La Plaie - Épisode 22 – Le Flow #178

Où je vous présente l’épisode 22 de la Plaie, « Milad », et vous parle de Larkin Poe.


Newsletter   •   14 octobre 2023

Hello les amies,

Difficile de rentrer de Toscane, c’est un peu un arrachement. Mais nous revoici à Paris avec Hector. Un retour n’est jamais facile…

Pour lire le début du roman, c’est par ici :

Bonne lecture !


La Plaie - Épisode 22

Milad

Le silence était retombé sur la nuit de Toscane. Hector s’était tu, aride, la gorge sèche de son long monologue. Il avala la dernière gorgée au fond de son verre. Cul-sec. La brûlure de l’alcool lui arracha une grimace.

D’une voix à peine audible, douce, Vitale brisa le charme, comme s’il entrait dans une pièce sur la pointe des pieds.

— Il est devenu quoi, ton frère ?

— Il est mort, plus tard. Je crois pourtant que c’est ce soir-là que je l’ai perdu. Un truc s’est brisé. Un lien, une connexion invisible. Je me demande qui était l’ange gardien, qui devait prendre soin de l’autre. Peut-être que j’ai merdé, qu’il avait aussi besoin de mon aide. Et je l’ai abandonné à son sort d’ange déchu.

Vitale remarqua que les mains d’Hector étaient crispées, les doigts serrés autour d’une des deux montres à ses poignets.

— Tes deux montres, elles sont d’époque ? C’était les vôtres ?

— Oui, mon père a réparé la mienne. Il m’a donné celle de Yacine après son décès.

Le regard d’Hector flottait dans un ailleurs, triste et heureux. Il errait au rythme du battement régulier de l’aiguille des secondes. Une infime vibration, c’était tout ce qui le rattachait encore à son frère. Lorsqu’il se tourna vers Vitale, il était revenu en Italie.

— Fais gaffe, Vitale, quand tu parles d’ange gardien. C’est trop lourd à porter. On est pote, ça me va. On est là l’un pour l’autre. Potes, juste potes, c’est déjà pas mal, non ?

Sans se resservir, il leva son verre vide. Il pensait au Bataclan et à ce qu’il lui devait. Vitale l’accompagna dans son geste.

— Amen, mon pote !


Le lendemain fut teinté de la nostalgie des jours de retour. Hector se leva tôt pour que Vitale le dépose à la gare. Lui et sa famille partiraient plus tard, dans une voiture pleine à craquer.

Le soleil était à peine levé, mais Massimo l’attendait sur le seuil de sa chambre, en pyjama, les yeux ensommeillés. L’enfant vint se lover dans les bras d’Hector. Il ne quittait plus la fronde qu’ils avaient fabriquée, elle pendait toujours au bout de son bras. Hector la sentit derrière sa nuque alors qu’il l’étreignait en le soulevant du sol. Lorsqu’il le reposa à terre, Massimo lui tendit son lance-pierre.

— Tiens, c’est un cadeau.

Hector vit dans le regard satisfait de son père qu’il avait suggéré ce don. Il préférait qu’il ne joue pas trop avec à Paris.

— Tu es sûr ? Tu l’aimes tellement, tenta Hector.

— C’est pour toi, fut tout ce que le gosse put répondre. Tu reviendras l’année prochaine ?

En acceptant le présent de Massimo, il lui fit la promesse de se retrouver dans un an. Leur pacte effaça l’ombre sur le visage du môme. Il avait déjà oublié la fronde. Sans Hector à ses côtés pour l’aider et applaudir à ses réussites, elle avait le goût amer d’un bonheur passé. Une page s’était tournée dans sa vie d’enfant. Dans sa tête, il était déjà à Paris, de retour à l’école.

Hector remercia Élise et jeta un dernier regard à la maison de famille dans laquelle il avait été accueilli comme un frère. Le trajet vers la gare se fit en silence, ils n’avaient rien à ajouter. Vitale le laissa à la dépose-minute et ouvrit la fenêtre de la voiture pour le saluer.

— Et n’oublie pas, tu dois dénicher un costard. On se revoit pour la remise de médaille ! lui lança-t-il en démarrant.

Le reste du voyage fut paisible. Hector alterna entre lectures et rêverie, absorbé par le paysage qui défilait par la fenêtre du train. La Toscane s’éloignait, il allait retrouver la Plaie.


Son prof de science-nat l’avait rabâché, la nature a horreur du vide. L’évolution de Paris était en ce sens un cas d’étude.

Hector était arrivé à la Gare de Lyon en fin de journée, avant le coucher du soleil. Il décida de rentrer à pied pour profiter de la lumière. L’idée de prendre le métro le déprimait, après trois semaines passés à l’air libre, à noyer son regard dans un horizon dégagé.

Depuis la Gare de Lyon, il fit un détour en longeant la Seine, puis traversa le Marais, en passant par la place des Vosges. Trop proche de la Plaie, le quartier autrefois chic, n’était plus que l’ombre de lui même. Les bars et les boutiques avaient déserté la zone. Il s’attendait à trouver un Paris abandonné, à marcher seuls dans des rues désertes, mais la nature a horreur du vide. Après l’explosion, beaucoup d’habitants avaient quitté la capitale, rapidement remplacés par des ouvriers qui cherchaient des loyers abordables. Ce vieux quartier de Paris était devenu un lieu populaire et industrieux. Les ouvriers s’étaient organisés pour travailler sur place. Les anciennes boutiques désaffectées étaient devenues des ateliers, l’arrière dédié à la réparation de tout ce qui était récupérable. Les vitrines servaient de surfaces de vente pour les produits remis en état. Le Marais était devenu le temple de l’économie circulaire. En ce dimanche soir, les ateliers tournaient à plein régime. Hector s’arrêta un moment pour regarder deux types désosser des pièces d’électroménager. Il y a avait dans leurs gestes quelque chose d’apaisant, venu d’un autre temps. Sous un porche, il repéra une voiture sur des rails de levage. Un garage s’était installé dans une cour d’immeuble, un truc qui n’existait plus. À sa façon, un Paris d’une autre époque renaissait, prénumérique.

Alors qu’il quittait le Marais pour aborder le boulevard Beaumarchais, des manufactures plus lourdes, industrielles et polluantes poussaient comme des champignons radioactifs. Des cheminées avaient été improvisées dans les arrière-cours pour évacuer les vapeurs et les fumées. Elles ne montaient pas assez haut et Hector devinait que les émanations stagnaient et retombaient dans le quartier juste derrière. Qu’est-ce qu’on y fabriquait ? Hector ne savait pas trop, on éliminait surtout, on brûlait, on se débarrassait des rebuts, de tout ce qui ne pouvait être recyclé.

Il chercha un chemin pour se détourner. La Plaie l’empêcherait de passer plus au nord. Il pouvait couper vers le canal. Une ruelle attira son attention. Un graff en ornait l’entrée, une œuvre récente de Miss.Tic. Il s’approcha. La signature de M.B. réveilla la douleur de la sinistre soirée durant laquelle Paris avait basculé. M.B., la nouvelle identité d’Alix Klineman. La peinture similaire était similaire à l’hommage dans la ruelle où il avait sauvé la femme. Est-ce qu’elle avait rejoint Alix et qu’ils squattaient avec d’autres artistes dans les immeubles désaffectés du quartier ? Il décida de couper par le réseau de ruelles qui s’étendait depuis le Marais jusqu’au canal.

L’ambiance changea subitement. Les bruits de la ville disparurent, étouffés par les bâtiments abandonnés. Dès le premier tournant, Hector se retrouva dans la pénombre. La nuit était maintenant tombée, l’éclairage public était défectueux, vandalisés. Il ralentit sa cadence pour donner à ses yeux le temps de s’habituer à l’obscurité. Il peinait à respirer. Les fumées des incinérateurs retombaient dans ce quartier et déposaient un smog épais et écœurant. Il buta sur quelque chose de mou. La chose roula sur le côté, dans un râle bestial. Le corps de l’homme allongé sur le sol se recroquevilla en ignorant Hector. À mesure qu’il avançait, sa progression se compliquait. Dans chaque ruelle, aussi loin que l’obscurité lui permettait de les distinguer, des corps se trouvaient étalés sur le sol, des hommes surtout, shootés, peut-être juste ivres morts. Un sifflement dans un porche capta son attention. Une femme au regard vide tentait d’attirer les rares hommes debout vers les halls d’immeubles. Hector l’ignora et reprit sa lente progression. Il se concentra sur ce qu’il cherchait, des signes de la présence de Miss.Tic et d’Alix. Il commençait à penser qu’il faisait fausse route lorsqu’il devina, au fond d’une impasse, une silhouette stylisée au pochoir caractéristique de l’artiste. Il hésita puis s’avança vers le fond de la ruelle. À mesure qu’il progressait, l’odeur devenait insupportable. Il fut pris à la gorge par les vapeurs fétide des excréments, une odeur de pisse dominait, les effluves âcres d’ammoniac lui brûlaient les poumons, se mélangeant à la fumée épaisse, presque solide. Le smog l’enveloppait, diminuait ses sens, l’aveuglait et étouffait tous les sons. C’est sûrement pour cela qu’il n’entendit pas l’ombre s’approcher. Arrivé au bout de la ruelle, face au tag, Hector fouilla dans sa poche pour trouver son téléphone. Lorsqu’il alluma le flash de l’appareil pour observer le graff, un type bondit sur lui. Hector sursauta, manqua de basculer sur le sol et se raccrocha de justesse à une gouttière rouillée. Il s’écorcha la main, mais son mouvement le sauva. Une seconde plus tard, il vit la lame briller et eut la sensation d’entendre un sifflement aigu, le mouvement rapide de son agresseur qui essayait de l’embrocher. Raté. L’homme se recomposa, observant sa victime, attendant le meilleur moment pour frapper. Il tenait le couteau, la pointe en avant, le tranchant vers le haut, prêt à le planter et lui ouvrir les entrailles de bas en haut. Hector tressaillit en voyant les traces de sang sur la lame. Il se pressa contre le mur dans son dos, qui lui rappela douloureusement qu’il ne pouvait plus reculer.

— Jack, laisse-le !

C’était la voix d’un enfant. Il avait surgi derrière l’agresseur pour le défier. L’homme pivota avec une vivacité étonnante, mais l’enfant était petit et encore plus agile. Il s’élança en zigzag et fila vers l’issue de la ruelle.

— Court ! eut-il le temps d’hurler.

Hector ne se fit pas prier. Il contourna l’homme en le bousculant. L’agresseur s’écroula lourdement sur le sol en beuglant. Hector entama un sprint à la suite du garçon, s’accrochant à sa connaissance parfaite des lieux. Le môme naviguait sans hésiter dans le dédale de ruelles. Il bondissait pour éviter les corps sur le sol, Hector était moins doué. Soudain, les éclairages publics l’éblouirent. Quand il arriva sur le boulevard dégagé, l’enfant l’avait distancé. Il disparut dans le camp de réfugiés qui s’était installé au-dessus du canal Saint-Martin, dans l’espace où il était couvert. Auparavant, la zone avait été un espace de jardin et de marché, une sorte d’oasis, un lieu étonnement ouvert dans un Paris ultradense.

Hector vérifia s’il était suivi. Personne. Les épaves qui hantaient le coupe-gorge ne s’aventuraient que rarement au-delà de ses limites. Il respira profondément l’air frais de la nuit. Il avait terminé sa traversée en apnée. C’est alors seulement qu’il remarqua la musique et la lumière chaude qui émergeait du camp. Intrigué, il s’approcha en contournant les tentes.

En ce dimanche soir, les migrants se mélangeaient au centre du campement, autour de ce qui était devenu la place de leur village. Un feu brûlait au centre du cercle qu’ils formaient. Des musiciens jouaient sur des instruments à cordes improvisés – ils sonnaient comme des guitares, d’autres utilisaient des bidons comme des percussions. Ceux qui s’étaient rassemblés autour chantaient, dansaient, certains plus réservés se tenaient à l’écart pour profiter de l’instant. Vétus de vêtement qui dataient probablement de leur départ, ils tournaient pieds nus. Tous semblaient avoir oublié la précarité de leur situation. Hector avait l’impression d’avoir quitté Paris, d’être transporté en Algérie, dans un coin perdu de Kabylie, dans l’une des fêtes de son enfance. Paris vibrait malgré la Plaie toute proche. Il fit une pause pour les observer, en se tenant à l’écart. Il voyait des nomades par nécessité. On les appelait migrants désormais pour feindre de croire qu'ils ne faisaient que passer, pour éviter de leur accorder le statut de réfugiés. Et il se laissa envoûter par le rythme de la musique et les chants lancinants. Un homme remarqua qu’il s’était arrêté pour écouter. Il attrapa un petit verre en Pyrex transparent, le rempli de thé fumant, et s’avança en tendant le breuvage. Hector hésita.

— Ne t’avise pas à refuser, l’ami. Je serais très vexé.
Ï
Hector s’inclina pour le remercier. Il parlait un français parfait avec un accent très léger.

— Vous venez d’où ?

— D’Afghanistan, dit-il, puis enchaîna face à la surprise d’Hector. Oui, il y a des vagues, des modes. La plupart des migrants viennent de Syrie ou d’Afrique, aujourd’hui. Nous, on ne cède pas aux modes que voulez-vous. Je dois être vieux jeu.

Hector sourit.

— Vieux jeu ? Où que vous avez appris cette expression ?

— Tu me croiras si je te disais que ma mère était française ? Elle est venue en Afghanistan, engagé dans l’humanitaire, elle est restée pour ce pays, dont elle est tombé amoureuse. Je dis ça, mais elle s’y est installé pour un homme surtout, mon père, qu’elle disait vieux jeu. C’était son expression favorite.

Hector avala une gorgée de thé brûlant.

— Et votre sens de l’accueil, dit-il en désignant les musiciens d’un mouvement de menton. Vous fêtez quoi ?

— Ça fait un an qu’on a quitté le pays. On a traversé des montagnes, beaucoup. On a eu de la chance de passer, d’autres groupes n’ont pas pu.

Son regard se perdit dans son verre vide. Le malaise conduit Hector à changer de sujet.

— Vous comptez rester à Paris ?

— Oui, tant qu’on ne nous chasse pas d’ici. On nous fout plutôt la paix maintenant. On ne gêne plus grand monde, les bobos se sont barrés, on a arrêté de nous harceler. On arrive à bosser dans les ateliers autour. On se rend utile, c’est plutôt inespéré. Si vous avez besoin d’aide, à votre service.

Il s’inclina, dans une courbette maniérée.

— De l’aide pour quoi ?

— On fait de tout. Des travaux, même du gros œuvre. Et parfois du sale boulot, conclut-il, l’index sur la bouche. Faut bien vivre. Demande Bijan, tout le monde me connaît ici.

Hector se rappela soudain de l’enfant qui l’avait aidé à se débarrasser de son agresseur. Il le chercha du regard et ne le vit pas parmi la foule qui célébrait autour du feu de camp. Il décida de partir à sa recherche, sans rien demander, de peur de déclencher une sanction. Le môme n’avait certainement pas le droit de traîner parmi les drogués. Hector rendit le verre à Bijan.

— J’y penserai. Pour les travaux. Merci pour le thé, Bijan.

Hector se fraya discrètement un chemin entre les tentes, pour sortir de l’autre côté du camp. Il en profita pour glisser des regards à l'intérieur des habitations de fortune. Rien. À mesure qu’il s’éloignait, les cris et les chants diminuaient. Sorti du camp, le calme était total. Il se crut d’abord seul, mais il repéra une frêle silhouette, celle d’un môme perché sur un jeu, dans ce qui était avant le jardin d’enfants.

L’enfant se tenait immobile, les yeux vers le ciel. Il avait bien sûr repéré Hector de loin, mais il ne chercha pas à s’enfuir. Hector s’approcha, le môme fit mine de l’ignorer. Il trônait au sommet d’une de ces pyramides en cordage rouge, comme au centre d’une grande toile d’araignée. Il se savait plus agile qu’Hector. S’il avait essayé de grimper pour l’attraper, il se serait enfui.

Hector se sentait d’humeur joueuse. Il voyait un peu de Massimo sous les traits de cet enfant et il eut envie de le taquiner. Il grimpa maladroitement sur la structure pour se rapprocher de lui, et s’assis sur une des cordes. Il fouilla dans sa poche et commença à faire tourner la fronde de Massimo entre ses doigts. Comme il l’avait prévu, l’enfant, curieux, s’intéressa à lui.

— Je m’appelle Hector, tenta-t-il.

Silence. L’enfant détourna ostensiblement la tête.

— Merci pour ton aide. Le type dans la ruelle, tu le connais ? Il s’appelle vraiment Jack ?

Il baissa bien vite sa garde, impatient de partager ce qu’il savait, comme un élève dont la réponse à la question du maître brûle les lèvres.

— Je le vois souvent, il traîne toujours par là. Il n’est pas toujours méchant. Jack ? dit-il en plissant le front. Oui, je pense que c’est son nom. En tout cas, tout le monde l’appelle comme ça, c’est ce que m’ont dit les autres types, ses potes, mais ils se foutent peut-être de moi.

Il parlait lentement, cherchant ses mots. Hector ne le brusqua pas. Il le vit s’agiter soudainement. Un petit bruit, un buzz rapide, comme le bruit d’un grillon sous cocaïne, emplit l’atmosphère. Des drones approchaient.

— Ils passent tous les jours, presque à la même heure. Souvent, ils m’ignorent, mais parfois, ils s’approchent.

Le môme s’excita à cette perspective. Hector ne les vit pas encore. Il se crispa en repensant aux drones du Bataclan.

— Fais attention, tu sais, ils peuvent être dangereux.

— T’as peur de tout, toi, ou quoi ? Je sais qu’ils peuvent tuer. J’en ai vu dans les montagnes, d’où je viens. Ils lâchaient des bombes.

Hector se mordit la lèvre et ravala sa gaffe. Il sauta au sol et chercha une pierre dans un pare-terre de fleur. Il en dénicha une de la bonne taille, extirpa la fronde de Massimo de son blouson, puis il fit ce qu’il aurait fait avec son frère s’il avait eu l’âge du môme. Il arma la fronde, se posta les jambes confortablement écartées et fléchit pour gagner en stabilité et en puissance et fit tournoyer son lance-pierre. Il était aux aguets. Il sentit que l’enfant l’observait désormais avec respect. La fronde ronronnait entre les doigts d’Hector. Il attendait de voir un des drones apparaître. Le môme retenait son souffle, les yeux brillants. Lorsqu’Hector vit les trois drones arriver à portée, il n’hésita pas, malgré le logo de la Police qu’ils portaient sur leur flanc. Il détendit d’un coup son bras armé. La pierre émis un souffle grave en fendant l’air, puis… rien. Hector avait raté sa cible. Il s’y attendait, mais il lut la déception sur le visage de l’enfant.

— Pour choper un drone en plein vol comme ça, il faut beaucoup s’entraîner, tu sais.

Le môme se renfrogna.

— Tu t’appelles comment ?

— Milad.

Hector lui jeta la fronde et Milad l’attrapa au vol.

— Et bien, cadeau, Milad, si tu pratiques assez, je suis sûr que tu peux faire mieux que moi.

Son regard espiègle s’illumina. Il descendit de son perchoir avec agilité et commença à chercher une pierre comme projectile.

— Je repasserai, Milad, tu me montreras comment tu t’en sort. Tu veux bien me donner un coup de main ? Tu sais, ceux qui ont dessiné le graff au fond de la ruelle, je les cherche. Tu les connais ?

Milad secoua la tête.

— Tu veux bien me prévenir si tu les vois ?

Hector extirpa un carnet froissé de sa poche, dont il arracha une feuille pour noter son numéro de téléphone.

— Tu peux m’appeler si tu les trouves, mais fais attention, hein. Si tu les aperçois, tu ne fais rien, tu m’appelles, c’est tout. Compris ? Sois prudent, ça peut être dangereux de suivre des adultes. Tu peux avoir accès à un téléphone ?

Milad hocha la tête, deux fois. Hector compris qu’il était surtout impatient d’essayer la fronde. Il décida de s’éclipser pour le laisser en paix. Il le remercia et reprit son chemin pour retrouver son appartement.

Une heure plus tard, il était assis dans son canapé, face à sa baie vitrée. Demain, il commencerait son travail à la Crim' sans avoir pu se libérer du poids du mystère qui le hantait. Il se sentait aussi un peu vexé et inquiet d’avoir perdu ses réflexes de terrain. Un enfant l’avait sauvé. Il aurait pu se retrouver à l’hôpital, ou pire. Il avait suivi les graffs et cela avait failli le mener à sa perte. Il se promit d’être plus vigilant. L’affaire qu’il avait cherché à oublier l’avait rattrapé, malgré lui. Il savait qu’il ne pourrait lui échapper, mais cette fois, il avait un nouvel atout dans sa manche. Milad était devenu son émissaire, ses yeux pour surveiller les alentours de la Plaie en son absence. Avant de s’endormir, il fut saisi de remords. Il avait recruté un môme comme indic. Il se mit à craindre pour Milad, et espéra qu’il ne l’avait pas envoyé affronter un danger trop adulte pour lui.

À suivre…


La dose de flow

Musique

Je vous ai déjà parlé de Larkin Poe, ce duo bluesy des sœurs Lovell. Cette semaine, je vous partage une version acoustique de Strike Gold, et c’est de l’or.

Larkin Poe - Strike Gold (Acoustic)

À suivre

Lorsqu’on écrit le chapitre d’un bouquin, il y a toujours des chapitres phares, ceux que l’on sait emblématiques et marquants, ceux dont on attend l’écriture avec impatience, et puis il y a les autres, ceux dont on a le sentiment qu’ils sont des passages obligés, imposés par le cheminement de l’histoire. C’est là que se jouent finalement le rythme et la qualité d’un roman, dans ces chapitres de transition au travers duquel on doit passer, sans se sentir libre en tant qu’auteur. Si on les aborde comme une contrainte, cela peut devenir une phase laborieuse. Il ne faut pas céder à la facilité, car le boulot d’un•e auteurices, c’est de tirer l’essence de ces passages, de les tordre, de les malaxer jusqu’à obtenir quelque chose qui en tant qu’auteur devient excitant à écrire. Il faut les travailler jusqu’à pouvoir y placer une intention, une mise en scène, une théâtralité. Il faut les transformer en un défi qui nous fasse tripper à écrire. On est prêt quand on sent que l’on a fait le boulot et qu’une fois écrit, on pourra passer à la suite. C’est la quête de ce moment-là qui motive les auteurices, lorsqu’on transforme un passage qui aurait pu être banal en quelque chose d’autre, l’instant où on se dit, ça y est je le tiens. Ce sont les moments où la magie opère.

Je pensais écrire un chapitre de 7000 ou 8000 signes, il est trois fois plus développé. J’espère que vous avez pris plaisir à lire cet épisode.

Je vous souhaite un merveilleux week-end !

— mikl 🙏