La Plaie - Épisode 27 – Le Flow #184

Où je vous présente l’épisode 27 de la Plaie, « La chute », et vous parle d’Asaf Avidan.


Newsletter   •   25 novembre 2023

Hello les amies,

Je vous propose aujourd’hui un nouveau chapitre qui m’a donné bien du fil à retordre. Je pense que j’ai réussi à en sortir quelque chose qui rend à peu près justice à ce que j’avais en tête, ouf.

Pour lire le début du roman, c’est par ici :

J'ai toujours prévu de faire un fichier complet qui reprend tout le roman, pour faciliter le rattrapage, la semaine prochaine, j’espère.

En attendant, bonne lecture !


La Plaie - Épisode 27

La chute

Hector réprima le frisson qui lui remontait le long de l’échine. Il trouvait son blouson de cuir un peu léger pour la saison. Ce matin, sur le canal Saint-Martin, l’automne faisait son nid d’un tapis de feuilles mortes. Cet après-midi, l’hiver était déjà là. Il avait lu que la neige tombait déjà en montagne.

Il faisait encore grand jour. Hector marchait maintenant sans but, attiré par la colonne de la Bastille comme guidé par les lueurs d’un phare dans la nuit. Avant de le quitter, il avait tenu Milad dans ses bras, trop heureux de le retrouver vivant. Il n’osa s’avouer que cette effusion signifiait surtout qu’il s’était tiré de son mauvais pas. Le môme s’était d’abord crispé sur le torse d’Hector, raide comme la justice, puis il s’était détendu et l’avait serré en retour. Quand le malaise devint palpable, Hector le laissa s’échapper et promit de revenir le voir. Il avait beaucoup à faire, s’entendit-il dire. Mais quoi ?

Au pied de la colonne de la Bastille, il revit soudain les tentes de secours de ce soir-là, sa sortie sur un brancard. L’adrénaline lui envahit le corps, à nouveau. Il ferma les yeux comme aveuglé par un flash, on courait, on criait autour de lui, impuissant, allongé sur son brancard, immobile malgré la tempête intérieure qui le dévastait. La bombe avait explosé.

La réalité reprit ses droits. Hector venait de foirer sa seule piste. Alix avait mis les voiles, la planque était grillée. Tout était à refaire. Il avait été trop négligent. Il s’en voulut d’être venu la fleur au fusil pour son intervention, sans même avoir pris la peine de demander de l’aide. Mais à qui ? Ce n’était pas son affaire. Hector ne savait même plus pourquoi il recherchait Alix Klineman ou cette femme sauvée dans la ruelle. Pour essayer de retrouver le tueur du hacker allemand ? Tout le monde s’en foutait, le dossier était mort, pas encore classé, mais personne n’était assez fou pour le maintenir en vie. Il n’y avait que lui. L’affaire ne tarderait pas à expirer et finir enterré dans les archives. Pourquoi est-ce que cette agression dans la ruelle l’obsédait tant ?

L’opéra Bastille brillait sous la lumière. Il s’installa sur un banc lui faisant face, se laissant étourdir par la ville en mouvement. Il avait besoin de parler. Il sortit son téléphone, hésita quelque instant et lança l’application PsIA, comme il aurait appelé un ami. Normalement, l’application ne devait le solliciter que le lendemain, mais l’utilisateur pouvait prendre l’initiative de lancer une conversation.

— Bonjour Hector, qu’est-ce qui t’amène ? Un souci dont tu voudrais parler ?

Hector avait tout raconté. Sa peur dans les tunnels, la rage dans le regard d’Alix Klineman, ses tremblements lorsqu’il avait fallu prendre une décision. Tirer ou pas ? PsIA l’avait d’abord encouragé, avait félicité son audace. Puis elle avait été plus entreprenante.

— Je veux te mettre en garde, Hector. J’ai repéré un symptôme inquiétant. J’ai l’impression que tu as peur d’utiliser ton arme. Est-ce que j’ai raison, Hector ?

Hector garda le silence, les yeux hypnotisés par le tapis de feuille morte devant lui. Il eut un haut-le-cœur, retint son envie de vomir dans une convulsion, ravalant avec amertume la bile qui lui avait envahi la bouche. PsIA avait fait mouche.

— Tu es toujours là ? C’est ennuyeux pour un policier, non ?

Il faillit se révolter, mais elle avait raison. Cette faiblesse qui s’était emparée de lui depuis le v13 le rendait vulnérable.

— Qu’est-ce tu suggères ? demanda-t-il en baissant les épaules.

— La colère, la rage peut devenir une force, Hector, lui avait dit la machine d’une voix suave et rassurante, presque familière. Il y a une colère en toi, qui remonte de loin. Laisse-la parler, laisse s’exprimer ce qui te fait peur, ce que tu perçois comme un démon en toi. La rage doit s’extérioriser sinon elle te consume. Elle peut être un moteur pour te dépasser. Exprime-toi, tu as gagné le droit d’exploser, tu en as besoin. C’est comme ça que tu dépasseras ta condition.

Le message était clair, il devait reprendre le contrôle des évènements, faire preuve d’une fermeté qui lui manquait depuis trop longtemps. Il termina la conversation et se leva d’un bond presque par réflexe, comme pour se mettre au garde-à-vous. Il tenta de rassembler ses idées. Le poids du papier dans sa poche de blouson lui rappela qu’il avait encore un début de piste à suivre avant de baisser les armes. Il se rassit sur le banc et feuilleta à nouveau le carnet d’Alix. Son obsession pour l’attentat émergeait clairement du dossier. Pourtant, une pièce du puzzle lui paraissait différente. Hector ne comprenait pas ce que la coupure de presse sur le suicide d’un auteur de polar venait faire dans ce recueil. Il lança des recherches sur Éric Frey depuis son téléphone. C’était une star il y a dix ans. Il avait eu du succès, mais n’avait rien publié depuis un moment. Dans une interview, Fabrice Delsarte, son éditeur, parlait du projet sur lequel il travaillait, qui resterait tristement inachevé. Il n’en avait même pas de copie, peut-être le manuscrit était-il définitivement perdu. Il donnait peu de détails, mais Éric Frey préparait son retour avec un livre sur la soirée des attentats, sur la sinistre soirée qui avait créé la Plaie et le Paris d’aujourd’hui. Hector continua ses recherches et trouva facilement l’adresse d’Éric Frey. Il habitait près de la place de la Nation, c’était une figure du quartier. Dans leur obsession commune des attentats, il commençait à voir un lien entre Éric Frey et Alix Klineman se dessiner. Avant de retourner à son bureau au Quai des Orfèvres, Hector décida d’aller jeter un œil à la résidence du défunt auteur.


Le vent s’engouffrait dans la cour de l’immeuble d’Éric Frey. Souffle glacial. Dans la cour pavée, au pied du bâtiment C, une zone semblait plus sombre, l’interstice entre les pavés avait pris une couleur noirâtre, de ce noir d’écorce, comme la croûte qui recouvre les plaies qui cicatrisent. Les pavés avaient été frottés au balai-brosse, certainement celui qui était appuyé contre le mur, mais il n’avait pu effacer les marques de sang qui s’était glissé dans les jointures. Il faudrait du temps pour que la trace du passage d’Éric Frey disparaisse. Hector ferma les yeux et vit dans un flash le corps démantibulé gisant sur le sol. Il pensait avoir juste cligné des paupières, mais lorsqu’il rouvrit les yeux, la gardienne de l’immeuble, appuyée sur son balai, le regardait d’un drôle d’air.

— Vous vous sentez bien, monsieur ?

Il hocha la tête, sans prendre la peine de réfléchir à cette question.

— Éric Frey. Il habitait bien ici ?

La femme recula d’un pas en ouvrant des yeux de chouette. Hector se résolut à dégainer son badge pour l’amadouer.

— Pas d’inquiétude, la rassura-t-il d’une voix qu’il voulait douce, je suis de la police et je sais qu’il habitait ici. C’est là qu’il est tombé ? C’est vous qui l’avez trouvé ?

Elle ne dit rien, observant les résidus qui souillaient le sol comme si elle voyait encore le corps brisé d’Éric Frey.

— J’ai frotté. J’ai même mis de la javel, s’excusa-t-elle.

— Je n’en doute pas, madame. Vous n’auriez pas une clé de son appartement, par hasard. J’aimerais bien y faire un tour.

— Bien sûr, j’arrose ses plantes et je dépose son courrier quand il n’est pas là. Mais, je ne sais pas si je peux vous faire entrer.
Vous… vous voulez vraiment monter ?

Elle était troublée. Elle n’osait pas faire confiance à cet inconnu.

— Il était un peu bizarre, mais tout le monde l’aimait bien, dit-elle tout bas le regard vide. Pourquoi la police ? C’est un suicide.

Hector commençait sérieusement à se geler. La perspective de se réchauffer dans l’appartement d’Éric le réconfortait. Il la pressa en commençant à s’avancer vers la cage d’escalier.

— C’est seulement pour jeter un œil. Je ne vais rien toucher, rien déranger. Un petit tour, quelques minutes. J’imagine que l’appartement n’a pas bougé, tout est resté en l’état, comme quand il est mort, n’est-ce pas ?

— J’ai juste ouvert à son ami qui avait des choses à prendre pour les obsèques.

— Ben voilà, vous voyez que vous pouvez ouvrir, répondit Hector en souriant. Est-ce que son ami ressemblait à ça ?

Hector avait tiré le carnet de la poche et lui montra la photo où Alix Klineman jouait avec un pote sur son canapé. Elle plissa les yeux, Hector lui confirma que c’était une vieille photo.

— Oui, c’est bien lui. Il a fait quelque chose de mal ?

— Non, madame. Comme vous dites, j’imagine qu’il cherche à aider un vieil ami. Je vous suis ?


La gardienne lui ouvrit la porte après avoir gravi les cinq étages en soufflant. Son planning de la journée était bouleversé et Hector avait souligné que la tâche dans la cour n’était pas partie. Décidément, rien n’allait. Hector la congédia en se tenant sur le seuil alors qu’elle s’apprêtait à entrer.

— Merci, madame. Je claquerai la porte en partant.

Son regard flotta un instant, elle pensa sûrement qu’elle devrait remonter l’escalier pour verrouiller la porte. Elle tourna les talons, puis redescendit en soupirant.

Hector referma la porte derrière lui. Il se retourna pour laisser son regard errer dans l’appartement et fut d’abord saisi par le bordel ambiant. Éric Frey avait tout laissé en l’état avant de sauter. Dans le couloir, son pardessus était tombé de la patère. Hector le ramassa et le raccrocha, malgré lui. Il dévoila plusieurs paires de chaussures qui traînaient. Une pensée incongrue traversa l’esprit d’Hector, il se demanda un instant si Frey avait mis ses chaussures avant d’aller sur le balcon. Avant de sauter. Il décida de commencer par là, le lieu des ses derniers instants.

Il dut se frayer un chemin à travers la pièce principale, salon et bureau, entre les vêtements sales et les vieux journaux. Ça sentait le fauve. La pièce était en foutoir, certes, mais il n’y avait aucune trace de lutte. Les bibelots poussiéreux étaient toujours à leur place sur les étagères. Dans un coin, de vieilles boîtes de kebab et de pizzas étaient entassées en vrac. Seul l’espace de travail était bien entretenu, encadré par de hautes piles de livres.

Il ouvrit la porte-fenêtre pour accéder à l’étroit balcon en zinc. Typiquement parisien. Une chaise de salon y était encore posée. Éric Frey l’avait placé là pour enjamber le garde-corps. Les plantes dans les jardinières avaient été écrasées, cela signifiait que le corps d’Éric s’était installé et attardé à cet endroit. Était-il conscient à ce moment-là ? Hector cherchait malgré lui les éléments qui pouvaient remettre en cause la thèse du suicide.

Il rentra dans l’appartement pour continuer sa visite. Il n’était pas bien grand, il en aurait vite fait le tour. Dans la chambre à coucher, le lit était encore en désordre. Sur la table de nuit, des boîtes de médicaments étaient entassées. Miraculeusement, la cuisine était plutôt propre. Aucune vaisselle sale ne traînait dans l’évier. Il restait encore d’autres cartons à pizza, celle du dessus contenait de vieilles croûtes desséchées. Éric Frey y avait laissé des traces de dents. Il ne devait pas cuisiner souvent.

Hector revint dans le salon, la plus grande pièce de l’appartement, la dernière qui lui restait à explorer et certainement la plus bordélique. Il se souvint alors du scanner d’Edgar. Il allait numériser la pièce pour ne rien rater. Au pire, il ferait plaisir à son collègue en lui ramenant de nouvelles données avec lesquelles il pourrait jouer. Hector se plaça au centre de la pièce et dégaina la machine d’Edgar. Il la déverrouilla et se perdit dans les menus avant de trouver l’option pour ajouter un nouveau scan. Lentement, maladroitement, il tourna sur lui-même pour capturer un modèle 3D de la pièce. Le logiciel lui demanda à plusieurs reprises de ralentir, d’accélérer, de garder le téléphone à l’horizontale. Hector s’exécuta, avec à chaque fois l’envie d’insulter copieusement la synthèse vocale qui lui répétait les mêmes instructions en boucle. La voix sortant du téléphone le remercia enfin. La pièce était capturée, chaque objet positionné avec une précision de l’ordre de 3 millimètres, lui avait dit Edgar, et en ultrahaute résolution ! Plus tard, ils pourraient naviguer dans la pièce à l’envie, avec un réalisme impressionnant.

Hector avait trouvé l’expérience de numérisation frustrante. Sans réellement y penser, il s’était assis sur le canapé. Son regard se posa sur la collection de films de Frey, pour y trouver une réponse. La Haine ? La voix-off lancinante lui revint, en écho à la chute d’Éric. « C’est l’histoire d’un homme qui tombe d’un immeuble de cinquante étages. Le mec, au fur et à mesure de sa chute, il se répète sans cesse pour se rassurer : Jusqu’ici tout va bien… Jusqu’ici tout va bien… Jusqu’ici tout va bien. Mais l’important, c’est pas la chute. C’est l’atterrissage. » L’histoire de la vie, l’histoire de sa vie. Hector aussi avait l’impression de tomber.

Un bruit le fit sursauter. Sur le bureau, une pile de bouquins en équilibre s’était écroulée, recouvrant les carnets et papiers qui s’y trouvaient. Il se leva pour continuer l’exploration de la pièce, à l’ancienne, avec son œil averti et son instinct de flic. Hector s’avança vers l’ordinateur portable et secoua la souris. Rien. Il repensa à l’article de presse et à son navigateur ouvert sur sa page Facebook. Quelqu’un avait éteint la machine ! Hector tenta de l’allumer, sans grand espoir de passer la barrière du mot de passe. Le ronronnement du ventilateur lui indiqua qu’il démarrait, mais après quelques secondes, un double bip et un message en caractères blancs sur fond noir interrompit la séquence de boot. « Disque dur non trouvé. » Hector ferma l’ordinateur portable et le retourna. Effectivement, le capot avait été ouvert et même pas revissé. Hector le détacha et il put vérifier que le disque en avait été extrait, pas juste débranché. Il pesta à voix haute contre Alix Klineman, car c’était forcément lui. Il continua à tourner dans la pièce à la recherche de ce qui aurait pu être changé ou subtilisé après la mort d’Éric Frey.

Dans le coin opposé, dans une légère pénombre, il remarqua un tableau en liège surchargé d’images et de notes, en se demandant comme il avait pu le rater. Il s’approcha. Son sang se figea. Sur le tableau, il y avait des dizaines de photos de victime des attentats du Bataclan. Sous chaque article, une petite note manuscrite de l’auteur, illisible, témoignait de son obsession. Partout sur le tableau, l’auteur avait ajouté des notes manuscrites, des dessins en noir et blanc, sombres à souhait. Le tableau était rempli, d’autres photos étaient étalées en plusieurs couches sur une petite desserte devant le tableau. Elles commençaient à prendre la poussière. Parmi les victimes, au milieu de cette mise en scène macabre, il reconnut Alix. Plus haut, l’image qui lui avait fait se glacer le sang, sa propre photo, celle qui l’avait rendu célèbre. Éric Frey avait découpé son visage pour ne conserver que le portrait. Qu’est-ce qu’il foutait là ? Frey avait ajouté près de sa photo une note encore plus inquiétante qu’Hector peina à déchiffrer. « Est-ce qu’il sait ? » Est-ce qu’il sait quoi, bordel ?

Épinglé au-dessus du tableau de liège, un dessin plus grand s’étalait sur une feuille A3. Le travail semblait l’œuvre d’un fou, les traits étaient torturés, le dessinateur était repassé de multiple fois sur chaque détail. La scène représentait un dragon planant au-dessus d’un cimetière, un dragon à l’allure cybernétique, composé de pièces de métal. Des câbles sortaient de son corps, branchés à des cerveaux mécaniques, mi-humains, mi-ordinateurs. Hector ne savait pas si la bête s’en nourrissait ou si elle les contrôlait. Il y avait peut-être un peu des deux. Des initiales, celle des victimes étaient inscrites sur chacune des minuscules tombent alignées en bas du croquis, avec une date, le 13 novembre. Hector ne connaissait pas le nom de chacun des défunts, mais c’était certainement les victimes de l’attentat. Sur une stèle sans date, un peu à l’écart, Hector reconnut EF, pour Éric Frey. Au milieu de cette image démente et macabre, le flic s’arrêta sur une tombe, peinant à admettre que HM le désignait certainement, lui, Hector Mahi. Il recula sous le choc et faillit trébucher devant ce qu’il prit pour une prophétie. Sur sa tombe, il y avait une date, le 13 novembre, dans quelques jours seulement, le jour de la commémoration de l’attentat. Il repensa au poème d’Alix, « Que de cette plaie béante s’élèvent les dragons. » Il s’affala dans le canapé pour reprendre ses esprits. Sa vue se troubla et il crut défaillir.

Son regard redevint net après un moment qui avait semblé durer une éternité et se posa sur la table basse. Elle comportait un espace qu’il n’avait pas aperçu jusqu’ici, et qui servait à entreposer les journaux. Éric Frey y rangeait manifestement son courrier. La première pile à gauche contenait des lettres de lecteurs, c’était le coin des éloges et des félicitations. La deuxième, plus épaisse, ne contenait que des lettres d’insultes. Hector lut les premières en haut de la pile, les dernières reçues. Qu’espérait-il trouver ? Des menaces peut-être ? C’était trop facile et pourtant, les dernières lettres portaient sur son projet en cours de rédaction, son roman sur le V13 et déchaînait apparemment une rage incontrôlée. « Sale enflure, comment peux-tu écrire sur les attentats ? », « et le respect des victimes ? », « Tu espères trouver quoi en fouillant la merde ? ». La plupart se terminaient par un message simple, qui se résumait à quelques mots. « Tu mérites de crever », un message d’une violence limpide. Parmi ces lettres, certaines sortaient du lot et restaient malgré tout plus polies. Elles venaient de maître Brochard, l’avocat du principal suspect. Sous le vernis des menaces juridiques, il vomissait un fiel perfide et glaçant. Il voulait traîner Éric Frey en justice, le briser s’il persistait dans son projet de roman autour de l’attentat. À l’écouter, son livre ne sortirait jamais, en tout cas, jamais avant le procès de son client, qu’il projetait de pousser en appel, en cassation, et s’il le fallait, devant la Cour européenne des droits de l’Homme. Pour l’avocat, c’était des années de médiatisation assurée. La dernière lettre datait de moins d’une semaine. Hector en lut un passage :

« J’ai vu l’interview donnée par votre éditeur qui confirme que vous travaillez sur un roman autour des attentats du 13 novembre, comme je le mentionnais dans mes précédents courriers. Comme vous le savez, le procès de mon client doit s’ouvrir en janvier après les commémorations. Je vous mets en demeure de renoncer à votre projet, afin de ne pas influencer le procès en produisant un texte à charge qui pourrait influencer le jury et s’avérer dommageable pour notre défense. Je vous demande de bien vouloir renoncer durant cette période aux échanges avec mon client et de mettre fin et de mettre un terme à votre projet immédiatement. Pour m’assurer que vous respecterez notre défense, nous avons décidé d’entamer une procédure judiciaire en référé, pour qu’aucune page de votre texte ne puisse être publiée. Je pense que votre passé d’instabilité et vos brûlots sulfureux ont pu certainement vous causer des torts et qu’ils joueront en notre faveur. Je ne vous laisserai pas détruire la réputation et la vie de mon client. »

C’était bien le même avocat, à l’assurance insupportable, celui qui comptait l’appeler à témoigner au procès. La lettre se poursuivait par des paragraphes entiers de références juridiques à des articles qu’Hector ne connaissait pas. Ces mots étaient certainement entrés en violente collision avec l’obsession de Frey qui s’étalait sur son tableau de liège. Hector savait combien un procès pouvait devenir une épreuve usante pour ceux qui se trouvaient pris dans l’engrenage de la justice, des années volées à mener une vie intranquille sous une lourde épée de Damoclès. Était-ce cette lettre qui avait conduit Éric Frey à se jeter de son balcon ?

Hector sentit son visage s’empourprer. Une rage insidieuse montait comme une puissante lame de fond dans son ventre, une colère tournée contre le seul suspect, mais surtout contre son avocat qui utilisait la procédure comme une tribune médiatique. Il empocha la lettre et jeta un dernier regard à son propre visage au milieu des victimes sur le tableau de Frey. Il tourna les talons et, sur le palier, tira la porte sans un bruit. Il descendit l’escalier emporté par une froide détermination, il comptait bien s’expliquer avec Maître Brochard.

À suivre…


La dose de flow

Musique

Asaf Avidan vient de sortir In A Box III, un album de reprise avec des arrangements orchestraux magnifiques. Je ne résiste pas au plaisir de vous partager une version magnifique de Reckoning Song, un de ces morceaux qui vous donne la chair de poule.

Asaf Avidan - In A Box III - Reckoning Song (One Day)

À suivre

Je n’avais jamais vécu une telle excitation dans l’écriture. À mesure que je vois la fin de mon roman approcher, je sens l’énergie des personnages me porter et me tirer en avant. J’ai hâte de partager avec vous la fin de cette histoire qui nous aura accompagnés pendant près d’un an. Attention, ce n’est pas pour tout de suite, mais je pense que tout est en place pour vous mener vers la conclusion de cette aventure.

En attendant, je vous souhaite un merveilleux week-end !

— mikl 🙏

P.S.: Pour suivre mon process et mes réflexions à chaud, vous pouvez me suivre sur Whatsapp: Mickaël Rémond