Adapter la société à un monde d’algorithmes – Le Flow#218

Où je vous parle de notre capacité d’adaptation, des compétences à développer face à l’IA, et du groupe Silmaris.


Newsletter   •   27 octobre 2024

Hello les amies,

Si vous avez lu mes précédentes lettres, vous avez sûrement perçu ma lutte intérieure face pour arriver à trouver l’énergie et la ressource nécessaire pour m’attaquer à cette montagne de mots que constitue mon premier jet. La tentation d’attaquer directement un nouveau projet était forte. Pourtant, cette fois, j’ai une bonne nouvelle : ça avance ! Les ajustements sur les premiers chapitres améliorent vraiment mon roman, et cette progression me donne la motivation nécessaire pour poursuivre l’effort. C’est un vrai cercle vertueux !

Mon objectif est désormais de finaliser cette phase d’ici fin novembre et d’envoyer le texte aux éditeurs dans la foulée.

En parallèle, je poursuis ma série d’essais sur l’intelligence artificielle, en explorant cette fois notre capacité d’adaptation et les compétences à développer dans un monde d’IA.

Bonne lecture !


Adapter la société à un monde d’algorithmes

ou les compétences à développer face aux IA

La question souvent posée concernant l’IA est la suivante : « Faut-il utiliser les IA génératives ? » Cette interrogation n’est pas neutre ; elle est teintée d’un parti pris qui vous pousse à choisir un camp. Du « faut-il », nous glissons vite vers « allez-vous utiliser l’IA ? », avec en sous-texte « cautionnez-vous le processus capitalistique qui a permis leur émergence ? »

Mais cette question est biaisée : elle sous-entend que nous aurons toujours le choix dans tous les domaines de notre vie. Prenez par exemple les récentes déclarations du PDG d’Adobe. L’éditeur des célèbres logiciels de création, dont Photoshop, a affirmé la semaine dernière que ceux qui refuseraient l’IA resteraient à la traîne dans leur métier de designer. Bien sûr, Adobe a intérêt à rentabiliser ses investissements dans l’IA, mais le message a le mérite d’être clair : l’IA va s’intégrer à leurs outils, brouillant la frontière entre le travail créatif humain et l’automatisation. Dans un secteur où l’on vend son talent, mais aussi son temps, la pression concurrentielle finira par pousser ceux qui résistent aujourd’hui à céder. Toute l’industrie souhaite présenter l’opposition à l’IA comme un combat d’arrière-garde.

Adobe execs say artists need to embrace AI or get left behind
“People will either agree with that conviction or they won’.”

Alors, faut-il céder et passer au tout IA ? Bien sûr que non. Je n’utilise pas l’IA pour écrire mes textes, car j’y prends plaisir, et en les écrivant, je développe des compétences variées. Pourtant, je m’en sers parfois au boulot, notamment pour corriger l’orthographe et la syntaxe ; j’écris en anglais, et l’IA m’aide à donner une touche plus « native » à mes textes, en fluidifiant certains passages.

Notre relation à l’IA est ainsi ambiguë : à la fois outil et concurrent, elle rappelle le processus d’automatisation des usines, avec une chaîne de production à la fois auxiliaire et rival direct de l’opérateur humain. Je ne dis pas qu’il faut rendre les armes, céder à la tentation des IA, bien au contraire, je pense qu’il faut développer une résistance face à l’algorithmisation du monde.

Pour résister, il faut d’abord survivre et se démarquer dans un monde où l’IA s’impose et où la pression pour l’utiliser ne fera que croître. Sans fatalisme, je me suis posé cette question : comment rester humain dans un monde d’IA ? Comment cultiver notre singularité et quelles compétences devons-nous développer ?

Lorsqu’on interagit avec l’IA, que ce soit comme utilisateur direct ou comme consommateur d’un contenu produit par IA, il faut être conscient de son fonctionnement et ses limites. Par exemple, admettons que les algorithmes de génération de textes comme ChatGPT peuvent être corrects environ 80 % du temps. Cela signifie qu’ils peuvent nous être utiles dans quatre cas sur cinq – c’est énorme, non ? Mais attention, cette fiabilité est une moyenne : sur certaines tâches, certains objectifs, l’IA ne pourra jamais nous être d’une grande aide. Sur d’autres sujets, en revanche, sa pertinence peut dépasser les 95 %.

Qu’est-ce que cela implique pour nous, en tant qu’humains ? Que la compétence la plus précieuse à développer est notre capacité à repérer les erreurs, les anomalies, les incohérences, mais aussi notre capacité à ressentir quand l'IA sera pertinente et quand son usage sera une perte de temps. Cela suppose de développer une compréhension fine du monde et de continuellement affiner notre modèle mental. L’IA, purement statistique, ne comprend pas vraiment ; notre force réside dans notre compréhension et notre vision.

L’IA peut être un outil précieux, une sorte de mémoire ou de base de données à interroger pour raviver nos connaissances et rafraîchir notre contexte de réflexion, mais ce n’est pas un substitut aux connaissances, au contraire, il nous faut développer une logique sans faille dans la compréhension du monde, sinon comment détecterons-nous les erreurs de l’IA.

Par exemple, l’IA m’aide à rafraîchir mes connaissances techniques en CSS (un langage de mise en forme Web), mais ne me permet de faire l’impasse sur le sujet. J’ai besoin de connaître le domaine pour formuler la question correctement, comprendre les erreurs et pallier aux insuffisances des résultats proposés.

Le triomphe des généralistes face aux spécialistes

Ceux qui tireront le meilleur parti de l’IA seront donc les plus curieux, capables d’apprendre et d’assimiler des compétences dans de multiples domaines. Grâce à elle, ils pourront être pertinents dans des domaines qu’ils ne maîtrisent pas parfaitement, et l’IA leur permettra d’accéder rapidement à des informations mobilisables complémentaires.

L’IA représente une menace pour les jeunes employés et les juniors en entreprise. Sans une politique volontariste, les entreprises pourraient sacrifier leur avenir en privilégiant des gains à court terme. L’industrie du cinéma, par exemple, compromet son futur en privant les jeunes scénaristes d’une véritable formation pratique. Les juniors, isolés dans des « mini-pools » de scénaristes, n’ont plus accès au tournage et ne développent pas les compétences nécessaires pour devenir showrunners. George R.R. Martin, l'auteur de Game of Throne en parle très bien:

Writers On Set | Not a Blog

En entreprise, la logique est similaire. L’IA requiert sens critique et expérience ; elle est ainsi mieux adaptée à remplacer des postes juniors, des stagiaires ou alternants. À terme, les entreprises risquent d’hypothéquer l’avenir de professions guidées par l’appât du gain à court terme, en renonçant à construire l’avenir de leur profession. George R.R. Martin souligne cet impact dans l’industrie du cinéma, mais cela touche aussi le métier d’avocat, par exemple.

Les débuts de carrière vont devenir plus difficiles, de la quête du premier poste à la montée en compétence. Cependant, les profils juniors ne seront pas les seuls touchés. Les experts sont également sur la sellette face à des généralistes qui, à l’aise avec plusieurs compétences, pourront utiliser leur compréhension générale d’un domaine et leur outillage cognitifs pour utiliser l’IA. Elle leur permettra d’aller chercher les éléments d’expertise manquants, de rafraîchir leur connaissance et de naviguer dans un domaine d’expertise pointue en s’appuyant sur leurs points forts pour repérer les biais et les erreurs.

Dans le domaine de l’imagerie médicale, les algorithmes sont déjà capables de détecter des anomalies mieux que certains spécialistes. Le secteur médical va changer. Grâce à une démocratisation de l’expertise algorithmique, une nouvelle classe de médecins pourra émerger, plus généraliste, holistique, capable de prendre en compte un contexte plus large.

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En somme, ce dont nous avons besoin, c’est d’une révolution éducative, d’un bouleversement de la formation et de l’évaluation. Face à l’IA, nous n’avons pas besoin d’un « choc de savoir » – ce concept est trop flou. D'ailleurs, quand un ministre de l’éducation parle de choc des savoirs, de quoi parle-t-il ? En lisant les articles sur le sujet, on s’aperçoit vite qu’il ne change pas la logique de l’enseignement public, mais souhaite accroitre le niveau sans changer de référentiel.

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Nouveaux programmes en primaire, groupes de niveaux au collège, accès au lycée conditionné à l’obtention du brevet… Le ministre de l’éducation nationale égrène ce mardi 5 décembre une série de mesures à mettre en œuvre à la rentrée 2024, qui dessine une réforme d’ampleur du système éducatif.

Abdiquer face aux algorithmes, c’est confier à des machines l’éducation de nos enfants, alors que c’est au contraire à nous, humains, d’éduquer l’IA et de la plier à notre vision du monde.

Nous avons besoin d’un choc de compréhension, un choc d’humanité et de capacité d’écoute. Nous devons aider les jeunes à construire leur vision du monde, propre à chacun, qu’on y adhère ou pas, peu importe.

C'est une chance, car il se trouve que la confrontation rationnelle et argumentée de projets est bonne pour la démocratie. Les problèmes de la politique, aujourd’hui, ne viennent ni des désaccords ni du débat, mais de l’absence de vision, de l’absence d’implication, de l’absence de projection dans ce que devrait être le monde de demain.

Le monde crève sous la polémique qu’on déguise en politique, alors que la politique, la vrai, celle qui pense la Cité et le quotidien citoyen avant de chercher à imposer sa vision du monde n’attend que notre humanité, notre intelligence et notre engagement pour renaître.


La dose de Flow

Musique

Silmarils, groupe culte de rock fusion français, revient avec Apocalypto. L’album, produit par Richard « Segal » Huredia (qui a travaillé avec Eminem et Green Day), reste fidèle à leur style rap-rock incisif. Silmarils, souvenez-vous, le groupe avait percé en 2000 avec le morceau « Va y avoir du sport ». Le premier morceau, « Welcome to America », donne le ton, puissant, engagé et énervé à souhait, pour un album que j’ai plaisir à écouter.

À suivre

Je sais que beaucoup d’entre vous attendent la version finale de La Plaie pour se plonger dedans, et certains même l’exemplaire papier. Ça vient, mais c’est l’occasion de voir à quel point le processus éditorial est un véritable marathon, voire un Iron Man, et qu’il faut s’accrocher pour un jour voir le livre en librairie. Pour moi, c’est le travail d’auteur qui rentre, et je dois dire que je suis content d’avoir trouvé mon rythme dans les corrections (toujours trop lentes à mon goût, mais bon).

En attendant la suite de mes aventures littéraires, je vous souhaite une merveilleuse semaine !

-- mikl 🙏