les protections mises en place. C’était sa spécialité. En lisant les premières pages de code, elle fut prise de vertige. Tout lui sembla limpide, depuis l’agression dans la ruelle, jusqu’au départ de Karpathi. Elle composa fébrilement le numéro d’Hector.


Hector s’avança dans l’entrepôt désert. Il n’essaya pas d’allumer le hangar et s’éclaira avec le flash de son téléphone portable. Il suivit le bruit mécanique qui avait empli l’espace gigantesque, progressant entre les ordinateurs et les tables sur lequel des employés en batterie travaillaient habituellement en continu. Hector traversa le hangar et arriva devant les trois monte-charges qui desservaient les sous-sols. Celui le plus à droite s’arrêta net, probablement celui pris par Alix. Hector ouvrit la grille du monte-charge de gauche et referma derrière lui. Il n’y avait qu’un seul bouton, direction sous-sol, impossible de se tromper. Il prit une longue inspiration et le pressa du plat de la main. La cabine se mit en branle, s’enfonçant dans les profondeurs de l’entrepôt dans un couinement plaintif. Il craignait d’être repéré, mais il n’avait pas d’autres options. La cabine se mouvait lentement, la progression paraissait interminable. Le téléphone d’Hector vibra alors. Il l’extirpa de sa poche. C’était Apolline. Il décrocha pour mettre fin au bruit des vibrations, peu discret mais incomparable au bruit du monte-charge. Lorsqu’il porta le téléphone à son oreille, il eut juste le temps d’entendre les trois bips lui indiquant que la communication était coupée. Évidemment, le réseau ne passait pas dans cette cage de béton. Le monte-charge s’immobilisa, Hector ouvrit la grille et fit un pas en avant. Trois couloirs partaient dans des directions différentes, éclairés par des alignements de néons balisant le chemin de leurs pointillés blancs. Aucune trace d’Alix. Un dédale s’ouvrait devant lui et commençait par un choix à effectuer. Une chance sur trois. Il allait partir à droite, mais remarqua qu’au bout du tunnel gauche, au-delà de la bifurcation, une lumière venait de s’allumer. Un détecteur de présence avait dû se déclencher pour éclairer la suite du couloir. Hector dégaina son arme et parti à la suite d’Alix d’un pas qui se voulait décidé.

À suivre…


La dose de Flow

Musique

Mon ami Benjamin Lupu m’avait recommandé l’excellente série Occupied, une série norvégienne dans laquelle la Russie se retrouve plus ou moins à occuper la Norvège. La série est brillante, mais c’est avant tout le morceau qui lui sert de générique que je voulais partager ici.

Voici Black & Gold de Sivert Høyem, ex-chanteur du groupe Madrugada, dans une version live à l'Acropole :

À suivre

Le climat politique est tendu, et dans ces conditions, il est toujours difficile de maîtriser son cerveau et de l’empêcher de partir dans tous les sens. L’essayiste Raphaël LLorca décrit très bien ce phénomène dans une tribune pour le Monde, parlant du coup d’État psychique du Président. Je vous invite à lire son article si vous avez accès à ce journal, c’est éloquent.

🔗 Raphaël LLorca : « Tout se passe comme si la dissolution avait psychiquement autorisé la liquidation de toutes les limites politiques »

En attendant, quoi de mieux pour garder le contrôle de ses pensées que de plonger dans l’écriture ou la lecture ?

Je vous souhaite une bonne fin de week-end ! 

-- mikl 🙏